Matigny
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La Picardie, le « nid » des œufs Fabergé

Les œufs de Pâques les plus connus au monde sont sans aucun doute ceux que le joaillier Pierre-Karl Fabergé a produits pour la cour du tsar de Russie. L'histoire de cette célèbre famille d'orfèvres, qui a alimenté l'une des traditions les plus coûteuses du monde, commence dans le nord de la France, au temps du Roi Louis XIV.


Carte postale ancienne éditée par P. Dupré, éditeur à Saint-Quentin.

Les magnifiques œufs de Pâques de Fabergé fabriqués pour la famille impériale russe, ont quelque chose de magique qui rappelle des temps révolus, avant que tout ne bascule avec la révolution de février 1917. Dans les années turbulentes qui ont suivi la chute du régime tsariste, certains œufs ont été perdus, d'autres ont été vendus à l'étranger pour remplir les caisses de l'État. Aujourd'hui, la plupart d’entre eux sont exposés dans des musées.

Lorsqu'un œuf Fabergé est proposé sur le marché des enchères, il attire immédiatement une foule de collectionneurs prêts à payer des prix astronomiques. En 2007, un œuf livré en 1902 à la famille Rothschild a été vendu chez Christie's pour 9 millions de livres sterling (environ 12,9 millions d'euros). Cinq ans plus tôt, l'œuf d'hiver que le tsar Nicolas II avait offert à sa mère Maria Feodorovna en 1913 pour Pâques avait décroché 9,6 millions de dollars (environ 11 millions d'euros). L'œuf d'hiver était le plus cher jamais commandé par la famille impériale à Fabergé.


L'œuf d’hiver, offert par Nicolas II à sa mère pour Pâques en 1913.

L'histoire de la famille Fabergé est tout aussi fascinante que les objets précieux qu’elle a produits. Elle trouve ses origines en Picardie, dans le nord de la France. La famille, qui s'appelait encore Favrie à l'époque, était de confession protestante, ce qui a posé problème lorsqu’en 1685, le roi Louis XIV a révoqué l'édit de Nantes, promulgué par son grand-père, qui permettait aux protestants français (aussi appelés huguenots) de pratiquer librement leur religion. De nombreuses familles huguenotes ont dû quitter leur pays si elles ne voulaient pas se convertir au catholicisme. Ce fut le cas de la famille Favrie.

Le Brandebourg protestant s’est imposé comme leur nouvelle patrie, et ce pendant plus de 100 ans. Le nom de famille a évolué au fil du temps : Favry devint Fabri, puis Fabrier et enfin Fabergé. Dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, on a répertorié un planteur de tabac nommé Jean Favri dans la ville de Schwedt, mais l’épopée de la famille s'est poursuivie à Pärnu en Livonie (qui faisait alors partie de l'Empire russe, aujourd'hui en Estonie). Vers 1800, on y trouve la trace d'un artisan d'art du nom de Pierre Favry, qui a changé son nom en Pierre Fabrier. C'est finalement avec son fils, Gustav, né en 1814, que la famille a commencé son ascension.


Gustav Fabergé, années 1860.

Gustav (désormais porteur du nom de famille Fabergé) s’est rendu à Saint-Pétersbourg pour ouvrir une bijouterie en 1842. Son épouse Charlotte Jungstedt, une fille d'artiste danoise, donne naissance à leur premier fils en 1846 : Pierre-Karl. À la naissance de leur deuxième fils Agaton en 1862, Gustav Fabergé est déjà en retraite. L’entreprise de Saint-Pétersbourg est alors entre les mains de collaborateurs de confiance et Pierre-Karl se prépare à prendre la succession de son père.

À l'âge de 18 ans, Pierre-Karl voyage à travers l'Europe et puise son inspiration dans les musées et chez différents orfèvres. En 1872, il retourne à Saint-Pétersbourg, épouse Augusta Julia Jacobs et reprend l'entreprise de son père. Employé en parallèle à l'Ermitage, la célèbre collection d'art de la cour du tsar, Pierre-Karl catalogue les objets qui s'y trouvent, ce qui lui inspire la création de bijoux dans le style de la Russie ancienne. Ses œuvres sont bien accueillies par la classe supérieure russe et le tsar Alexandre III finit par s'intéresser à ce talentueux bijoutier. En 1885, il commande le premier œuf Fabergé pour l'offrir à son épouse Maria Feodorovna à Pâques. L'idée est si bien reçue que le tsar décide de commander un œuf à Fabergé chaque année. Son fils et successeur Nicolas II perpétuera cette tradition, mais commandera toutefois deux œufs à chaque fête de Pâques : un pour sa mère et un pour sa femme Alexandra Fjodorovna. Au total, cinquante œufs de Pâques grandioses ont été livrés par Fabergé à la cour du tsar. Le dernier, en 1916, a été emporté par la tsarine mère lorsqu'elle a dû fuir la Russie pendant la révolution d'octobre. Les autres ont été vendus à l'Ouest à partir des années 1920. On sait aujourd’hui où se trouvent quarante-quatre de ces œufs.


Boîte à musique ovoïde de Victor Mayer pour Fabergé, vendue aux enchères à Genève en 2011 pour 98 500 CHF (environ 77 000 euros).

Pierre-Karl Fabergé quitte la Russie en 1917, vendant ses parts de l'entreprise à ses employés. À cette date, la maison Fabergé avait produit environ 150 000 objets de joaillerie. Carl Fabergé est mort à Lausanne en 1920.

Ses fils Eugène et Alexander ont pris le flambeau de l’entreprise, mais la fabrication des œufs de Pâques selon la tradition Fabergé n'a été reprise qu'en 1989, lorsque la manufacture de bijoux Victor Mayer de Pforzheim a acquis la licence nécessaire, qu'elle a conservée jusqu'en 2009. Des œufs de cette époque sont toujours disponibles dans le commerce et sur le marché des enchères.

Aujourd'hui, la maison Fabergé est à nouveau responsable de la conception, de la fabrication et de la distribution de ses objets. Le voyage passionnant des célèbres œufs de Pâques de la maison Fabergé se poursuit donc toujours. Et qui aurait pensé que tout avait commencé en Picardie ?


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