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Herbert, l'Outremer et Albert.



Jamais le Vermandois ne tenait autant son avenir entre ses doigts. En cette année 923, le dixième siècle de l'ére chrétienne était déjà entamé et pourtant la crainte de la fin des temps prévu par les millénaristes et Saint Jean semblait encore loin. Ce siècle est aussi un des mal aimés de l'histoire officielle. Il compte pour nous parmi les plus éminents. Même si les évènements seront nombreux, ce sera un siècle de paix qui s'achèvera par la consécration des Capétiens. La providence et la sagesse des hommes avaient donné deux fers au feux de notre région de paysans et de forgerons. Les deux lignées les plus aptes au commandement figuraient à égale distance. Le bon choix, comme souvent, ne se dévoila pas le premier.
Herbert II tenait à sa merci Charles le Simple et le déplaca dans un premier temps de sa forteresse de Château-Thierry vers celle de Péronne qui est parvenue jusqu'à nous. Selon les usages, Herbert n'avait pas retenu la femme de Charles qui ira se réfugier dans sa famille anglaise emmenant son fils Louis qui nous reviendra avec le qualificatif d'outremer. Sa mère, qui répond au doux nom d'Ogive, est fille d'Edouard dit l'ancien , roi d'Angleterre. La bataille de Soissons eut lieu en 923 et Herbert II gardera Charles jusqu'en 929.
Cette décennie fut un peu troublée. A Rome, le pape fera déterrer son prédécesseur pour le présenter en justice. Les monastères que Louis le débonnaire et saint Benoît d'Aniane avaient voulu unifier au concile d'Aix la Chapelle en 817, ne trouveront plus d'appuis solides. L'ordre de Cluny va donc naître avec la bénédiction du comte d'Aquitaine que l'ordre de succession et la richesse tiennent loin des troubles en revendiquant son indépendance avec le pouvoir temporel. C'était un affront sans pareil à l'Etat tel que nous le concevons aujourd'hui. Ce le fut plus encore, car le bluff réussira plusieurs siècles !.
Cette réalité historique nous oblige à gommer de notre analyse la conception de l'Etat et du pouvoir central, qui est la nôtre mais qui n'avait aucun sens en ces temps. La liberté, la courtoisie et le respect étaient beaucoup plus forts qu'aujourd' hui et le monde occidental vivait fort bien sans Etat. Le monarque d'alors, Charles le Simple, était prisonnier ; son geôlier ne demandait qu'un peu de terre mais ne revendiquait ni honneur, ni pouvoir législatif. L'histoire s'écrivait autour d'une compétition de familles en oubliant complétement que le monde prospérait et se construisait de solides mottes féodales et des bastides. Il importait peu au petit peuple de savoir qu' Hugues, fils de Robert Ier, beau frère d' Herbert nomma Raoul, son autre beau-frère, comme seigneur de Laon pendant la captivité de Charles. Mais le seigneur de Laon est pour tous l' héritier impérial et nombreux seront les grands d' Aquitaine et de Normandie qui refuseront l'allégeance. Pour justifier son pouvoir usurpé, le roi est alors obligé d'affronter ceux qui s'opposent à sa reconnaissance. Ainsi, Raoul détruira encore l' aura carolingienne au profit de son commanditaire robertien. Herbert rigola moins quand Raoul reprit Péronne sans toutefois récupérer Charles le Simple. Pour contrer Raoul assis sur son promontoire de Laon, Herbert imagine de couper les arrières de son nouveau rival pas seulement en annexant Reims. Comme cette ville approvisionnait depuis l'antiquité le trésor impérial, Herbert intriguera avec des espèces, des chevaux, des terres et de nombreux cadeaux pour faire nommer son fils évêque de Reims. Tenant l'argent et la ville lige de l'empereur, Herbert pense que le fruit va lui tomber dans la main. Il ne pense pas à l'Empire mais seulement à la ville de Laon qu'il veut pour siège.

Herbert manquera, là, d'envergure car il aurait pu construire l'Europe qui n'attendait qu'un volontaire et s'aliènera : les Capétiens, c'est à dire la France pour de longs siècles, les Anglais, parents de Louis d'Outremer et l'Allemagne , laquelle trouvera dans l'évocation de l'Empire carolingien son unique ferment d'unité nationale. Herbert a fait plus qu' incarner le Vermandois. Ses velléités laisseront des empreintes durables sur le pays et ses habitants. Contrairement à François Mitterand, il n'osera pas le coup d'Etat permanent et contrairement à Charles de Gaulle, il n'aura pas d'ambition pour la France et l'Europe. Pourtant notre prince fut vraisemblablement aimé et soutenu par son peuple.
Ainsi, après la révolte des prélats contre la nomination abusive d'Hugues, le fils d'Herbert nommé archevêque de Reims à cinq ans, les seigneurs d'alentour entamèrent des représailles en accaparant divers fiefs ( dont Péronne et Saint- Quentin), les habitants ne tardèrent pas à se soulever et à réclamer le retour de leur compatriote.
Mais Raoul et Hugues le Robertien sont encore les plus forts et Herbert perd l'espoir de prendre le funiculaire qui monte à la vieille cité laonnoise. Il reprend Charles le Simple sous le bras et le conduit chez Guillaume Longue Epée, le Normand. Celui ci sait que c'est Charles qui a signé le traité de Saint Clair sur Epte et a donc permis l'installation des Vikings. Guillaume se jette aux pieds de Charles et lui rend hommage. Herbert calcule que Raoul et Hugues le Grand vont suivre et tous unanimes reconnaître son droit sur la capitale, Laon.
Raoul et Herbert se réconcilient donc pour la façade mais Raoul ne cède rien sur Laon. Herbert n' a que la parade de remettre Charles le simple en résidence surveillée. Raoul, pour équilibrer les pouvoirs, enlève Albert, le propre fils d'Herbert. La situation arrivait à une impasse que la providence compliqua encore. Raoul vint à décéder. Hugues le Capétien se retrouvait aux avant-postes alors qu'il se voulait " en réserve de la République", voilà pourquoi il rappela Louis d'Outremer, seul carolingien de sang plus pur qu'Herbert.
Ce Louis venu d'ailleurs récupère vite l'allégeance des Normands, sans hésitation, sans p't êt ben qu' oui ou pt'êt ben qu'non. Puis , le pape Etienne se range sous sa bannière, le clergé anglais et une bonne part du clergé allemand le soutient. Le sire de Coucy et l'évêque de Reims firent une fois de plus la différence et Louis vint s'installer ouvertement à Laon en 937. Déception cruelle pour Herbert mais désappointement également pour Hugues qui recule d'une case. D'autant que Louis d'Outremer devenu Louis IV a appelé au secours la marine anglaise qui désole les côtes.Se profile alors sur l'avant-scène, le vernissage de la première guerre mondiale.
Hugues le Parisien se rabiboche avec le Vermandois, les Normands se joignent à lui, Arnould de Flandre aussi, surtout il épouse une fille d'Othon 1er dit " le grand" fils d'Henri l'Oiseleur et tous font allégeance au Germanique. En face, Louis IV reçoit l'appui des ducs de Lorraine, Comte de Cambrai, Comte de Verdun et de Hollande et tient superbement Laon. Qui osera donc débloquer cet imbroglio qu'Herbert n'avait pas imaginé et sans doute pas souhaité ?.
D'autant que les alliances n'évitent pas certains couacs. Guillaume Longue- Epée ( objet sans doute volé chez nous lors d'un raid) est amené à en découdre avec Arnould de Flandre sur les rives de la Somme par simple saute d'humeur puisque l'un et l'autre étaient là pour signer un traité de paix. Autre couac, Louis IV meurt lors d'une chasse au loup dans le massif du Chemin des Dames à 33 ans. Nous sommes en 942 et Hugues, comte de Paris, laisse son fils Lothaire accéder à la fonction d'empereur avec pour seule terre de fisc , le plateau inculte de Laon.
Puis Herbert du Vermandois meurt en 943. Il a placé ses enfants en flancs gardes ; Robert est comte de Troyes, Eudes, comte d'Amiens, Herbert, comte de Meaux, sa fille a épousé Thibault qui verrouille la route de Reims à Laon au niveau de Montaigu. Hugues, certes n'est plus archevêque de Reims. Pour lui succéder : Albert 1er, l'otage de Hugues de Paris. La mort de Hugues se devait d'être exploitée par l'un ou l'autre camp et donna deux versions.
Flodoard relata qu'Herbert décéda paisiblement à Saint-Quentin, entouré de ses enfants et enterré à Notre Dame de Labon .
Selon une autre version, il fut pendu sur ordre de Louis IV au mont Fendu, toujours nommé mont Herbert. Louis IV était mort depuis un an, rendant cette relation un peu suspecte. Ce que la légende rajouta fut imaginé pour discréditer la mémoire du comte.Le roi aurait, selon cette historiette, tenu conseil à Laon, en présence du comte.
- "Quelle peine doit-on infliger au sujet qui, traître à son souverain, a fini par lui ôter la vie ?
Herbert, de bon conseil, prôna la potence.
-" C'est ton arrêt de mort !" dit alors le roi à Herbert qui le fit attacher aux fourches patibulaires !
Aux minutes de son agonie, Herbert aurait dit:
- "Nous étions douze qui trahîmes le roi Charles !"


L'anecdote de l'arroseur arrosé fut reproduite, à maintes reprises, dans presque tous les récits féodaux. C' était une clef de voûte de la justice féodale et un récit obligé des classiques médiévaux. Sans trop polémiquer sur les circonstances réelles de la mort de Herbert, constatons la contribution intéressante de la région dans le fondement de la culture européenne.
A ce récit, il faut bien sûr rapprocher les décisions du synode de Charroux en 989, quarante six années après Herbert. Il y fut institué : la Paix de Dieu , interdiction de combattre du mercredi soir au lundi matin, les quatre semaines de l'Avent, les quarante jours de carême, pendant toutes les grandes fêtes, interdiction de toucher aux biens de l'Eglise, aux clercs, aux pauvres, aux moines non armés, aux paysans, aux ustensiles de labour et aux récoltes. Quelques jours avant ce sommet de notre civilisation, Albert 1er, fils de Herbert, mourut. Abbé laïc de Saint Quentin et tenant le premier rang des abbés de France, notre sire eût été fièr des actes du synode. Sa vie entière traça la voie vers ces mesures de paix et d'humanité et lui valut le titre d'Albert le Pieux.
Deux années auparavant, Hugues Capet, fils de Hugues le Grand et cousin par alliance de Albert avait obtenu l'onction royale entre Soissons et Noyon avec l'allégeance du comte du Vermandois.Herbert avait été un fomenteur de troubles en une époque troublée. Albert construira la paix d'une période heureuse. Il ne peut pas être dit que l'histoire se soit faite sans les hommes et que le monde ait vécu à l'écart de notre propre destinée.
Le Vermandois était au coeur du monde, comme depuis toujours, pour le meilleur à venir et le pire sans cesse réalisé.
Albert avait été longtemps l'otage de Hugues le Grand et avait rencontré, en maintes occasions Raoul que son père jalousait. Quand Raoul mourut, l'opinion accusa Herbert de sa mort. La médecine scientifique était encore dans les limbes et rien n'était aussi impensable qu'une mort naturelle.
Le Vermandois paya, à nouveau, des droits de succession. Avant Albert et justifiant son retour; Raoul de Gouy, fils de Raoul pénétra jusqu'à Homblières et à Saint-Quentin qu'il pilla et désola. Albert Ier, parce que c'était l'esprit de Quierzy, récupérait l'héritage mais sans possibilité de bénéfice d'inventaire. La renommée du pays comme sa richesse était fortement entamée, l'honneur ne laissait pas le choix, il fallait toujours tenir.

Après deux seigneurs turbulents plutôt que méchants et inconscients, Albert sera le Pieux. Il rendit au chapitre de Saint-Quentin ses droits et revenus, installa les reliques de saint Prix, évêque de Clermont, en son château, puis fonda une abbaye dite de Saint-Prix à Rocourt. Il garda le titre d'Abbé-Comte et le statut laïc mais plutôt que de suivre les seigneurs germaniques qui chercheront à capter les biens du clergé, il patronnera l' élection, par ses pairs clercs, d'un doyen, responsable de l' Ordre avec la magnitude de sens que ce mot prendra dans les ordres religieux.
En 948, il restaurera l'abbaye d'Homblières en la confiant aux bénédictins qui vinrent remplacer les religieuses établies là depuis 3 siècles. Vers 960, Albert fut un innovateur, il mérite toute notre affection à ce titre, en accordant une Charte aux habitants de Saint Quentin, qui sera presque sans précédent dans l'histoire.

Cette charte traversera l'histoire comme la lignée des doyens de Saint- Quentin.
Les modernistes et même beaucoup de chrétiens progressistes rangent ces objets à l'étagère des reliques. Ce faisant, ils se déconsidèrent d'entrée en manquant de respect :
- Un doyen qui occupe cette fonction depuis mille ans a nécessairement plus d'expérience qu'une vedette du Top cinquante,
- Un écrit qui stipulait, il y a plus de mille ans, que les habitants de la commune ont la liberté de leurs personnes et de leurs biens, porte témoignage que nos lointains ancêtres connaissaient déjà le sens de ces mots et en avaient une perception plus opérationnelle et concrète que nous -mêmes.
Albert le Pieux mourut en 987. Nulle statue ne l'honore et aucun instituteur n'évoquerait son nom auprès des enfants de la contrée qui recherchent désespérément comme tous les jeunes en formation des modèles à suivre et des exemples à imiter.
De son ménage avec Gerberde, fille de Louis d'Outremer, il eut quatre enfants:

Herbert III qui lui succéda,
Othon mort sans postérité,
Lindulphe, évêque de Noyon
et Gui, nommé plus tard trésorier de cette riche église.







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