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CROIX-MOLIGNEAUX !!!





CROIX-MOLIGNAUX.
L'Histoire par l'Abbé Decagny ( écrite en 1867)

On ne saurait attribuer une origine fort ancienne au village de Croix situé à 9 kilomètres de Ham, sur une colline couverte autrefois de vignes et environnée de bois.
Il est cité sous le nom de Crois en 1292, Croy en 1567, puis Croix.lès-Matigny et Croix Moligneaux que les Bénédictins ont traduit par Cruces.
Cette dénomination a pu lui être donnée, soit à cause des fourches patibulaires élevées en cet endroit par le haut justicier de la seigneurie; soit plutôt d'après la disposition topographique de cette localité dont les premiers habitants auraient tracé les rues en forme de croix.
Au centre des quatre rues du village s'élevait encore, il-y-a environ vingt-quatre ans, un antique marronnier qui a disparu lors de l'établissement de la route impériale, n°37, de Péronne à Ham.
On pourrait supposer avec autant de vraisemblance que, vers le xème siècle, Robert de Croy, rappelé ci-dessous, aurait donné son nom à ce nouveau village établi sur un domaine qui lui appartenait.
Bu effet, rapporte la Gaule chrétienne, sous la date de 1015, Hardouin de Croy, évêque de Noyon, et sa sœur Odila employèrent en bonnes œuvres les biens que leur père, Robert de Croy et leur mère Avide, possédaient dans l'étendue du Vermandois. C'est ainsi qu'ils avaient accordé la terre et les églises de Croix, Matigny, Omiécourt, etc. aux chanoines de Noyon qui CD obtinrent encore les autels du même évêque Hardouin.

En parlant de l'introduction des vignes dans les Gaules, sous l'empereur Probus, Colliette avance que le chapitre de St-Quentin avait des vignobles très importants à Croix près Matigny et à Béthencourt; qu'Ansèle d'Offemont ayant voulu les donner aux religieux d'Ourscamp, il se les fit restituer en 1288.
Sous l'année 1293. le cartulaire de la même abbaye d'Ourscamp mentionne une donation de terres à Croix qui lui fut faite par Gobert de Fontaine. L'église de Croix. dédiée à1 SI Médard. est l'un des monuments religieux les plus distingués et les mieux conservés de nos pays. La nef surtout, avec sa voûte hardie et élevée, ne le cède point en richesse architecturale à beaucoup d'églises de ville. Plusieurs des hauts piliers de l'intérieur sont ornés de chapiteaux remarquables; et l'on reconnaît dàns l'ensemble de cette nef les caractères du style roman confondu avec celui de transition. Cc mélange d'architecture supposerait d'anciens désastres dont les constructions primitives ont été l'objet; il explique aussi le peu de solidité de cette belle voûte dont la chûte serait irréparable pour ce pays. Le portail est un plein cintre d'une grande simplicité; mais la porte latérale ver's le midi est précédée d'un porche vaste et imposant, d'époque gothique. Le chœur. plus bas que la nef selon l'usage des églises romanes, est écrasé par la tour quadrangulaire du clocher qui en restreint les dimensions d'une manière disgrâcieuse. Cette tour avait autrefois beaucoup plus d'élévation et se terminait par une plate-forme bordée d'une balustrade à jour; mais le chapitre de Noyon ayant négligé d'y faire les restaurations convenables, elle s'écroula le 20 novembre 1663, entre dix et onze heures du matin. Les habitants furent obligés de recourir à de longues procédures pour contraindre ce chapitre à une reconstruction dont il était chargé comme gros décimatcur : il fit enfin. mais avec moins d'élégance et plus de solidité. La décolation intérieure répondait à la beauté de l'édifice; car la Fabrique jouissait autrefois de revenus considérables. On y voit encore aujourd'hui. dans un état parfait de conservation, de riches grilles en fer. des tableaux assez distingués. des boiseries élégantes dans toute l'étendue de l'église: celles du sanctuaire ont été surchargées de peintures, selon l'usage trop ordinaire de nos campagnes.
On y remarque aussi des reliquaires analogues à ceux que J'on voit sur les autels de Pargny et de Morchain: ils sont formés de statues ou bustes en bois doré qui portent dans leurs mains, ou renferment dans leur sein, les reliques des pontifes ou des martyrs qu'ils représentent. Les reliquaires de Croix contiennent celles de S' Sulpice et de St Dominant. Mais l'objet sur lequel l'œil se porte avec le plus d'avidité et d'intérêt, c'est un magnifique relief en bois, placé au-dessus de l'archivolte du chœur et représentant les diverses scènes de 1a passion de Jésus-Christ. Les formes légères et gracieuses des figures, l'élégance et la délicatesse des détails, le rendent digne de trouver place parmi les belles sculptures de l'époque gothique.
Cette église possédait aussi un dyptique non moins intéréssant dont la forme intérieure semblait être une riche et élégante imitation de la Ste-Chapelle à Paris: il a été échangé dans ces derniers temps contre les quatorze tableaux du Chemin de la Croix. Dès 1670, la confrérie du St-Rosaire avait été fondée dans l'eglise de Croix par Jacques Flament, ancien marguillier, et Marie Sambot, sa femme: les biens qu'ils avaient affectés à cette institution ont disparu dans la tourmente révolutionnaire de 1793. La confrérie de St-Claude pour les bommes y fut également établie de temps immémorial; mais comme dans plusieurs autres paroisses, elle ne saurait se maintenir et se perpétuer par des abus et sans la fidèle observation des statuts primitifs, dont le principal exige le pèlerinage au tombeau de St Claude pour avoir droit au titre de confrère.
La dîme appartenait pour différentes parties à l'abbaye de St-Thierry, près Reims, et au Chapitre de Noyon qui nommait aussi à la cure possédant alors 100 journaux de terres. La reconstruction du presbytère eut lieu en 1759: il fut encore l'objet d'importantes restaurations vers le milieu de ce siècle.
Anciens curés: MM. Eustache Merlier 1660; Antoine Bellencourt 167t; Tbéodore Desprez désigné comme prieur..curé 1699; Berlancourt 1702; G. Delory 1713; Charles Hadengue, curé et chapelain de la collégiale de Nesle 1734; J. Gadiffet, ancien vicaire de Rosières. son desservant et successeur vers 1170; N. Bachelet. curé constitutionnel intrus en 1794;
depuis le concordat. Césard Legrand. ancien curé de SI-Christ, et Louis Amand qui desservit la paroisse pendant vingt-sept ans. L'église dont les possessions et le revenu étaient beaucoup plus considérables autrefois n'a plus aujourd'hui que:
1° 2 hectares 80 ares de terres. auparavant en bois, rapportant 300 fr.;
2° la moitié de 3 hectares 20 ares légués à l'église et aux pauvres de Croix à son pays natal, par M. Grin, décédé curé de Matigny vers 1836 et affermés par un bail de 99 ans, à raison de 8 hectolitres 25 litres de blé pour le tout;
3° une rente foncière de 1 hectolitre 90 litres de blé constituée sur ses biens par Marie Madeleine Degagny, d'après son testament en date du 19 mai 1818;
4° 100 francs de rente sur l'Etat; 5° 25 francs de rente et un capital de 1.000 francs légués en 1860 et 1862 par Florentine Vilbert et Emérantine Degagny. avec charge de services religieux.
Les biens des pauvres ont été conservés en grande partie et consistent en 23 hectares 33 ares 79 centiares de terres et 26 ares de bois d'un produit annuel de 1.308 francs.
La commune, de son côté. retire un revenu de 407 francs de ses immeubles s'élevant à 7 hectares 43 ares 08 centiares de terres. Mais (chose étonnante). on trouve bien, dans les siècles reculés. une mairie à Moligneaux et à Y, et nullement à Croix, chef.lieu plus important de la paroisse.
En 1812, lors de la construction de la nouvelle route de Péronne à Ham. qui traverse le village de Croix. on y mit à jour. près de l'enceinte du cimetière, une ouverture de quatre mètres de profondeur. qui servait d'entrée à des souterrains. ou cryptes. d'une vaste étendue. Ils sont percés dans le stuc avec beaucoup de régularité, et renferment quatorze chambres différentes. distribuées dans l'étendue d'un long corridor dont un puits forme le centre: la voûte supérieure de ce puits est la seule qui soit faite en maçonnerie. Dans une maison du village. vers le hameau de Y, se trouve encore l'entrée d'un autre souterrain du même genre; mais il ne contient que douze chambres: la plus ancienne inscription qu'on y ait remarquée est de 1462. Cependant plusieurs de ces antiques souterrains dits wardes. si communs dans nos pays, pourraient dater de l'époque des invasions normandes: toutefois ils servaient de refuge aux habitants, lors des invasions bourguignones et espagnoles, non moins désastreuses que celles des barbares du nord. En effet, à gauche dn porche latéral de l'église de Croix, entre les contre-forts du pignon, on lit l'inscription suivanle gravée sur la pierre: " le 21 juillet 1636, quinze maisons ont été brûlées dans ce village par les Espagnols. ".
C'était le même détachement ennemi, commandé par Jean de Wert, qui échoua devant Péronne et Cléry, et vint ravager les villages de Brie et de St.Christ. On a conservé le nom des hnbitants de Croix qni ont péri dans ce désastre. La seigneurie de Croix appartenait au chapitre de la cathédrale de Noyon et au marquis de Nesle, co-seigneurs. Ce domaine relevait encore pour différentes parties: du chapitre de St-Fursy de Péronne, de la seigneurie d'Ennemain que possédaient les chanoines de Rheims, du chapitre de St-Quentin, de la seigneurie de Villecourt, Béthencourt et Falvy appartenant à M. de St-Simon, et enfin des seigneuries et mairies de Moligneaux et Y .
Des monuments du XVè et du XVIIè siècle rappellent plusieurs personnages qui portaient le nom de Croix, assez répandu du reste dans la province. Ceux qui figurent aux annales de la ville voisine de Ham pourraient bien avoir tiré leur nom de ce village où ils auraient possédé quelque fief seigneurial. Dans les archives du collége héraldique et historique se trouve le récit, par Jean de Brimeu, bailli d'Amiens, d'une expédition qu'il fit contre Guillebin de Croix, écuyer, qui dévastait le pays, à la téte de 60 hommes d'armes (-12 mai -1426). Charles de Croix fut mayeur de la ville de Ham de 1639 à 1652; et Artus de Croix, conseiller et procureur du roi, le fut également de 1679 à t69f. L'épitaphe d'Artus a été transférée de l'église St-Martin en celle de N.-D., où elle est incrustée dans le quatrième pilastre à droite de la nef. A côté de son nom, on y lit ceux de Mme Charpentier, son épouse, et de messire Charles de Croix, leur fils, chanoine de St.Fursy de Péronne, où mourut âgé de trente-huit ans. Par son testament, il avait choisi sa sépulture auprès de ses père et mère ; ordonné que cette épitaphe, en marbre blanc, serait érigée en leur mémoire; et avait fondé pour le repos de leurs âmes et de la sienne:
1° une messe le samedi de chaque semaine,
2° un obit solennel tous Ils 23 mai; 30 le bondissement de la grosse cloche toutes les fois et durant tout le temps que l'on portera le St-Viatique aux malades de la paroisse, et au retour. le De Profundis. Cette famille avait pour armes: d'argent à la croix d'azur .
Au dernier siècle, Jean-Baptiste Grenier, aide-major de la ville et du château de Blaye. s'intitulait seigneur de Croix.
Dans le procès-verbal de la coutume de Péronne en 1567. le village dont il est ici question est cité sous ce titre: Groy et Mesnil-St. Quentin ; Moligneaux n'est point mentionné, et Y s'y trouve placé sous la dépendance de la paroisse de Matigny. A l'article de Quivières, il sera parlé de Mesnil-St-Quentin, ancien village ruiné. Vers le lieu, dit Wallengros se trouvaient
deux chemins étroits appelés: l'un la voie à brigands; et l'autre, la voie à lièvres.
MOLIGNEAUX, Mueliniaus et Moliniaus au XIIIe siècle. puis Molineau, est une dépendance assez ancienne de la paroisse de Croix, dont néanmoins la coutume de Péronne de 1567 ne fait pas mention. Ce lieu est rappelé dans deux chartes latines de 1241 et 1242 dont sont extraits ces passages les plus intéressants
( Iste littere curie Noviomensis sunt de quatuor modiis fruquos Ecclesire Noviomensis emit, annuatim reddendos, a 1\Iatheo de Mueliniaus, vel heredibus suis.
    Matheus de Mueliniaus et quintinus filins l'jus, recogno
verunt se ob evidentem et urgentem necessitatem suam, bene et legitime. justo precio videlicet pro sexaginta et quatuor libris parisiensibus, v'endidisse Ecclesie Noviomensi quatuor modios frumenti de annuo redditu, ad mensuram Noviom, duobus densub meliori ad estimalionem et forum (marché) de Matheni... et ad majorem securitatem de dictis quatuor modiis... Matheus et quintihus predicti ipsam ecclesiam aboutaverunt vel assignaverunt (hypothèque) ad sex bovaria terre ipsorum,.. que ipsi Matheus et quintinus possidebant et tenebant pro indiviso, ut dicebant, ab ipsa ecclesia predicta. que quidem sex bovaria sita smnt inter territorium et decimagium de Matheni vel'sus villam que vocatur Y. Et incipit eadem terra a terra Gileberti Strabonis, se extendens in longitudine v'ersus Matheni, et in atiludine a terra Agnetis tabernarie (aubergiste) usque ad campum de Deveni et per eadem terram itur de villa de Voiene ad villa nl de Y...

Les femmes de Mathieu et de Quentin, nommées toutes deux Marie, acceptent une substitution de garantie dotale sur vingt-cinq journaux de terres situées, entr'autres dix journaux, juxta viam de Voiane que tenentur de Pruvostello de Oufois, etc. actum anno Mo CCo XLo primo mense decembri. Une autre cbarte de 1242 énonce un nouvel achat de XI muids de froment par le chapitre de Noyon à Mathieu de Moliniaus et à Quentin son fils. On y trouve les mêmes conditions que dans la vente antérieure de 1241 ; et les vendeurs affectent également comme garantie de la rente des XI muids de blé divers immeubles sur les terroirs de Matigny et de Y. Les indications de situation les plus intéressantes sont: f ad rivulum qui transit per viam que ducit de Mueliniaus apud Falevi... ad semitam que ducit de Crois ad Maisnilium (Mesnil-SI-Quentin)... " Il yi avait donc, au XIllè siècle,un petit ruisseau qui traversait le chemin de Molignaux à Falvy, Il ne parait pas certain que les personnages relatés dans ces chartes aient été des seigneurs de ce hameau. C'est à une époque plus récente, après la ruine de Mesnil-St.Quentin, qu'on découvre des possesseurs de ce petit domaine dont le château, dit de Montaubent, s'élevait au nord de la localité, dans la direction d'Athies. Vers le XVllè siècle. MM. de Montaubent et de Mont Breuil sont désignés comme seigneurs de la terre et de la mairie de Molignaux. En 1755 ce titre est donné à Claude Tupigny, greffier en chef du bailliage de Ham, Les anciennes minutes de l'étude Allart de la même ville mentionnent la vente d'un cacq (tonneau) de vin, du crû de Moligneaux, par Jean Rocreal à Urbain Moiret, de Croix .
La commune de Y aura son article particulier à la fin du canton.
Les pauvres d'Andechy avaient à Croix 7 hectares 34 ares 40 centiares de terres qui ont été vendus en 1857.
Lieux dits: Chemin de la Vicomté; voies de Bernes et de Solancourt; les Aventures de Clermont; Grand et Petit Brule; Bois brûlé, etc.
Ancien ressort: Bailli et élect de Péronne; intend. d'Amiens. Cure de l'ancien doyenné de Ham.
En 1867 : habitants, 504;
              maisons, 137;
              superficie territoriale, 788 hectares.