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Salut




Ouvrir la fenêtre, monter sur la colline, regarder alentour ! Telle est l' invite première du poète et du géographe. Elle paraît bien singulière venant d' un historiographe du vingtième siècle où la science s'entoure de compilations érudites et où les universités enferment le savoir dans des boîtes à cirage qui ne sont que matière pour la brosse à reluire. La terre qui nous entoure comme le tableau du peintre ne propose pas de chaire à l'académie, elle n'est que silence, retenue et discrétion. Elle accompagne nos vies et s'étonne toujours des titres qui figurent sur les cartes pour la représenter. Ses vibrations nous mettent le coeur en joie et incitent au travail des champs, parfois son humeur est sombre et sa tristesse se lit sur tous les visages. Toute passion a une histoire. Bien avant les excès du nationalisme, une relation forte lie le temps, les gens et la terre. Le pays exprime déjà cette réalité complexe. On aime son pays et corrélativement on se sent aimé ou délaissé par son pays. Parler d'histoire, c'est-à-dire de nous, du nom des rues, des impôts, des Juifs, des Allemands et des autres, sans évoquer des sentiments revient à poser sur les cartes des insignes, punaises, fanions.
Dans cet essai qui n'a pas l'ambition des grands ouvrages, notre dessein vise à poser des signes là où celui qui regarde avec ses sens voit des repères. Osons le mot, il s'agit d'une relecture et d'une interprétation de l'histoire d'un pays admirable. La vérité historique voire l'exactitude scientifique s'inscriront sur la toile mais derrière le pictural il y aura toujours le mystère de l'entité qui sublime l'ensemble.
La passion pour le surnaturel, l'amour des hommes et le sens de la vie constitueront la matière élaborée de notre sol, de son pouvoir et de ses exigences.


Pour parler du Vermandois, aujourd'hui, nul doute que seule une inspiration iconoclaste, anarchisante voire antirépublicaine en motive l'expression.

Remonter toute la destinée du pays qui nous regarde, c'est justement s'opposer à ces affirmations primaires et en ouvrant ses cinq sens laisser le pays lui-même prendre la parole.





Au tamis de l'histoire, les pays, cantons, régions vivent les caprices de la destinée des hommes. Tel pays éloigné, à la culture ingrate monte au paradis alors que celui-ci besogneux et fier s'effiloche et tombe dans l'oubli. Tel autre simplement perd la mémoire . L'un triomphe et laisse trace de sa gloire dans des monuments magnifiques, l'autre vit humilié et tait son identité.
La justice des hommes brime avec raison autant qu'elle félicite par erreur ; le plus souvent, elle se trompe simplement d'heure, ne voyant pas l'évolution des esprits et les exigences d'une humanité qui cherche à tâtons l'ascendance. L'homme vaincu et meurtri ou vainqueur et glorifié reste pourtant ni plus ni moins que lui-même. Entre en compte alors une autre dimension de son être, celle de savoir gérer son histoire, on dirait son parcours, aujourd'hui que la précarité du travail supplante, dans les angoisses, la fragilité de la vie même.
Les pays, nos contrées, enchâssent nos vies dans un écrin de générosité naturelle et semblent avoir, eux aussi, une destinée. La célébrité, un jour, la fête, puis la détresse, parfois la révolte et la folie, tout les guette dans les pages d'un grand livre céleste . Dans les religions primitives, ils avaient une place au panthéon des dieux . Israël, Jérusalem étaient désignés sur la terre pour transcender leurs habitants.
Peu de romains croyaient qu'une louve pouvait allaiter deux nouveau-nés, mais tous vénéraient la statue représentant ces trois êtres lorsqu'il fallait défendre Rome contre les barbares.


Nos régions n'ont pas hérité de ces richesses disparues avec l'émergence de la chrétienté. Pourtant comme les hommes, en dépit de tout, elles ont un visage et une destinée. Leur originalité se cache parfois longtemps derrière des masques et des apparences, des serments forcés et sentiments refoulés.
Cette similitude avec nous mêmes fonde la reconnaissance d'une existence de personne morale particulière.
La relation que ses habitants entretiennent avec elle a, par bonheur, perdu tout caractère administratif et corporatiste. Elle s'inscrit, de plain-pied, dans le sensible, le sensuel et le consensuel.

L'histoire du Vermandois veut se placer dans cette optique proustienne : revivre avec délectation une histoire commune dont l'étrangeté vient de la proximité. Tous ces faits se sont passés là, sans doute pour rien puisque plus personne jamais n'en parle !



Et pourtant, les vieux chênes portent des blessures, les cimetières abondent dans les bosquets d'arbres, sur nos collines, les saints sont foison, partout se charrient des tonnes de betteraves en automne, et des tonnes de blé sous le soleil brûlant de Juillet.
Une dimension matricielle s'impose dès le prologue, c'est le paysage. Parce que notre planète n'est véritablement connue que depuis peu, il faut oser dire l'originalité de ces quelques arpents de terre, plus façonnés par le travail des hommes que par les ères géologiques.
Puis viendront les civilisations, certaines millénaires et d'autres éphémères comme la visite des " Hommes Intelligents" à Saint-Quentin au 15ème siècle. Chacune nous portera un message, ignoré parfois par elles-mêmes, souvent proclamé haut et fort mais incompris.
Derrière la nature et les grandes institutions viendront, en cortège, mille personnages qui habitaient nos maisons, chassaient sur nos terres, regardaient le ciel comme chacun d'entre nous. Les plus nombreux ont laissé trace dans l'histoire . Les moins nombreux constitueront la majorité de nos ancêtres, quidams méconnus mais toujours présents sans qui rien ne fut possible.
C'est bien sûr à eux que je dédie ce livre. Le grand Jules César ne leur a pas donné un nom pour qu'ils soient oubliés. Même écartelée par une république ignorante, même écrasée par un amas de bombes, même amnésiée par une histoire officielle d'obédience nationaliste, cette entité vit sa solidarité de nature depuis la nuit des temps et continuera encore après la dernière page de ce livre.
Je te le soumets, lecteur, comme on expose à un ami cher les raisons d'un amour fou et d'une passion violente. Dans les composantes de cette flamme, il y a aussi le feu destructeur des dernières guerres. Les témoins se sont tus mais les pierres parlent encore et hurlent !. La rage naît du sentiment d'injustice. A elle, aussi, il faudra laisser un temps de plume.




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