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Salut !

Ouvrir la fenêtre, Monter sur la colline, Regarder alentour ! Telle est l' invite première du poète et du géographe. Elle paraît bien singulière venant d' un historiographe du vingtième siècle où la science s'entoure de compilations érudites et où les universités enferment le savoir dans des boîtes à cirage qui ne sont que matière pour la brosse à reluire. La terre qui nous entoure comme le tableau du peintre ne propose pas de chaire à l'académie, elle n'est que silence, retenue et discrétion. Elle accompagne nos vies et s'étonne toujours des titres qui figurent sur les cartes pour la représenter. Ses vibrations nous mettent le cœur en joie et incitent au travail des champs, parfois son humeur est sombre et sa tristesse se lit sur tous les visages. Toute passion a une histoire. Bien avant les excès du nationalisme, une relation forte lie le temps, les gens et la terre. Le pays exprime déjà cette réalité complexe. On aime son pays et corrélativement on se sent aimé ou délaissé par son pays. Parler d'histoire, c'est-à-dire de nous, du nom des rues, des impôts, des Juifs, des Allemands et des autres , sans évoquer des sentiments revient à poser sur les cartes des insignes, punaises, fanions. Dans cet essai qui n'a pas l'ambition des grands ouvrages, notre dessein vise à poser des signes là où celui qui regarde avec ses sens voit des repères. Osons le mot, il s'agit d'une relecture et d'une interprétation de l'histoire d'un pays admirable. La vérité historique voire l'exactitude scientifique s'inscriront sur la toile mais derrière le pictural  il y aura toujours le mystère de l'entité qui sublime l'ensemble. La passion pour le surnaturel, l'amour des hommes et le sens de la vie constitueront  la matière élaborée de notre sol, de son pouvoir et de ses exigences.

Pour parler du Vermandois, aujourd'hui, nul doute que seule une inspiration iconoclaste, anarchisante voire antirépublicaine en motive l'expression.

Remonter toute la destinée du pays qui nous regarde, c'est justement s'opposer à ces affirmations primaires et en ouvrant ses cinq sens laisser le pays lui-même prendre la parole.

Mémorial du Vermandois.

Au tamis de l'histoire, les pays, cantons , régions vivent les caprices de la destinée des hommes. Tel pays éloigné, à la culture ingrate monte au paradis alors que celui-ci besogneux et fier s'effiloche et tombe dans l'oubli. Tel autre simplement perd la mémoire. L'un triomphe et laisse trace de sa gloire dans des monuments magnifiques, l'autre vit humilié et tait son identité.

La justice des hommes brime avec raison autant qu'elle félicite par erreur ; le plus souvent, elle se trompe simplement d'heure, ne voyant pas l'évolution des esprits et les exigences d'une humanité qui cherche à tâtons l'ascendance. L'homme vaincu et meurtri ou vainqueur et glorifié reste pourtant ni plus ni moins que lui-même. Entre en compte alors une autre dimension de son être, celle de savoir gérer son histoire, on dirait son parcours, aujourd'hui que la précarité du travail supplante, dans les angoisses, la fragilité de la vie même.

Les pays, nos contrées, enchâssent nos vies dans un écrin de générosité naturelle et semblent avoir , eux aussi, une destinée. La célébrité, un jour, la fête, puis la détresse, parfois la révolte et la folie, tout les guette dans les pages d'un grand livre céleste . Dans les religions primitives, ils avaient une place au panthéon des dieux . Israël, Jérusalem étaient désignés sur la terre pour transcender leurs habitants.

Peu de romains croyaient qu'une louve pouvait allaiter deux nouveau-nés, mais tous vénéraient la statue représentant ces trois êtres lorsqu'il fallait défendre Rome contre les barbares.

Nos régions n'ont pas hérité de ces richesses disparues avec l'émergence de la chrétienté. Pourtant comme les hommes, en dépit de tout, elles ont un visage et une destinée. Leur originalité se cache parfois longtemps derrière des masques et des apparences, des serments forcés et sentiments refoulés.

Cette similitude avec nous mêmes fonde la reconnaissance d'une existence de personne morale particulière.

 La relation que ses habitants entretiennent avec elle a, par bonheur,  perdu tout caractère administratif et corporatiste. Elle s'inscrit, de plain-pied, dans le sensible, le sensuel et le consensuel.

L'histoire du Vermandois veut se placer dans cette optique  proustienne :  revivre avec délectation une histoire commune dont l'étrangeté vient de la proximité. . Tous ces faits se sont passés là, sans doute pour rien puisque plus personne jamais n'en parle !

Et pourtant, les vieux chênes portent des blessures, les cimetières abondent dans les bosquets d'arbres, sur nos collines, les saints sont foison, partout se charrient des tonnes de betteraves en automne, et des tonnes de blé sous le soleil brûlant de Juillet.

Une dimension matricielle s'impose dès le prologue, c'est le paysage..  Parce que notre planète n'est véritablement connue que depuis peu, il faut oser dire l'originalité de ces quelques arpents de terre, plus façonnés par le travail des hommes que par les ères géologiques.

Puis viendront les civilisations, certaines millénaires et d'autres éphémères comme la visite des " Hommes Intelligents" à Saint -Quentin au 15ème siècle. Chacune nous portera un message, ignoré parfois par elles-mêmes, souvent proclamé haut et fort mais incompris.

 Derrière la nature et les grandes institutions viendront, en cortège, mille personnages qui habitaient nos maisons, chassaient sur nos terres, regardaient le ciel comme chacun d'entre nous.

Les plus nombreux ont laissé trace dans l'histoire . Les moins nombreux constitueront la majorité de nos ancêtres, quidams méconnus mais toujours présents sans qui rien ne fut possible.

C'est bien sûr à eux que je dédie ce livre. Le grand Jules César ne leur a pas donné un nom pour qu'ils soient oubliés. Même écartelée par une république ignorante, même écrasée par un amas de bombes , même amnésiée par une histoire officielle d'obédience nationaliste, cette entité vit sa solidarité de nature depuis la nuit des temps et continuera encore après la dernière page de ce livre.

Je te le soumets, lecteur, comme on  expose à un ami cher les raisons d'un amour fou et d'une passion violente. Dans les composantes de cette flamme, il y a aussi le feu destructeur des dernières guerres. Les témoins se sont tus mais les pierres parlent encore et hurlent !

La rage naît du sentiment d'injustice. A elle, aussi, il faudra laisser un temps de plume.

Longtemps avant les débuts de l'histoire.

Avec certitude, avant que l'animal homme ne conquière la région et y laisse son empreinte, les fleuves et les marais, les forêts et les animaux sauvages avaient au long de millénaires commencé à tracer les contours du paysage qui nous entoure. Les zones marécageuses alternent avec les collines calcaires et les bois recouvraient, d'une végétation épaisse, collines et vallées. Comme le chasseur découvre facilement les coulées par lesquelles chemine le gibier sauvage, le paysage d'alors devait déjà laisser apparaître la trace des grandes transhumances des troupeaux de bisons d'Europe, et des mammouths qui jusque 5000 ans avant Jésus Christ brisaient tout sur leur passage, saignaient la forêt, formaient des gués dans les rivières.

L'emblème du sanglier, ceux du léopard, du lion, du loup peuplent les récits et les sceaux du haut moyen-âge. Enguerrand de Coucy est représenté terrassant un félin terrible. Parmi les hôtes de nos forêts une place particulière est à réserver aux cervidés. L'animal est beau et sa chair succulente. Avec les chevaux, il est à l'origine de cet art de la chasse à courre qui subsiste encore en forêt de Compiègne.

Dans le déroulement de la genèse, les flots avaient aussi été remplis  de poissons et le ciel d'oiseaux.

L'homme et sa compagne seraient les bienvenus, si jamais ils venaient à passer !

La première trace de vie humaine en nos régions est très ancienne et même antérieure à l'homme de Neandertal dont le faciès nous est connu. A quoi ressemblait l'Abbevillois qui occupait les bords de la Somme vers 650 000 ans avant JC ? Nul ne e le sait. Il ne devait guère s'éloigner des marécages qui lui fournissaient le poisson, nourriture de l'été comme de l'hiver et construisait des huttes, savait tailler le silex biface et chasser des animaux dont l'évocation seule fait froid dans le dos : l'hippopotame ou plutôt son ancêtre acclimaté à nos climats, père des suidés, porcs et sangliers qui sont toujours présents et le macharoide, ancêtre du tigre  mais avec des incisives si longues qu'elles dépassaient la mâchoire inférieure et ont été décrites comme des dents de sabre. Plusieurs exemplaires de cet animal sont exposés au Palais d'histoire naturelle du Jardin des Plantes à Paris, nos ancêtres n'ont, eux, pas tant d'honneur.

L'abbevillien a certainement longé la Somme mais nul ne sait jusqu'où ! Aucune autre trace de peuplement n'a été retrouvée avant la civilisation de l'homme de Neandertal vers 80 000 avant JC.

Ce petit homme, à la mâchoire épaisse et très velu, a remonté la Seine et l'Oise, laissant des vestiges de ses séjours dans les grottes de l'Ile de France. Lui aussi chassait le rhinocéros et le mammouth avec l'astuce qui remplace la force : il creusait sur les coulées de ces grands animaux des fosses et achevait l'animal piégé avec les seules armes de pierre et d'os qu'il connaissait . Plus souvent, il traquait l'aurochs ou l'ancêtre du cheval et chassait les loups avec un fléau d'arme dont la masse était en pierre et la chaîne en cuir.

Vers 40 000 avant JC  et pendant une longue période, l'homme s'est évanoui de nos régions. Nul ne sait vraiment pourquoi, mais il est probable que le retour d'une ère glaciaire a naturellement poussé des peuples, nomades de nature, ailleurs.

De l'époque de  la grotte de Lascaux à l'arrivée des Celtes, soit  des années  35 000  jusque vers l'an mil avant notre ère, les groupes humains ne connaîtront pas d'assignation à demeure et trouveront vers l'avant leur raison d'exister.

Parfois, à l'occasion d'un arrêt dans une grotte pendant plusieurs générations, l'homme conscient déjà des évolutions du monde transcrira ce qu'il a vu et ressenti. Mais le monde est trop vaste et trop riche  pour que ne soit nécessaire sa transformation. Ce n'est, en toute vraisemblance, que vers les années trois mille avant le Christ que la sédentarisation va se produire. Le Sahara devient sec et chasse ses populations vers le Nil et l'Euphrate. Les peuples des Indes qui connaissent déjà l'agriculture et l'élevage vont pénétrer en Asie centrale et par vagues successives en Europe. Ceux du Sud profiteront de la mer méditerranée pour atteindre les côtes de France  et ceux de l'est des grands fleuves européens et de la mer baltique.

Lesquels arrivèrent les premiers entre ceux du sud et ceux du Nord-est  ?

La logique donne un avantage indiscutable aux tribus venant du Sud plus proche . Celles d'Asie centrale ne manqueront cependant pas à l'appel. Chacune finalement apportera quelque chose. L'Europe du Nord est alors recouverte d'une épaisse forêt et de nombreux marécages. Pour vivre et se déplacer dans ce monde, plusieurs instruments s'avèrent indispensables: le cheval qui permet de longues expéditions en hiver, saison où les reconnaissances du relief sont, grâce aux vues, rapides et sûres, la vache et le cochon qui constituent le garde-manger, enfin  le feu qui peut tout . Dire que le peuple venu du Sud arriva le premier est une spéculation intellectuelle bien sûr, d'autant que le pays était déjà peuplé de quelques tribus taillant le silex et vivant de chasse et de cueillette. Ainsi au sud du département à Fère en Tardenois , des fouilles ont révélé l'existence d'une tribu de l'époque postglaciaire, utilisant surtout l'os, qui a séjourné de 7000 jusqu'à 3000 av J.C environ.

 La confrontation cependant ne sera pas longue entre les tribus de l'âge de pierre taillée et les arrivants qui connaissaient la pierre polie et la poterie. La technologie du four, qui est la prison du feu sous terre, marque une avancée prodigieuse que les Grecs célébreront en désignant comme dieu Vulcain : ne  personnalisait-il pas  le franchissement de cette étape ?  En Afrique,  encore aujourd'hui, de nombreux peuples refusent l'emploi de ces instruments et préfèrent le vrai feu qui caresse de ses flammes les chairs de l'animal à cuire.

Le four amènera, plus tard,  d'autres révolutions : le bronze qui va caractériser une large période protohistorique et surtout le pain.

Sur les sites de Campigny, Vers sur selle, Chaussée -Tiran court dans la   Somme, les vestiges démontrent les premiers linéaments d'une industrie. La population est sédentarisée, honore ses morts et produit des poteries en petites séries.

Alors que des traces de traditions danubiennes se manifestent dans le pays , le    bronze viendra sans doute du Sud avant que le fer ne vienne du Nord.

L'âge du Bronze aura dans la région moins d'importance qu'ailleurs. Les   Grecs dont la culture domina le monde le maîtrisaient et  cela suffira à leur puissance  militaire en Orient et même en Occident .Ceux-ci fondèrent Marseille, la phocéenne, et  poussèrent, secondés par d'autres peuplades indo européennes( les Italiens), une civilisation méditerranéenne qui avait assimilé la fabrication des objets en bronze jusque chez nous. Cette civilisation porte  le nom de civilisation ligure . L'habitat était en bois et si les toitures étaient le plus souvent en chaume, quelques essais de toitures en tuiles furent tentés. Les poteries et les vases  gardaient les premières semences  et les premières salaisons. A l'instar des autres peuples du monde, le polythéisme était la croyance commune et l'explication du monde, la cosmogonie, ne  pouvait venir que de représentations rituelles voire théâtrales, parfois accompagnées de sacrifices.

Cette civilisation, maître dans l'art de l'or, du bronze et de la poterie, a dû parvenir vers l'an mil avant JC et situe le degré d'évolution de l'espèce humaine. L'un des seuls vestiges laissés chez nous est le théâtre de Vendeuil. Sa taille moins impressionnante que celle des théâtres grecs et romains permet de réunir plusieurs centaines de personnes. Ce n'était plus des hordes à mâle dominant qui vivaient alentour mais bien des humains qui s'assignaient un rôle sur la terre et se savaient dépositaires d'une mission divine.

Sans beaucoup de fondements ni de preuves, il a été attribué à la civilisation ligure la paternité des cités lacustres. Il est vrai qu' une conjonction de faits corrobore cette supposition.

 La population est largement sédentarisée, maîtrise la technologie du four et du fourneau, sait bâtir en bois des huttes pérennes . De plus, le marais ou le lac est une protection naturelle contre les loups . Enfin , le cours d'eau proche permet dans des poches de cuir, des vessies d'animaux  voire des  amphores , le transport du sel qui vient de la mer en remontant la Somme, l'Oise ou l'Escaut.

Ces paramètres rendent très vraisemblables les cités lacustres dans la région. Les marais de l'Omignon, de la Somme et de l'Oise offraient des cadres privilégiés de vie et le plus proche compagnon de l'homme porte confirmation de cette longue période d'habitat dans ce milieu semi aquatique . Ce compagnon , vous l'avez reconnu, c'est le bouvier de Picardie, chien de marais par excellence qui, comme tous les chiens, a été façonné par l'homme et son milieu. Notre autre compagnon fidèle depuis la nuit des temps atteste de notre premier logement. Le canard domestique authentifie toujours notre cuisine régionale. En regardant un vol de canards sauvages, une évidence s'impose : des millénaires ont été nécessaires pour fixer cet animal insaisissable autour de nos demeures.

Vers l'an huit cents avant J.C, le Vermandois n'était donc plus une terre ouverte, une communauté y avait établi ses dieux, façonné ses chiens, fidélisé des oiseaux et y entretenait le feu sacré.

La géographie lui avait désigné une place au  carrefour du monde et donc une première loge dans l'histoire de l’humanité.

LES CELTES .

Des millénaires s'étaient  écoulés qui n'avaient effleuré le paysage que d'un souffle. L'homme debout d'Abbeville qui, du haut de son 1 m 05, bravait les derniers monstres de la préhistoire avait été suivi par l'homme de Neandertal, 1m 30, des talents d'artistes et une toison de bête fauve, puis enfin  par l'homo sapiens, encore plus grand, presque imberbe et qui priait !

Le Vermandois était, à l'orée de l'an mil avant JC, dans son état originel, quasiment.. puisque la période antérieure aux glaciations et à la disparition des dinosaures se situait dans des temps immémoriaux. Le premier aperçu visuel du pays fait ressortir  les cours d'eau qui  sillonnaient au travers des terres, comme maintenant, dessinant une hélice à quatre pales  incurvées dans le sens des aiguilles d'une montre. La Somme et l'Omignon partant à l' ouest, l'Escaut cherchant le plat pays du nord , l'Oise enroulant  du nord-est au sud-ouest donnaient   l'impression d'un début de rotation d'un fluide en expansion. En considérant ces sinuosités de l'extérieur de l'épure, les caractères de convergence et de concentration s'imposent à l’œil.

Ici se croisent nécessairement les habitants du bord de la Seine et de la Loire, ceux de la Somme et ceux qui descendent de la Sambre et de l'Escaut.

Or les fleuves ont été les fils conducteurs des humanoïdes en marche. L'eau est plus importante que la nourriture pour le corps humain. Dans les hivers glacés, les fleuves assurent toujours un peu de nourriture à ceux qui laissent filer un hameçon en os avec un peu d'appât dans le courant. C'est aussi une barrière  naturelle pour le feu lorsque souvent volontairement la forêt flambe. Les animaux domestiques de nos régions eux aussi boivent beaucoup. Ce rappel de bon sens situe la raison de l'arrivée des hommes chez nous et la signification que pouvait avoir le fait de passer d'un fleuve à l'autre en franchissant des distances de l'ordre de 10 km qui séparaient les bassins. Toute notre histoire est inscrite dans cette géographie particulière qui fait que, de chez nous sans quitter les fleuves nourriciers, on peut aller, à pied sec , de Rouen à Rotterdam, des côtes anglaises jusqu'à Dijon et même à Rome. Car si la vie ne se conçoit qu'au bord de l'eau courante, l' homme craint l'eau par une peur atavique, autant que le cheval qu'une flaque effraie. Le souvenir des hippopotames  qu'avaient vus les Abbevilliens devait continuer à être évoqué lors des veillées !  Voilà  pourquoi les bandes de terres qui joignent l'Omignon à l'Escaut , l' Oise et la Sambre , la Somme et l'Oise ont joué une place si importante dans l'histoire de notre Occident, des origines jusqu'à la dernière guerre, où les ponts sautaient allègrement pour rendre au paysage sa vérité séculaire.

Ce cadre géographique, les habitants peuvent le contourner en une journée de cheval, ou trois heures de voiture .

De Péronne à Roisel puis vers Vendhuille sur l' Escaut, de   Bohain à la Sambre et en redescendant par l' Oise  vers Moy,  Tergnier et en retrouvant la Somme    jusqu'à Ham , rapidement vous aurez, sans mouiller vos pieds, pu poser au fil de l'eau des messages pour les côtes d'Europe de la Bretagne jusqu'au Danemark et confié à des porteurs capables de remonter les courants des mots pour  vos relations de Langres , Paris,  Troyes, Reims, Metz, Ulm, Strasbourg, Bâle, Hanovre....

Cette possibilité, par faute de perspectives de l'homme terrien, ne sera jamais totalement perçue, mais les fleuves , joueront, à l'insu de nos ancêtres, le rôle de guide et tout ce qui compte d'envahisseurs montés ou non fondront sur les quelques arpents de notre région, laissant heureuses ou tristes traces.

Vers l'an mil avant l'ère chrétienne, venant vraisemblablement du Kazakhstan et appartenant à des races détachées du creuset des Indes arriva le long de l'axe Hanovre -Liège, en ayant très vraisemblablement cheminé aussi jusqu'au nord de l'Italie, une tribu velue ou la femme connaissait le fourneau  et excellait à faire de beaux à l'âme simple. La musique avait une place magique et la flûte et la harpe accompagnaient la transhumance. Les croyances s'étaient enrichies au long d'une pérégrination lente lors des confrontations avec les civilisations d'alors. Les dieux étaient multiples mais à l'instar des divinités indoues, derrière des apparences, c'était souvent  la même force qui était reconnue. La cosmogonie servait surtout à désigner le chef qui pouvait être une femme. Ainsi, élu par les hommes et par le ciel, le chef devenait roi et il tirait de là sa légitimité.

Ce peuple arriva donc de l'est, comme d'autres, avec une vision aussi compliquée que les autres mais avec deux atouts : le four et le fer.

L'histoire du fer occupe une place centrale dans celle de l'humanité car, n'en déplaise à tous les philosophes et théologiens, sa découverte et son exploitation  ont placé l'Europe du Nord dans une position privilégiée vis à vis du reste du monde. La métallurgie, industrie née de l'art des maréchaux-ferrants donna beaucoup plus de force et de puissance  à nos régions que la sagesse ou la culture de ses  habitants. La présentation historique de notre continent  a toujours sous-estimé cette découverte pour des motifs militaires, voire d'espionnage et au nom de l'éthique . La vérité du dieu des Hébreux était plus forte que le glaive, sans doute, mais cette épée était en bronze ! Celle des chevaliers chrétiens sera en fer. Pour tous les intellectuels, rabaisser ainsi les valeurs de la cité occidentale est une démarche honteuse. Pour les gens de toutes les églises, le fer est le fruit de l'enfer . Vulcain est banni sous terre. Dans la mythologie allemande, ce sont des  nains affreux  qui couleront le métal, les Nibelungen dont Siegfried volera le trésor.

 L'âge du Fer, dans l'histoire mythologique, marque le début de l'humanité méchante. Le fer est depuis l'origine  maudit et  le restera jusqu'à l'apparition d'une malédiction plus terrible : la bombe atomique soit pendant près de 29 siècles et demi.

La première coulée a dû avoir lieu 1000 ans avant le Christ entre la Suède, où le minerai est abondant et les monts métalliques du Harz en Allemagne.

Ce petit massif proche des provinces de Hanovre et du Brunswick   est bordé par deux fleuves dont il faut souligner l'importance, du fait de leur cheminement latitudinal : la Weser et la Saale.

Avec les Celtes nomades, la métallurgie traversa le Rhin pour s'implanter le long de la Sambre, adossée aux réserves forestières des Ardennes.

Vers 800 avant notre ère, les Celtes pénétrèrent dans le Vermandois   et s'y installèrent durablement. Les signes de leurs passages foisonnent aux quatre coins de nos cantons comme dans beaucoup de sites en France. Ici pourtant se trouvait l'avancée significative : la tête de pont de cette invasion pacifique. Les dieux celtes remplacèrent les croyances obscures des Ligures avec une tête en plus: Gofannon, le forgeron. Parmi les divinités qui n'étaient que des avatars, il faut citer, pêle-mêle : Sucellos, dieu de la fécondité cousin de Cybèle et de Sylvain,  Esus, le dieu des forêts, plus connu des cruciverbistes que des gardes, le dieu des troupeaux, Smertios ou Ognios, le dieu du commerce: Lug qui donnera son nom à Lugdunum( Lyon),  Donn ( Donnerwetter!), le dieu sombre de la terre, Belenos le guérisseur , Mallo, dieu de la guerre.

Tous figurent parmi les grands et  veulent régner sur l'univers. Les petites divinités sont, elles, plus proches de nous : Matrae protège les sources,   Arto divinise l'ours, Epona les chevaux et Taranis le chêne, ce bois si dur que  seul le fer pouvait entamer et dans les branches duquel  fleurissait le gui, cet autre  prodige de la nature qui donne un fruit blanc en hiver  à cueillir uniquement avec une serpe d'or!


Statuette d'un Dieu Gaulois de la Guerre retrouvée en Picardie

Les dieux, qui se prétendaient venus depuis la création du monde, trépassèrent et leurs souvenirs  furent plus éphémères que la rosée du matin. Les Celtes ne leur devaient qu'une considération modérée car ce qu'il nous reste de cette glorieuse peuplade nous    apparaît d'une utilité beaucoup plus matérielle : les buttes celtiques,   nombreuses dans le Vermandois, souvent oubliées et mal entretenues, il est vrai qu'elles ne recèlent pas d'or, sont de conception très pragmatique. Leur message est cependant essentiel à la compréhension de notre pays. On sait que ces tumuli ont été érigés, depuis le lointain Kazakhstan, partout où les Celtes ont séjourné.

Comme une grande partie des premières  recherches archéologiques a été initiée par des idéalistes de l'époque romantique, les explications fournies en premier relevèrent du pur délire poétique : les buttes commémoraient de brillants chefs guerriers morts au combat. Sous chacune d'elle reposait donc un héros ! Vermand, Attilly, Flavy le Martel seraient des sanctuaires ....L'interprétation suivait en droite ligne la mode académique pour l' égyptologie et confondait les pyramides avec nos monticules, le pharaon avec de beaux soldats.

Nos prédécesseurs, quasiment nomades, n'avaient pas le fétichisme de la mort non plus que celui du héros! Quand la bravoure se mesure chaque jour contre les animaux sauvages et que la fin tragique est une compagne collective, les morts ne peuvent être vénérés que démocratiquement et sans ostentation. Non, les buttes  servaient les vivants et participaient à la force des Celtes autant que le fer. Vermand porte dans son site toute l'explication de notre histoire. Sur une butte, qui permet de dominer la cime des arbres, les vues portent loin et presque de tous  les côtés. Tout alentour, de petits reliefs sont en vis à vis et la distance qui sépare notre observatoire de ses satellites n'excède pas deux heures de chevauchée.

De nuit, la proximité est encore plus flagrante et un petit feu, allumé sur le sommet des buttes encore connues à ce jour,  est visible à 30 kilomètres à la ronde.

L'intérêt des buttes se déduit du réseau qu'elles constituaient . L'ennemi viendrait nécessairement par la ligne de crête et par les bois  et l'arrêter avant la lisière était un combat incertain, toutes les secondes comptaient et la technique de la fixation et du contournement était une astuce militaire déjà bien connue. La butte servait ainsi de poste d'observation et d'alarme. L'ennemi repéré était harcelé, mais à la manière de coups d'éperons dans les flancs , sans plus et jusqu'à être tiré vers la butte. Là, les maigres combattants faisaient front avec l'énergie du désespoir et la certitude qu'une résistance de une à deux heures suffisait pour que toute la région armée encercle les assaillants, impitoyablement. Le dos contre la butte, ou à cheval chargeant en direction de ce relief, les soldats de la région mourront nombreux en contrebas. La mémoire des combats subsistera un peu plus longtemps que l'utilité de l'édifice, mais l'entretien des buttes pour des motifs spirituels devint un luxe trop lourd , elles  retournèrent à la terre lentement. Avaient -elles encore un sens à l'époque de la gloire des Celtes que l'histoire transforme insensiblement chez nous en Gaulois chevelus ? Vers 560 avant JC, les Gaulois descendirent jusqu'à Rome et les auteurs grecs parleront d'eux avec frayeur mais aussi un brin d'admiration. L'élevage et le ferrage des chevaux  avaient donné des arguments aux tribus pour aller au Sud en vainqueur. Mais  Rome vaincue se souviendra de la leçon alors que nos guerriers ne ramèneront de la capitale du Latium que des pacotilles. Deux mondes s'étaient rencontrés, mais, comme l'enseigne l'histoire des siècles, seuls les vaincus sortaient plus forts.


Les premières habitats collectifs.

La ville éternelle commença, dès lors, à s'armer comme l'ennemi, à  organiser la cité pour sa défense et sa gestion et à programmer son ascension vengeresse. Les hordes gauloises, triomphantes repartirent plus divisées par le partage du butin qu'elles n'étaient arrivées et fort heureuses de ne pas vivre dans une ville marécageuse, surpeuplée et assez malodorante. Ses membres retrouvèrent  vite leurs habitudes de campagnards convaincus de leur supériorité corporatiste et ne ramenèrent  ni l'écriture, ni les déclinaisons. C'était écrit, l'écriture latine prendra sa revanche et donnera l'acte de naissance de la matière de notre livre.

Du cinquième au premier siècle avant notre ère, pendant quatre cents ans environ , le site de Vermand fut le centre lumineux d'un cercle qui allumait, sur toute la circonférence, des feux de signalisation.

Plusieurs villages se spécialiseront dans la métallurgie du fer , Bohain, Péronne , Flavy le Martel et développeront les outils de base de la chasse, de l'élevage et même des poignards. Dans les fours, aux multiples usages,  seront aussi préparés des poteries pour la conservation des aliments, des statuettes et sera même inventée ce produit si courant aujourd' hui : le jambon.

A une américaine qui riait du nom de Ham, intriguée par l' homonymie de ce village français avec le jambon glissé dans son hamburger quotidien, il m'est arrivé de dire, en plaisantant que c'était le lieu même où le jambon anglais avait été découvert.

Les porcs et les sangliers domestiques constituaient déjà un aliment de choix pour des familles qui savaient cuisiner dans des fours et dans des moules en fer, résistant à la flamme et qui ne disposaient pas de suffisamment de sel pour conserver des aliments par seule salaison.

Avec la sécurité conférée par les buttes, la science du feu, de l'eau et du bois à profusion , les Celtes Gaulois vécurent heureux longtemps chez nous, avec des réserves de nourriture à faire pâlir de jalousie toute l'Afrique.

Des sépultures dites de l'époque mérovingienne ont été retrouvées dans presque tous les villages de notre contrée, malheureusement au siècle dernier à une époque où la datation au carbone 14 ne figurait pas dans l'équipement de base des paléontologues amateurs.

Près de Vendhuille, au lieu dit le " camp de Leziaux ", fut mise à jour la tombe d'un homme de cette époque lointaine. L'homme savait que ses restes deviendraient poussière : aussi, c'est à notre intention que dans son sarcophage boîte aux lettres, il repose avec une épée en fer dans la main gauche, épée courte et droite à deux tranchants, à la ceinture, un poignard et un couteau, une lance également et la fameuse hache militaire à deux faces: la francisque.

Cet attirail solennise le rôle du fer et authentifie la puissance du défunt. Les pièces d'or gauloises sans inscription écrite mais figurant côté pile un soldat casqué et côté face un cheval fougueux  complètent le viatique. A sa réincarnation, ce personnage aurait droit au tapis rouge, à des égards et à de la considération, même au 21ème siècle !

Le sens de l'éternité habitait déjà entre Somme et Escaut. Outre les buttes que plusieurs historiens qualifiaient de tombelles, sans jamais avoir excavé d'ossements de ces terres rapportées, les sépultures qui ont été retrouvées à Achery, Anguilcourt, Brissy-Hamegicourt, Caumont, Cugny, Gouy, Moy, Noyelles, Pontruet, Seraucourt, Thenelles, il faut citer les pierres dressées, connues sous le nom de Menhirs.

Les péripéties de l'histoire et la méconnaissance des signes ont eu raison de la plupart de ces monuments. A Gouy subsiste un lieu dit " le château des Hautes Bornes", seul le nom reste des édifices à usage d' habitation et à usage rituel.

A Beaurevoir, le site de la butte a conservé le nom de "haute Borne", à Bois et Pargny, un menhir de 4.80 m de haut se dresse encore rebaptisé le verziau de Gargantua (la pierre à briquet).

Le menhir de Doingt atteint lui aussi la hauteur respectable de 4 mètres de haut. A Ham, plus modeste avec ses 2m 50, l'imaginaire populaire lui a attribué une singularité : la " pierre qui pousse" fait un tour sur elle-même chaque nuit de Noël ! Il fut dit aussi que Gargantua, en passant à travers le pays, sentit dans son soulier quelque chose qui le gênait et secoua sa chaussure ... A Bellicourt, on peut encore voir un dolmen à la " pierre large". A Tugny et Pont, le Menhir porte le nom savant de Mégalithe de la Pierre à Beni.

Le message des Menhirs reste à décrypter et pourtant d'Irlande à Carnac, il transmet un salut collectif, une affirmation d'unité au delà des distances.

Une foi commune, une "Weltanschauung", la cosmologie se matérialise pour les spectateurs futurs.

Saint Thomas d'Aquin, en s'interrogeant sur la fécondité de la terre de France en Saints et Saintes, écrivit : " Parce qu'en Gaule l'attachement au sacerdoce chrétien devait être très fort, il fut permis par Dieu que, déjà chez les peuples gaulois, les prêtres, qu' ils appelaient druides, définissent le droit de toute la Gaule".

Parce que la terre portait en elle une valeur sacrée, les Celtes  de chez nous croyaient en un destin supérieur et étaient prêts à lui sacrifier leur existence. Le sacerdoce avait déjà un sens.

L'autre vestige indiscutable de la longue présence celtique se trouve contenu dans le nom de la grande majorité des villages de chez nous. Les consonances des lieux habités dans les points bas comme Moy, Attily, Athies, Origny, Y, etc, ..tous les villages à terminaison Y,  nous le rappellent amplement.

Maître des lignes de crête grâce aux buttes, Les Celtes vivaient près des plans d'eau et des terres grasses une vie agreste heureuse et n'auraient jamais imaginé que des envahisseurs ultérieurs viendraient construire des demeures sur les points hauts, battus par les vents, sans eau et à la merci des bêtes sauvages.

C'est ainsi que les villes et villages situés sur les sommets portent chez nous des noms d'origine latine ou des noms de saints. Les Romains pour implanter leurs oppida et les Saints pour fonder des abbayes, ne trouvèrent, en effet, de terre libre que sur des points élevés.

Les vérifications de cette réalité historique, pourtant vieille de plus de deux mille ans, surabondent!

Listes. des buttes, Tumulus, Tombelles.

Annois, Attily, Clastres, Croix-Fonsommes, Cugny, Etreillers, Fieulaine, Fluquières, Fonsommes, Foreste, Frières-Faillouël, Flavy-le-Martel, Guivry, Holnon, Lesquières St-Germain, Maissemy, Moy-de-l'Aisne, Omissy, Pontru, Vermand, etc...

LES GALLO-ROMAINS .

Entre les hypothèses des chercheurs de la préhistoire, la vision des vestiges laissés et les brumes des connaissances historiques, l'imagination de chacun est appelée à combler les interstices obscurs. Astérix, Obélix et leurs créateurs ont réalisé une résurrection ludique proche du véridique sinon du vrai. Les preuves attestent, en tout cas, que de 1400 avant J.C jusqu'à l'arrivée des Romains et la mention par  Ptolémée de l'existence de notre contrée parmi le monde connu, nos ancêtres vécurent dans un cadre raffiné et équilibré. L'écriture n'était pas le fondement de la société et ce fait seul, vu d'une époque où les médias ont confondu liberté d' informer et information libertaire, la rend sympathique et conviviale. Le pâtre et le paysan vivaient au milieu de sa famille élargie, à l'abri de buttes et de leurs feux. Les divinités cohabitaient pacifiquement et des hommes étaient appelés à des fonctions religieuses. Une mémoire collective avait pris racine et la généalogie des patriarches gravait les cellules cérébrales des jeunes dès le plus jeune âge. Le fil ne reposant sur aucun écrit dut être étiré fidèlement pour que, au dix neuvième siècle, il soit rapporté que Saint-Quentin fut fondée par RHOMUS ou RHOMAUS, 17ème roi des Gaulois qui devait vivre vers 1440 avant notre ère .......

Vers l'an 200 avant JC, un évènement lointain provoqua un cataclysme radical. L'Empire de Chine dont le niveau de vie était à cent lieues du nôtre acheva l'ouvrage que les cosmonautes aperçoivent encore à l’œil nu de leur capsule: la grande muraille.

En Occident, les éléphants d' Hannibal effrayèrent l'Espagne, la Provence et le Latium en vain et Carthage finalement passa sous le joug de Rome. L'univers grec pourtant à son apogée, à cause de la funeste alliance des successeurs d'Alexandre avec les puniques,  connut le même sort.

Moins étonnant qu'il n'y paraît quand on connaît aujourd'hui l'affliction que vivent les fonctionnaires affectés au nord de la Loire, le Vermandois est plus proche des steppes et de la Mongolie que de la Méditerranée. En effet, les premiers tremblements vinrent de l'Est.  Une tribu de Belges pénétra dans notre zone, apportant vraisemblablement l'orge et la technique du malt nécessaire à la bonne bière. La qualité de la terre, l'eau et la bonne température de nos hivers firent le reste pour donner aux fruits de la vigne qui poussait chez nous en sa limite nord extrême une concurrente redoutable. Pas sitôt tirée, la boisson mousseuse fut ingurgitée par les Cimbres qui n'eurent que le temps de préparer la cuvée des Teutons.

Cette dernière peuplade, poussée par d'autres, fut appelée par le destin à un rôle particulier puisque, deux mille années après  leur premier passage, l'évocation de ceux ci ranima en chacun, dès la vue des casques à pointe  un subconscient stupéfié par la brutalité et le sens de l'obéissance.

Pillards comme les autres, ils avaient, en plus, une manière de faire indélébilement teutonique qui sacralisait la force et bafouait le droit. Les Teutons crurent pouvoir dominer l'univers et affrontèrent Rome jusque dans son sanctuaire.  Comme leur Führer fut vaincu à la bataille d'Aix-en-Provence, cette funeste envahisse use implosa et quitta la scène pour quelques temps.

Amenés par les Teutons, des cousins germains avaient pris rang dans le chapelet des invasions, si bien que la civilisation gauloise, qui n'était qu'une imbrication de peuples attachés à leur sol et avec des croyances voisines, optera progressivement pour l'empire du Sud.

Le peuple celte, maître du feu et du fer, n'apporta pas son adhésion au modèle germanique et se trouva plus en communauté de pensée avec les Romains, non les légionnaires stupides mais avec les vrais Romains. Virgile, auteur des Bucoliques et des Géorgiques, fut le plus grand de ses poètes et mérite le titre de premier citoyen d' honneur de notre région.  L'abbé Coliette qui rédigea le premier ouvrage sur l'histoire du Vermandois  en 1758 mit en exergue la citation du grand poète latin.

 

   "  Salve, magna parens frugum, Viromandua tellus,

       magna  virum : tibi res antiquae laudis & artis.

       Ingredior, sanctos ausus recludere fontes"  

                                                                 Géorgiques Livre 2 ver 173

        Oh Sainte, mère de grands fruits, terre du Vermandois ,

        de grande potentialité : à toi la  pratique antique des laudes .

        Laisse pénétrer les saintes fontaines"

La référence à Virgile n' avait aucune portée historique car ces vers étaient connus de tous les lettrés du temps et chacun savait que ce n'était pas le nom du  Vermandois qui figurait dans la version originale. Toutefois, l'emprunt à Virgile valorisait indiscutablement, aux yeux des lecteurs de ce temps, l'affirmation d'une communauté d'amour de la terre et de ses beautés par delà les siècles.

Nous aurons par la suite à reparler de Coliette et de son ouvrage mais il nous faut remarquer, dès son entrée en lice,  l'esprit très particulier de l'époque où il écrivit. Sous la présentation savante, on découvre vite un polémiste sourcilleux, souvent imbu et suffisant, qui semble en guerre contre des hérésies. Dans ce climat, toute inflexion de la réalité trouvait un bien-fondé idéologique qu'il est bien difficile de comprendre aujourd'hui.

Les raisons invoquées par l'orthodoxie historique de la conquête des Gaules par Jules César sous-estiment toutes l'aspect subjectif de cette opération militaire : César n'aurait engagé les légions que pour  "pacifier " des régions barbares ou pour assurer la route de l'étain vers l' Ecosse et l'Irlande !

En vérité, Rome et Jules étaient plus fins que cela !

La richesse et la beauté de nos terres étaient bien connues de nos voisins et un commerce florissant existait depuis longtemps. Les tribus qui les peuplaient étaient certes turbulentes et fières mais une majorité de celles-ci vivaient déjà sous les lois romaines ou bien avaient fait allégeance. Ce qui intéressait Jules et le Sénat romain était d'opérer une conquête assez facile, qui assurerait des réserves de blé pour Rome atteignant le million d'habitants, hors de portée de l'Orient, certes  sous contrôle, mais où l'influence de la civilisation helléno-macédonienne damait le pion à l'hégémonie latine.

Par-dessus tout, la conquête militaire était la meilleure source d'audimat connue au Sénat pour un jeune général ambitieux. César va donc programmer sa guerre en parfait stratège des relations publiques et en grand technicien des médias. Son ouvrage littéraire n'a, de ce fait, rien à voir avec un dossier de communiqués de bataille, ni avec un traité de stratégie militaire, ni avec un journal de bord. Rien de bien  précis n' y figure et pourtant il ne cesse d'être lu et relu par tous les historiens à la recherche de notre passé.

Relisons donc le livre deux qui relate la seconde campagne, soit en 57 avant JC.

La Guerre des Gaules s'est trouvé ainsi être le premier ouvrage parlant de nous.

Après sa première année de campagne en 58 av JC, dont l'objectif était de protéger la Franche-Comté , la Bourgogne et la Suisse, déjà alliées à Rome contre les Germains et les Suèves qui, quittant les plaines d'Alsace, voulaient voir la mer,  César publia son premier livre et laissa ses troupes se reposer près de Dijon.  La tribu voisine était celle des Rèmes  dont le sanctuaire était la montagne de Reims . Coincée entre la Rome puissante au sud et les belges au nord et à l'ouest, un choix s'imposait et Iccios et Andocumborios, nommés pour la circonstance représentants du peuple rème, vinrent eux-mêmes déclarer leur alliance à César qui, avec le printemps, remettait ses troupes en marche pour de nouveaux pillages.

Les Rémois indiquèrent clairement que le Soissonnais qui abritait un peuple frère conspirait avec l'ennemi et que les Belges du nord avait l'appui des Germains situés à la droite du Rhin. Le plan de campagne fut ainsi tracé par la traîtrise.

 

César comprenait vite et agissait pareillement .

L'effectif ennemi fut chiffré comme suit sur la base des déclarations rémoises :

                           Bellovaques Beauvais                         100 000 dont 60 000 d'élites

                           Suessions  Soissons                               50 000

                           Nerviens   entre Escaut et Sambre     50 000

                           Atrébates  Artois                                  15 000

                           Ambiens   Amiens                                10 000

                           Morins      Boulogne                             25 000

                           Ménapes   Embouchure Escaut             7 000

                           Calètes     Normandie Nord                  10 000

                           Véliocasses Vexin                                  10 000

                           Viromandues Vermandois                    10 000

                           Atuatuques    Namur                             19 000

                           Condruses     Ardennes \

                           Eburons               "          \                     40 000

                           Caeroesi              "         /                    

                           Pémanes             "        /     

                                                                     Total           346 000

Ce chiffrage n'avait rien d'un recensement et évaluait la population en situation de prendre les armes beaucoup plus que des armées régulières. Les Bellovaques et les Suessions étaient " donnés " comme le risque majeur. Il n'en était rien mais les Rèmes comme César savaient déjà exploiter les statistiques qui sont la troisième forme du mensonge.

Rome disposait de quatre légions aguerries et de quatre nouvelles, soit 40 à 48  000 véritables soldats répartis en cavaliers numides, archers, frondeurs et la troupe.

Prétextant des troubles et des préparatifs d'agression de la part des Belges qui commençaient à se grouper autour de la Fère, César passa au nord de l'Aisne et installa son camp au delà de la rivière surmontée d'un pont. Il laissa, sur la gauche du fleuve, Quintus Titurius Sabinus avec six cohortes. Bibrax constituait une place fortifiée à l'extrémité du périmètre des Rèmes . Les Belges s'en approchent et attaquent les remparts . De nombreuses polémiques débattent encore sur la localisation de Bibrax. Si ce n'était pas Laon , c'était un des plateaux voisins . Averti, César lance en avant, de nuit,  des troupes légères. Les Gaulois pris par devant et par derrière contourneront l'obstacle par le sud pour se poster face au camp de César. Les feux, placés sur les sommets du massif qui dominent, s'étaleront sur 12 kilomètres. César reconnut qu'il commença par surseoir à la bataille, puis calcula que cette troupe ne devait pas être supérieure en nombre à la sienne. L'habilité de César fut après de laisser les Belges descendre vers la tête de pont et de la contourner en mettant les pieds dans l'eau. Profitant du pont, les cavaliers firent des incursions dans les lignes arrières de la troupe embourbée pendant que les frondeurs et archers faisaient, de l'autre rive, un carton. Il n'en fallut guère plus pour que la glorieuse coalition rebrousse chemin avec des airs de débandades.

 Les cavaliers numides se firent une joie d'étriper les fuyards et revinrent le soir au camp prudemment . César, fort de cette victoire, ordonna, dès le lendemain la marche forcée sur la capitale des  Suessions . Pour conquérir la place, il fait monter à l'assaut les archers  derrière des panneaux de bois et de peau légers que les autochtones n'avaient jamais vus auparavant. Le combat fut si bref que les Suessions obtinrent grâce pour leurs vies au prix de la prise en otage des deux fils du roi Galba. Les Bellovaques pourtant si nombreux sur la table d'effectif, regroupés dans leur capitale( lieu indéterminée mais entre Compiègne et Creil), furent encore moins ardents et dès que l'armée fut en vue de Bratuspantium, les vieux, puis les femmes et les enfants sortirent en tendant les mains.... Comme la région était riche, César prit six cents otages .

Il ne restait plus que 176 000 hommes à soumettre.

Les Ambiens n'obligèrent pas César à traverser tous les plateaux picards entre Oise et Somme, ils se "hâtèrent" de faire soumission complète et vinrent dire pis que pendre des Nerviens, ces voisins du Nord qui ne buvaient pas de vin, rejetaient les produits d'importation et ne portaient pas de bijoux.

D'un point que nous situerons entre Montdidier et Roye, les Romains partirent attaquer les Nerviens . Cela prit trois jours de marche, dit Jules César, et la position des troupes coalisées fut connue lorsque la longue cohorte arriva à  15 kilomètres de la Sambre.

Pendant tout ce trajet de 120 Km, l'armée romaine contourna le Vermandois par le sud en longeant l'Oise. Du haut de nos collines et des buttes, nos ancêtres virent passer les légions et firent d'intéressantes observations. Au chapitre des interrogations posées pour l'éternité, se trouve celle de savoir pourquoi César ne coupa pas au plus court au travers de notre région. Il passa prudemment au large et les Viromandues constatèrent :

 a) que les légions avançaient séparément , suivies chacune par la cohorte de leurs bagages et fourbi de campagne

 b) que la cavalerie légère redoutable pouvait être très gênée dans les terres de bocages aux nombreuses haies.

Ces deux indications, communiquées aux Nerviens, déterminèrent le moment et le lieu de la bataille. Bien que les Atuatuques ne soient pas arrivés, l'ordre de bataille fut donnée. César venait juste d'installer son camp sur une hauteur dominant la vallée mais, en vieux renard, venait juste d'adopter une progression plus resserrée, en regroupant les six légions en tête de colonnes avec les "impedimenta" (bagages) précédant les deux légions fraîchement constituées. La colonne était encore étirée et les cavaliers de reconnaissance traversèrent le fleuve. La cavalerie belge passa à l'attaque pour faire diversion et fixer l'ennemi, le gros des troupes attendait caché à la lisière des bois de voir arriver le début du convoi des bagages. A ce moment-là, la forêt se mit à courir, passa la rivière et remonta vers le camp romain.

César, débordé, reconnut dans son livre qu'il ne dut sa victoire qu'à l'expérience de ses capitaines qui surent pallier l'absence de commandement.

Sur l'aile gauche des Romains, la 9ème et la 10ème légion firent face aux Atrébates et les refoulèrent sous une pluie de javelots jusqu'au fleuve. Les Viromandues devaient être logiquement sur le flanc gauche des Atrébates et affrontèrent la 8ème et la 11ème légion. Le combat était numériquement équilibré mais Rome figurait dans une catégorie de professionnels et les nôtres chez les amateurs. Nos combattants furent également repoussés jusqu'au fleuve. Sur la droite, les Nerviens firent un combat superbe et pénétrèrent même  dans le camp retranché romain.

 La cavalerie errait, le flanc gauche était immobilisé, le front droit flanchait. Les cavaliers gaulois trévires, alliés de Rome, s'avisèrent que la paix des braves ne leur serait pas consentie et tournèrent casaque.

 

César ne dut son salut qu'aux deux dernières légions qui vinrent rétablir la supériorité numérique qu'il s'était bien assuré depuis le départ. Dans aucune autre page de la conquête des Gaules, César n'avoua avoir été aussi près de la défaite et en opposition avec des combattants aussi héroïques. L'hécatombe fut à la hauteur de l'âpreté du combat et César présenta au peuple de Rome comme une largesse le fait de laisser la jouissance de leurs terres aux quelques survivants. A lire entre les lignes, chaque citoyen de la ville-éternelle comprenait que des terres innombrables se trouvaient vacantes. La fin de la campagne consista à asservir l'Artois et à confier tous les territoires à la puissance romaine. César faisait des campagnes dans un but simple : celui de mettre en place une administration qui devait lui rapporter cinq cent mille sesterces par an.

Quoique la conversion soit hasardeuse, c'est un impôt de près de 50 millions de livres du 18ème siècle, près de 5 tonnes d'or,  qui, bien sûr, allait peser beaucoup plus sur les petits perdants que sur les gros ou que sur les amis.

En l'an 1994, soit 2061 années après, ne soyez pas étonné de constater que la Picardie et la Haute Normandie figurent toujours en tête du palmarès des contributions fiscales françaises !

Le Vermandois, battu, n'avait que deux issues : payer régulièrement la rançon et tirer profit du nouveau monde auquel il était brutalement intégré.

L'Empire romain offrait des opportunités nouvelles que les artisans des forges, les potiers et les agriculteurs entrevirent vite. Aux moins clairvoyants, les administrateurs laissés par l'armée de César expliquèrent comment produire plus et mieux. Il était, en effet de tradition que Rome donnât à  ses légionnaires fidèles, issus des quatre coins de l'univers, des terres à titre de pension. De nombreux vieux brisquards de la septième et de la onzième armée obtinrent donc des terres.

Ce n'étaient pas des agriculteurs et ne le deviendront jamais, mais, instruits de la dureté des citoyens romains pour les immigrants sans fortune, de la pusillanimité des chefs, et des plaisirs de la campagne comparés aux joies du régiment, ils s'implanteront véritablement chez nous. Une dimension inconnue chez les Celtes et les Gaulois pénétrait notre région pour la bouleverser.

Le légionnaire à la retraite comme l'administrateur comprirent vite que le sol du Vermandois rapportait non pas du trois ou quatre mesures de blé par setier mais du sept voire du huit. C'était beaucoup plus qu'ailleurs et, de surcroît, les filles étaient belles.

Les Romains conçurent ainsi cette notion de " panier " qui rassemblait l'actif, le passif et la situation nette de leur implantation en sol conquis. Le fiscus ( panier) devint de ce temps la mesure du prélèvement annuel sur le travail de l'agriculteur et l'incitation directe au rendement et à la productivité. Le fisc et la fiscalité, loin d'être un fléau moderne, ont leur place dès les premières pages de notre chronique et ne nous quitteront plus. Même le "fléau de Dieu" n'aura pas raison de lui, non plus que les cahiers des doléances de la Révolution.

Comptable plus que conseil, pillard plus qu'ingénieur agronome, le Romain fit des agriculteurs de la région les plus productifs du monde et les plus imposés. Cette " valeur en terre", qui maintient sur notre humus les corbeaux plus fidèlement que sur tous les terroirs du monde, vient de ces temps lointains. Une pratique courante est de l'estimer par un "chapeau" lors des changements de propriétaire-exploitant. Les Romains la trouvaient naturelle et complémentaire de la rente, alors que les experts d'aujourd'hui se grattent encore la tête, sans doute moins bien faite que celles d'antan..

Lorsqu'en 52 avant JC, soit cinq années après l'arrivée des Romains, Vercingétorix interrogea les chefs de tribus du Vermandois sur leur ralliement à la coalition contre César, l'intégration des Romains était irréversible et nos hommes en armes ne figurèrent pas à Alésia.

Notre région bénéficia de sa nouvelle position au cœur de l' Europe romaine du nord. Les villas, c'est à dire les grosses fermes se multiplièrent. Vermand abrita dans son oppidum et dans ses abords une garnison romaine chargée de protéger les frontières.

 La capitale de notre région vit le jour. Sur les collines de l'actuelle Saint -Quentin, avec les possibilités offertes par le réseau hydraulique, naquit AUGUSTA, une ville romaine nécessairement approvisionnée en eau courante.

Nous ne rentrerons pas dans le débat de savoir si ce fut Vermand ou Saint -Quentin qui se dénomma Augusta ou Samarobrive, ni celui de savoir laquelle fut la ville dominante, tant il est certain que ces villes étaient centrales dans l'écheveau des voies romaines et que les pièces à l'effigie d'Auguste et des empereurs y furent retrouvés en quantités équivalentes.

Rome régna pendant près de cinq cents ans, mêlant cet esprit de rigueur et d'universalisme à la pratique laborieuse des travaux du fer et des champs de nos parents.

La Pax Romana rendait caduc le dispositif des buttes et pourtant la mémoire de ces édifices était si grande qu'elles furent assimilées aux tombeaux des vieux soldats qui vinrent profiter de leur retraite sous nos nuages .

Le voile céleste qu' occupaient Rome, sa culture et ses dieux venait de se déchirer et la chrétienté commença par changer la datation du début des temps. Le calendrier de Jules fixa l'année à 365 jours, il ne restait plus qu'à modifier le rôle de l'homme sur terre.

De Palestine à Saint -Quentin, la redistribution des croyances s'achemina en une traînée de poudre .

                                    L’ Oppidum de Vermand  (  le Village d’ Astérix mais en vrai)

                                                    Les Romains Gaulois

Avec l'irruption des Romains, le Vermandois cessa à tout jamais d'être une tribu autonome célébrant à sa manière ses dieux et organisant, sans autre contrainte que sa sécurité, son cadre de vie. César, dans ses harangues, promettait la paix romaine et le respect des peuples avec de solides références ; nos 10 000 citoyens en âge de porter les armes rangèrent leurs épées et leurs haches et cherchèrent au ciel un repos pour leurs âmes un peu troublées cependant. Les dieux celtes ne les avaient pas conduits à la victoire et ils présentaient moins de panache que leurs cousins du panthéon romain. Ceux-ci étaient aussi haineux, méchants et fourbes entre eux mais doués d'une tolérance confraternelle. Ils admettaient tous les cousinages mais seule l'adoration des dieux romains avec les formules latines ouvraient la voie à la citoyenneté romaine. Celle-ci constituait le sommet de l'aristocratie des peuples un peu comme aujourd'hui les fonctionnaires de Bruxelles. A eux les bonnes situations, à eux les honneurs, les règlements et les émoluments. La seule différence venait de la résidence sur place. Cette singularité explique mieux que tout la réussite de l'Empire romain qui construisit l'Europe en moins de vingt ans. Les Romains n'aimaient guère leur administration centrale qui était un coupe-gorge institutionnalisé réservé à un nombre très restreint de familles. Loin des complots, des assassinats et des coups d'état, les citoyens romains trouvèrent ici un séjour agréable et comme la religion était très permissive sur le plan des mariages, des lignées nombreuses de romains-gaulois naquirent sous nos climats. L'accommodement matériel satisfaisait le plus grand nombre et pourtant nul, à part les Césars et les Augustes, n'était en paix avec sa conscience. L'univers était un, il n'y avait guère que trois écritures connues, l'hébraïque, la grecque et la romaine, mais il régnait une pagaille effroyable au ciel. Seule la religion juive était monothéiste, mais c'était la plus concentrationnaire des trois et était elle-même divisée en plusieurs obédiences. Amenée de l'Orient à dos de mulet, une présentation du monde pénétra jusque chez nous et fut largement récupérée par les druides à la recherche d'une bonne nouvelle, la lumière s'y opposait au taureau, c'était la religion de Mithra. Le taureau symbolisait l'ensemble des forces telluriques, de la fécondité animale jusqu'aux cataclysmes. La lumière ne se réduisait plus au Soleil des égyptiens, les peuples maîtrisaient le feu ; la bougie et la flammèche à l'huile s'achetaient au supermarché du coin, enfin le miroir, le verre et les pierres précieuses donnaient un éclat divin aux choses.

La lumière captait le beau et l'énergie bienfaisante, le taureau fonçait aveuglément.

Le ciel devenait un registre en parties doubles plus facile à interpréter que celui d'avant où tous les dieux parlaient en même temps , mais sans voix.

Nul  doute que "les temps étaient accomplis" comme l'écrit Saint Paul dans l'épître aux Galates et que le message chrétien pouvait illuminer l'univers !

Depuis la guerre des Gaules, l'intégration du Vermandois dans l'empire avait eu donc trois conséquences: la paix, la venue des Romains et de leurs poids et mesures, un certain désarroi spirituel. En peu d'années, s'ajoutèrent les voies romaines.

Si les buttes et les tombeaux anciens constituent les données les plus fréquentes de nos communes, la troisième, après la destruction de  14/18 et le cimetière militaire, est la présence des antiques chemins empierrés. Du fait des fleuves se croisaient là, la voie de Reims à Arras, celle de Soissons vers le Nord,  celle d'Amiens vers la Sambre et la route de l'Angleterre vers Rome.

La grandeur d'Augusta  fut confirmée quand un de nos concitoyens fut élevé à la dignité de chevalier romain : Brésius supérieur était son nom. Dans une cité riche où les pièces frappées aux noms de César, Auguste, Tibère et Germanicus circulaient en grand nombre, un serviteur fidèle, certainement apparenté par alliance, méritait bien cet honneur.

Au cours des quatre siècles de cette période, on distingue traditionnellement le haut et le bas empire .

Le haut vit  régner quatre dynasties impériales:

 

          57 av J.C  ->   68 ap : Les Julio-Claudiens règnent. Ce sont d'authentiques patriciens romains qui imposent une paix forte partout et s'occupent à s'entretuer.

                          ->   96 ap : Les empereurs Flaviens sont des gens de la campagne pragmatiques qui renforceront les frontières et l'administration centrale.

                          ->  192 ap: Les Antonins sont issus souvent des bourgeoisies romaines implantées hors péninsule. Ce sera le siècle d'or.

                           -> 235 ap: Les empereurs viennent de l'Orient. La paix romaine s'estompe.

Le bas subit la double poussée vers l'Est et vers le  christianisme                 

                           -> 265 ap: Trente années d'anarchie militaire ouvrent les frontières

                           -> 305 ap: Auréliens et Dioclétien. Dioclétien mal connu était de basse extraction, commença par persécuter les chrétiens de la plus dure manière connue puis fut très conciliant et finit en sage en abdiquant. Il fut aussi l'instigateur de l'impôt généralisé à tous les citoyens.

                           -> 392 ap: Constantin, Théodose.

                                     Le christianisme, religion d'Etat, à compter de 313.

La date où notre concitoyen Brésius acquit sa citoyenneté romaine se situe vraisemblablement peu après l'édit de Caracalla qui, en 212, fit citoyen tous les hommes libres. Dans sa fougue tiers-mondiste, ce dernier conféra même le titre de citoyen romain à son cheval. Un peu d'éthique et de raison semblait bien nécessaire alors que Rome gardait en souvenir vivace la folie de Néron qui avait incendié la capitale par caprice.

La démence des grands protégeait notre zone éloignée et offrait un terrain propice aux idées pacifiques nouvelles. Que, dès le premier siècle, voire après la destruction du temple de Jérusalem, des familles juives soient venues et se soient installées dans les cités naissantes, est une quasi certitude. A Reims, Londres, Tournai et à Augusta, les communautés juives arrivèrent dans la nuit des temps. Leur religion sans prosélytisme s'accommodait partout et la possibilité du commerce et du change drainaient à nous les forces vives des enfants d'Israël. Avec les retraités de l'armée romaine, les druides défroqués, ils constituaient des relais naturels de la nouvelle religion. Sans aucun moyen de diffusion et sans arme, celle-ci se répandit dans l'humanité à une vitesse prodigieuse. Lorsque Néron prit sa lyre pour chanter la beauté le l'incendie de Rome vers 64 de notre ère, la ville comptait tant de chrétien qu' il en fit persécuter plus de 3000. Cet acharnement étonnant pour un Romain aurait eu aussi pour inspiratrice Poppée, sa maîtresse convertie au judaïsme.

Au IIème siècle, Lyon accueille une église chrétienne de langue grecque. En 177, le martyr de Pothin et de 47 compagnons attestent de deux choses : l'évangélisation avancée et le raidissement de Rome qui déclarera caduque la législation de Trajan(vers 110) qui stipulait " le fait d'être chrétien et de l'avouer n'entraîne pas de sanction légale ". Jusqu'alors, les chrétiens étaient vus comme une secte de "cardeurs, de savetiers et de blanchisseurs " particulièrement inoffensive. Malgré l'insécurité, vers 250, sept évêques partirent de Rome pour évangéliser la Gaule, l'un d'eux devint Saint Denis.

Quentin de très noble famille partit plus tard avec onze compagnons. Crépin, Crépinien, Firmin et Lucien et lui s'orientèrent vers la Picardie .

A cause de la répression, décidée par Dioclétien et inspirée par Galère, destinée à  reprendre en main l'empire déliquescent, Quentin qui prêchait auprès des communautés romaines et juives fut arrêté par le préfet de Rictiovare en 287. Son martyre figure sur nombre de sculptures et de vitraux. Les ferronniers du secteur eurent une singulière commande qui comprenait deux longues broches de fer destinées à traverser des épaules jusqu'aux cuisses et dix lames fines à glisser sous les ongles. Quentin, après une prière, se présenta aux bourreaux. L'ignominie de l'opération s'acheva par l'agonie du martyr dont on trancha la tête qui fut jetée dans la Somme. Peu de temps après, un soldat romain, ému par la misère des habitants d'Amiens, trancha son manteau en deux. Il devint prêtre et évêque de Tours vers 330. Saint Martin n'eut pas à subir le martyre car la gaule romaine était quasiment christianisée. Les reliques de saint Quentin reposaient dans les eaux sombres de la rivière. Le miraculeux alors surgit. Cinquante cinq années plus tard, une Romaine quasiment aveugle du nom d'Eusébie a la vision d'un ange qui lui dit :

" Va dans la Gaule, cherche un lieu appelé Auguste de Vermandois et à l'endroit où le fleuve est traversé par la voie d'Amiens à Laon, tu trouveras le corps de saint Quentin, mon martyr. Après l'avoir montré au peuple, tu l'enseveliras, alors tu recouvreras la vue. "

Près d'Augusta, Eusébie interrogea un vieillard, Eraclien, qui lui indiqua le lieu où la voie traversait le fleuve. Bientôt après la surface se rida, puis s'entrouvrit, et les restes du bienheureux Quentin apparurent.

Eusébie ensevelit le martyr près du fleuve et recouvra la vue. Une chapelle fut élevée et le lieu dit, Vicus Sancti Quintini, donna son nom à la cité.

Eraclien comme la majorité des habitants savait, bien sûr, mais  ignorait que l'empereur romain avait changé d'opinion et était très heureux de venger la mémoire de celui qui avait osé leur parler. Le miracle de l'aveugle retrouvant la vue ajoute à l'histoire très réelle un élément invérifiable. Les rationalistes raillèrent ce point , dont les progrès des soins de la chirurgie oculaire nous apprennent aujourd'hui la probabilité fréquente.

Le martyre de saint Quentin était au cœur de la tragédie romaine car ses acteurs en étaient directement issus . Quentin, en effet, n'était pas un quidam. Son père Zénon était sénateur romain et sa famille donna plus tard un empereur. Galère ,l'inspirateur de la répression a donné son nom à toutes les périodes noires de l'humanité. Eusébie était une grande dame qui fit le voyage avec une grande suite. Eraclien, le vieillard, lui seul est de chez nous. Encore habité des croyances celtes, il apprécie les Romains sans s'obliger à croire à leurs dieux. Et pourtant, Quentin a subi le martyre devant lui pour avoir osé parler d'un dieu unique, frère de tous les hommes et une femme était venue de loin pour le mettre en terre comme c'est aussi l'obligation pour les petites gens de chez nous.

Un brin d'émotion et de respect fit couler une larme à l’œil du vieux Gaulois qui comprenait tout à coup que Quentin avait été sacrifié pour lui. Les martyrs de Soissons,  Amiens , Senlis, Boulogne eurent aussi leurs témoins secrets jusqu'au jour où l'expression religieuse fut libérée. Dire que la conversion fut générale serait omettre le fond de croyances celtes qui différenciait le Gaulois des champs et le Gallo-romain des villes. Les cités avaient, elles, choisi la croix comme symbole de ralliement à une vision du monde, une, sainte, apostolique. Le terme catholique manquait à l'inventaire car les conciles n'avaient pas encore précisé les dogmes fondamentaux de la nouvelle religion. Très peu de temps après, le concile de Nicée fixera le "credo" , statut constitutif de l'Eglise catholique . Il précisera aussi les rapports des chrétiens avec les païens . Ce mot qui a un sens plus proche aujourd'hui de celui de mécréant, d'athée, voire de communiste, définissait la population des ruraux et des paysans dont les évêques connaissaient les rites traditionnels et qui étaient écartés momentanément des élus. Les rites dits païens perduraient mais avec certainement moins de ferveur car les fouilles ont démontré que le théâtre de Vendeuil fut délaissé  définitivement vers la fin du troisième siècle .  

Augusta, la romaine,  devenait Saint-Quentin, la chrétienne. Comme ces évènements furent localisés à l'Augusta Viromanduorum et que Saint Quentin fut dévastée par les barbares vers la fin du III ème siècle, obligeant les Romains à s'installer derrière les murs de l'oppidum de Vermand, lequel fut à son tour dévasté par les Vandales en 407, ramenant sans douter les habitants au bord de la Somme, une violente querelle d'expert s'est levée très tôt pour localiser la cité la plus sainte, celle du martyr.

Comme beaucoup de thèmes réduits en peau de chagrin par le rationalisme et le positivisme, ce débat n'intéresse absolument plus personne. Coliette qui écrivait au milieu du 18ème siècle aurait fustigé durement notre scepticisme et notre manque de foi. Laissons-le s'exprimer sur l'argumentation qui ferait de Vermand, le lieu de sépulture du Saint :

" O mes frères, ô mes concitoyens, ô la province et le diocèse du Vermandois, ô toute la France entière ! , où en sommes nous !. Quel comble d'impertinences, de cacophonies, de suppositions, de rêveries, de gratuité, de déraisonnements et de contradictions on a seriné contre notre Saint, notre ville auguste et contre nous ! Mais on ne nous enlèvera pas la vérité: elle est à nous; elle a parlé et nous a délivrés. Si elle avait moins combattu pour nous etc... etc "

L'abbé Coliette, sur ce thème, devait maintenir éveillé un large auditoire venu l'écouter à la basilique, vers 1758, mais approfondissait-il la foi des petits gens qui, trente années après, auront,  dans les cahiers de doléances, à parler des curés qui n'avaient pas à travailler pour vivre ?

La difficulté de localisation d'Augusta, au delà de la polémique, fut le résultat de destructions d'envahisseurs. Ce ne furent pas les premiers ni les derniers mais les voies romaines venaient de baliser la route des pillages et amenaient très directement vers un nouvel eldorado. La fréquence des destructions va s'intensifier malgré la présence des troupes romaines et reportera à la conscience des Vermandois le passé encore proche où le pays s'appuyait sur ses propres forces et sur ses buttes pour sauver ses récoltes, son bétail et ses huttes.

La première destruction d'Augusta qui entraîna le repli sur Vermand et Marteville de la société romanisée demeure un mystère pour l'historien. La destruction de Vermand est précisément connue tant par la date : 407 ap Jc que par ses envahisseurs: les Vandales .

Mais qui donc, à l'intérieur du limes, avait donc pu fomenter des troubles entre 300 et 400 ?

Les rapports impériaux en parlèrent peu, car il n'y avait sans doute rien à gagner. N'y avait-il rien à perdre ?

Vers la fin du troisième siècle, Rome renforça ses troupes en Picardie de 25 à 30000 hommes car un certain Postumus, allié des Romains, se payait "sur la bête" et finalement  rançonnait à son profit la voie Boulogne Trèves. En 367, l'empereur Valentinien vint à Amiens et y présenta solennellement son fils devant les troupes. La place de Noviomagus, le Nouveau-Marché, Noyon la chantante, sera ainsi  créée de toutes pièces derrière de solides remparts pour protéger les commerçants fidèles à Rome. Il y avait beaucoup de sollicitude de la part du pouvoir central car un péril était à craindre.

L'histoire officielle évoque surtout les invasions petites et grandes. Il nous faut parler aussi de la colère des petits.  Les ponctions des percepteurs romains et des propriétaires, souvent, descendants de légionnaires retraités, mécontentaient la Gaule récemment soumise ( cf texte ci après de Lactance vers 310). Par l'édit du Maximum, l'impôt venait à frapper les premiers tisserands de laine de nos régions.

La grogne devenait rage contre les symboles de la puissance romaine chaque fois que celle-ci fléchissait sous les coups de butoirs des barbares du nord.

La première révolte paysanne toucha notre contrée vers 310-330 et est connue sous le nom de révolte des " Bagaudes".

La ville naissante de Saint Quentin en fut très vraisemblablement la victime. Cette supposition extrapole simplement le fait que les révoltes paysannes sont une rengaine de notre histoire et que depuis des millénaires, les jacqueries et les manifestations d'agriculteurs ont droit de cité. Depuis longtemps, les forces de l'ordre savent qu'il n'est pas utile de s'y opposer et s'en gardent bien.

Entre la Rome fiscaliste et policière et  les voisins remuants mais si sympathiques dans leurs innocences primitives, le peuple va s'orienter vers le moindre mal. Le choix portait entre Galère, Misère, Aventure, trois compagnes qui ne nous quitteront plus !

Les siècles qui suivront seront des siècles de grandes afflictions mais l'Empire romain s'était condamné. Le martyre de saint Quentin avait été ignoble, l'oppression du petit peuple injuste mais cela n'était rien. Le 8 octobre 362, à Origny-Sainte-Benoîte, le bourreau coupa à coup de hache  une consœur de Quentin. Elle aussi était Romaine comme sa compagne Léobérie et animée par une foi de douceur et de piété aux antipodes de la mentalité de ceux qui régnaient à Rome. Dioclétien avait agi avec dureté et pour la grandeur de l'Etat, Julien l'Apostat et le préfet de la province Matrocle, juif d'origine, voulurent briser le mécontentement populaire mais se trompèrent de bouc émissaire. Benoîte vivait pieusement dans une petite maison qu'elle avait fait bâtir sur une colline, au bord de l'Oise. Elle aidait les pauvres et prêchait le salut des filles et fils de Dieu. Comme le Christ, elle fut arrêtée, souffletée, fouettée, jetée au cachot. Les narrateurs de l'époque qui n'avaient pas un millième des connaissances médicales de notre époque, rapportent qu'elle attrapa une " plaie universelle ". Nous savons bien aujourd'hui ce qu'est une infection généralisée et les fièvres, faiblesses, fragilités qu'elle entraîne, et pourtant Benoîte sortit guérie. Matrocle s'acharna et la fit mettre au supplice du chevalet puis  la renvoya en prison. Benoite réapparut en pleine santé, au grand dam du préfet qui préféra en finir. Nos ancêtres étaient restés circonspects devant le supplice de Quentin, le doute n'était plus de mise maintenant que Benoite avait été vue quasiment ressuscitée.

°Lactance:" Esprit fécond en inventions et en machinations scélérates, Dioclétien .... associa.... trois princes à son pouvoir, divisant le monde en quatre parties et multipliant le nombre des armées.... Les colons, voyant leurs ressources épuisées par l' énormité des impôts, abandonnaient leurs champs, qui retournaient à la forêt. Pour que la terreur fût partout, on morcela à l'infini les provinces, et voici que plusieurs gouverneurs et de multiples bureaux écrasent chaque pays, presque chaque cité : ce n'étaient que fonctionnaires des finances, magistrats et vicaires des préfets.... Comme ses énormes iniquités avaient tout enchéri considérablement, il s'efforça par une loi de fixer les prix des marchandise. Alors on vit, pour des articles infimes et de misérables denrées, le sang couler à flots. La cruauté fit tout disparaître du marché, et la hausse des prix sévit plus gravement encore. Enfin, la loi tomba en désuétude par la force des choses."

L'arrivée des FRANCS

L'époque, où traversant le Vermandois, Antonin avait mesuré, en pieds romains, la distance de Augusta à Cambrai, Condren et Soissons, remontait à deux siècles déjà. En dépit des troubles populaires, la province occupait une place centrale dans le dispositif et dans les finances. L'Empire romain n'avait finalement jamais été aussi proche. Valentinien était venu présenter son fils aux troupes à Amiens. Le porteur de l'héritage culturel romain portait le doux nom d' Ausone. Grammairien érudit, cet éminent latiniste était originaire de la région bordelaise et il chanta les côtes de Saint-Emilion dans de nombreux poèmes. Chrétien de peu de conviction, il fut surtout le précepteur du futur empereur Gratien à Trèves qui était une des quatre résidences impériales avec Rome, Constantinople et Alexandrie de 367 à 385 .

Vers 377,  378 arrivèrent des steppes centrales poussés par le vent d'est, les Wisigoths et les Ostrogoths : variété juive-arienne, issue peut-être des 12 tribus d'Israël. Ces peuplades demandèrent asile à l'empereur représenté à Constantinople. Celui-ci, hors d'atteinte des vagabonds et pourvu de sérieuses réserves en nourriture, refusa. Le droit à l'immigration ne pouvait être reconnu aux arrivants puisque les Romains n'occupaient véritablement nos latitudes que depuis deux siècles. La décision prise, Gratien confia l'Orient à Théodose. La coupure demeurait formelle mais lorsque , après une courte cavalcade, les Ostrogoths furent arrêtés aux frontières actuelles de la Yougoslavie et que les Wisigoths pillèrent Florence et Pise vers 400, l' Occident et l'Orient firent leurs adieux pour des millénaires.

Même la route Rome-Trêves présentait dorénavant des péages périlleux !

Les Romains de nos régions ne pouvaient plus se fier au Rhin et aux Oppidums du Nord, ils passèrent des contrats avec les chefs de tribus voisines : Francs au Nord de part  et d'autre du Rhin et donc soumis en partie, Alamans sur la forêt noire et l'actuelle Ruhr, Burgondes un peu plus loin.

Un fléau, outre l'instrument à battre le blé, définit le fer d'une balance. Quand il apparut en Occident, Attila devint le " fléau de Dieu ". Malgré la forte odeur de ses accoutrements et ses grosses moustaches, il fut sans doute moins meurtrier que Théodose qui extermina 7000 chrétiens en Thessalonique et, pourtant, mérita son titre. La balance changea de côté et de 430 à 450, les piliers de l'Empire romain d'occident vacillèrent sur leurs bases pour choir définitivement en 478.

Attila, selon diverses sources, aurait dévasté l' Augusta du Vermandois  après Reims et Laon ; pourtant peu de preuves indiscutables l'attestent. Son itinéraire dans notre pays ne fut guère glorieux et une espèce de miracle incompréhensible fera que la croix des chrétiens, on ne sait pourquoi, atténuera partout ses ardeurs. Il est vrai qu'à Metz comme à Reims, les seuls opposants seront les évêques qui s'offriront vivants à l'épée du barbare. L'humain mongol dut se lasser de tueries de notables en robe et sans armes, n'est-ce pas, hun ? A Paris, l'obstacle s'appellera sainte Geneviève. Abomination ! Son chemin de croix se poursuivra jusque devant le pape Saint Léon où il n'aura même plus le réflexe de mettre sa main sur la garde de son épée.

Partout ailleurs, ses manières de faire provoquèrent des fuites éperdues. Les premiers à déguerpir devant les Huns furent les Vandales. Dans leur course éperdue, ils rasèrent Vermand, Marteville, Amiens, Arras? Tournai, Soissons, Reims mais échouèrent sous les remparts de Laon.      

Etaient-ils suivis, accompagnés ou précédés par les Alains et les Suèves ? Le problème des langues et la rapidité des faits firent obstacle à un enregistrement et au contrôle des visas, l'infiltration fut vraisemblable.

L'empire prenait l'eau de toutes parts. Les Wisigoths en 410 atteignent Rome, la pillent et rejoignent l'autre colonne qui ira fonder un royaume wisigothique de Gibraltar jusqu'à Bordeaux. Dans notre région, ce qu'il restait de citoyen avait dû trouver l'abri dans les bois et le vide s'était installé dans les murs des villes.

Cette situation s'avérait bien tentante pour la petite tribu des Francs qui de Maastricht, Liège jusqu' au relief du Teutoburger Wald, cherchait un peu de soleil et de considération.  Clodion, leur chef, vint en 428 jusqu'à Cambrai et régla le sort des derniers fonctionnaires en place.

Pour parcourir le trajet de Cambrai à Saint-Quentin , les premiers Francs eurent besoin de 20 années et en 448, dans le climat jubilatoire consécutif à la prise de possession des sources de la Somme et de l'Oise, de deux  villes et , sans doute, avec une forte participation de la population locale, une fête que l'on ne peut que qualifier de populaire échauffa les Francs et les Vermandois. La vigne poussait chez nous, et le vin devait avoir une robuste charpente. Noyon, La Fère, Laon, Amiens, Paris, Reims demeuraient sous le contrôle des troupes romaines et de leurs reîtres. Aétius était leur général et disposait encore de troupes disciplinées.

Profitant de la beuverie, elles vinrent, sans invitation, au milieu de la surprise partie et défirent la joyeuse bande.

Mérovée et Childéric retournèrent prudemment au nord de Cambrai, sans amertume jusqu'au jour où Aétius envoya ses agents secrets pour solliciter l'aide des Francs. La mission fut aussi dépêchée à Toulouse auprès du roi des Wisigoths. Une coalition armée bien hétéroclite et disparate, sous le commandement d'Aétius, préfigurait un consensus national, poussé par un instinct primaire de conservation. Attila avait pillé Metz, la Champagne, évité Paris à cause de Geneviève puis avait buté contre Aetius et Theodoric, le Wisigoth à Orléans. Aetius et Attila étaient de vieilles connaissances puisque le premier avait séjourné à la cour, bien plus policée que l'imagerie le prétend, du chef des Huns.

La troupe renforcée par les Francs de Mérovée fut rassemblée près de Troyes, sur les célèbres champs catalauniques et, là, en automne 451, la horde sauvage du fléau de Dieu fut vaincue. L'armée coalisée d'Aetius écrasa un autre regroupement de circonstance de tribus de Germanie. Théodoric de Toulouse aurait pu occire le père du futur Théodoric des Ostrogoths avant de perdre la vie, à son tour. Cette bataille compte parmi les plus importantes de l'histoire et parmi les plus sanglantes.  250 000 hommes y auraient trépassé.

Les pertes, dépassant les espoirs de gain, Attila fit demi-tour vers la Hongrie avec un petit crochet à Rome où le pape comprenant la détresse du soldat blessé dans son honneur lui signa un chèque, lui recommanda une retraite bien méritée et l'assura même de son amitié s'il quittait le plancher au triple galop.                                                         

La boucherie de la bataille et le retour penaud de l'envahisseur accélérèrent l'agonie  de l'Empire. Aetius n'avait été qu'un élément du rempart où le pape, Sainte Geneviève et les alliés francs formaient les tourelles principales. Egidius, fils de Aetius succéda à son père mais ne put pas empêcher les Francs de redescendre vers l'Oise. En 475, les Francs seront définitivement installés chez nous.

Possibilité de s'y fixer s'offrait définitivement à eux puisqu'en 476, Rome sombrera , laissant la place à une tribu amie, on ne sait pourquoi,  les Ostrogoths.

Cette amitié, si ce terme convient dans un univers qui réapprenait la diplomatie, sera confirmée plus tard quand Théodoric, roi des Ostrogoths, celui-là, et non des Wisigoths ( le Théodoric de  Toulouse avait péri aux champs catalauniques), épousera une sœur de Clovis. Ce nouveau monarque mariera sa fille au roi des Burgondes, sa nièce au roi des Thuringiens, sa sœur  au roi des Vandales occupant Carthage et sa dernière fille au roi des Wisigoths.

L'empire perdurait mais les lois de la démocratie aristocratique romaine faisaient place à une diplomatie de chefs de tribu et d'alliances matrimoniales. Tous les historiens affirment qu'il s'agissait d'un retour à la barbarie. En une génération, pourtant, ces monarques seront chrétiens, les femmes occuperont des positions sociales qu'aucun empereur romain n'avait accordées à aucun membre de la gent féminine et la chrétienté soutendra une internationale européenne omniprésente.

Les Quentin et Benoîte avaient eu beaucoup de semblables en deux siècles aux quatre coins de l'Occident. Comme Saint Martin, qui n'eut plus à connaître ce sort, ils faisaient toutefois partie de la "haute", et portaient la tunique romaine. Notre région pourtant suivit le mouvement:

                l'évêché de Saint Quentin, en effet, entama sa lignée avec Hilaire en 365 après JC. Il fut suivi de Martin, Germain, Maxime, Fossone, Alterne, etc  Sophronie en 511, Alomer en 530, Saint Médard en 531 etc etc.......

                  

L'institution existe toujours, malgré ses doutes.....

Le catholicisme aura, tout au long des siècles, une histoire ambiguë avec notre région et ses habitants. En ce quatrième siècle et début du cinquième, deux points de repères attestent d'une présence chrétienne déjà forte : Clovis donna La Fère à sainte Geneviève en reconnaissance pour son intervention inspirée contre Attila et contre Egidius,  à Homblières, fut retrouvée dans une tombe un des témoignages les plus précieux de la Gaule primitive. Il s'agit d'une coupe ou d'un ciboire en verre peint, représentant Daniel dans la fosse aux lions et Adam et Eve au Paradis  terrestre. En son centre , le chrisme PX est entouré d'étoiles, symbolisant le firmament

L'objet est maintenant visible au Louvre.

Homblières reçoit-elle les dividendes du legs d'un de ses anciens ? Retire-t-elle, simplement, la fierté de savoir ? Le vol du bien et l'oubli me semblent plutôt son lot.

L'autre témoignage a la forme d'une énigme. Les premiers Saints, après les apôtres, furent désignés par des décrets impériaux les condamnant au martyre. Saint Martin innove par la charité et le dévouement épiscopal.

Il rencontrera un jour Saint Patrick qui réussira aussi paisiblement à évangéliser l'Irlande, c'est à dire la dernière branche authentique des Celtes. L'Irlande et la France ont une très vénérable histoire commune qui commença en ces siècles et nous a apporté une sainte très proche puisqu'il s'agit de Sainte Grimonie, Vierge et martyre célébrée à la Capelle. Contrairement à Sainte Benoîte venue du Sud, Grimonie est née en Irlande et était fille de roi. En contact avec les premiers évangélistes, elle fut instruite dans la foi catholique alors que ses parents restaient fidèles à la religion et aux traditions de leur royaume celtique.

L'ordre du monde la désignait pour épouser le vaillant chevalier beau ou vieux, puissant même impuissant que ses parents lui choisiraient. Tel était bien l'ordre universel ! Grimonie, capricieuse sans doute, s'enfuit, traverse la mer déchaînée pour rejoindre la Gaule belgique où le culte nouveau est tolérée. Craignant une incursion de piraterie armée par ses parents, elle remonte jusqu'en Thiérache, en vivant simplement et en fréquentant les lieux de prière. Profitant, sans doute, de complicité de la part des Francs encore barbares, une troupe de soldats irlandais arrive à la retrouver dans sa lointaine cachette. A nouveau, elle refuse de se soumettre à l'autorité parentale et à l'ordre séculaire des choses. La promesse d'un beau mariage ne la fait pas fléchir. Elle est mariée au Christ. Cet aveu lui vaut la mort. Enterrée subrepticement par la troupe irlandaise, sa mort sera rapportée par les chrétiens du pays comme une histoire singulière car les histoires de famille ne sont pas des affaires publiques, mais la mémoire des femmes perpétue l'évènement. Le corps est retrouvé intact, plusieurs décennies après, de nombreux miracles se produisent et le village de la Capelle naît autour de la chapelle. Les ossements de Sainte Grimonie, comme ceux de Sainte Preuve, elle aussi vierge et martyre postérieurement à Grimonie, ont été cachés sous la Révolution et demeurent parmi les objets constitutifs de notre civilisation.

Le débat sur la place de la femme dans le monde déchaîne encore des passions primitives alors que, pourtant, chacun sait bien que, sans le sacrifice de Grimonie, la liberté et l'humanité seraient des valeurs plus étriquées et moins exaltantes.

Les Francs sont là.

En l'an 475, les Francs retrouvèrent ce pays ami où ils aimaient déjà se rendre en visite privée. Le Vermandois, pays de lait, de miel et de vin gardait une culture ancestrale celtique où les feux de la saint Jean sur toutes les buttes du pays annonçaient l'hiver et où le 25 Mars, les druides vêtus de robes blanches allumaient les bûches sacrées. Les deux peuples se ressemblaient dans leur mode encore très rustique de vie, dans la préférence de la chasse et de la chevauchée sur la lecture et la réflexion et dans la certitude que l'existence libre et au grand air valait tous les palais du monde.

Les Francs arrivaient de loin avec une réputation un peu moins mauvaise que les autres pour avoir su cohabiter longtemps avec les Romains, tout en gardant des liens avec des tribus plus hostiles comme celles de Thuringes, les Saxons,  les Suèves, les Alains et même les Vikings. Une certaine pureté raciale les distinguait des Mongols, Hongrois, Asiatiques laissant à penser aux ethnologues qu'ils venaient de Scandinavie alors que leur langue les rattachait aux langues germaniques dont certains dialectes sont encore très proches de l'ancien francique.

Cette tribu, sous le règne de Clovis, traversa le Vermandois,  accompagnée de Ragnachaire, roi de Cambrai pour se défaire de Syagrius , dernier principe romain qui se reconnaissait au service de l'empereur d'Orient, puisque plus personne à Rome n'assurait la continuité.

La victoire de Soissons en 486 n' est qu'une date car la bataille n'eut rien à voir avec celle des champs catalauniques. D'abord, Clovis traversa sans aucune difficulté notre région, l'évêque de Vermand envoya certainement des fax à ses homologues de Reims et Senlis,  ce qui facilita la marche en avant plus que le contraire. Coucy, qui dépendait de l'évêché de Reims, aurait pu être un obstacle infranchissable, aucune halte n'y fut faite.

Pourtant en rentrant à Soissons, Clovis mettait la main sur l'inébranlable administration fiscale qui, par delà les temps, constituait l'épine dorsale du pouvoir des colonisateurs et, dès lors, il ne sera plus parlé d'une tribu mais d'un Etat, du royaume franc, du royaume de France. Dans cette métamorphose qui résulte du passage d' un monde sans écriture et sans administration à une puissance financière et juridique, le Vermandois comme les Francs perdront leur caractère tribal. Pourtant cette ethnie, petite ramification d'une ou plusieurs autres branches, avait un nom. Jules César parlait de la cité des Viromandues ; le village de Vermandovilliers indique aussi clairement que les hommes d'ici ne peuvent se confondre avec ceux d'à côté !

L'origine de l'ethnie comme de son nom reste inexplicable , aussi convient-il de dresser ici l'inventaire des suppositions.

La chronique du Hainaut, qui est un ouvrage important, cite un certain Vermandion, chef des huns, ce qui a laissé à penser qu'une branche de ce peuple soit venue s'installer, mais l'hypothèse est, bien sûr, à exclure, car le nom latin circulait bien antérieurement.                                                

Par contre, il se peut fort qu'un ou plusieurs chevaliers de chez nous, hostiles à Aetius aient rejoint la coalition formée par Attila et aient été reconnus comme Vermandions.

Plus parlant  est le rapprochement entre Vermanus et Germanus, surtout en rappelant que le sens étymologique de germanus est vrai, authentique.

Que quelques germains pussent avoir été reconnus comme patriarches de la tribu relève de la forte probabilité. L'analyse latine du mot vermandois mérite aussi d'être citée mais rend perplexe car la traduction en "porte parole du vrai" peut aussi bien être retenue que celle de "mangeur d'hommes".

Les origines du Vermandois s'éloignant jour après jour, la tentative d'explication devient sujette à délire affabulatoire. Il nous faut, à nous qui  demeurons  les pieds sur terre nous  contenter de nous interroger sur le miracle de la transmission de la terminologie .

Comment, donc, la population en changeant de colonisateur va-t-elle conserver ce signe distinctif, incorporé dans son nom   ?

L'administration romaine, dont l'efficacité fiscale et militaire a tenu l'Europe pendant plusieurs siècles, avait installé sans doute dans notre contrée un dignitaire de haut rang, citoyen romain nécessairement,  de longue ascendance et avec des états de services qui lui valaient une liste civile rondelette.

 Rome, dans nos régions, avait accordé à ses semblables un titre de comte dont l'importance se mesurait à leur panier, c'est-à-dire à l'assiette fiscale qui leur était reconnue. César avait trouvé un peuple, les romains convertiront cette manne en un panier confié à un comte et les Francs reprendront la place telle quelle. Douze siècles plus tard, un individu dont les attaches avec la région seront des plus ténues, se déclarera toujours comte du Vermandois. Les habitants du pays lui seront tout à fait étrangers, ses revenus tirés de chez nous insignifiants et pourtant, le Comte du Vermandois portera à la face du monde la conscience d'être le président d'un conseil imaginaire de surveillance d'une personne morale enregistrée au début des temps historiques. En lui supprimant son titre, l'individu perdra la boule et la société, un archiviste payé avec des ronds de jambes et des flatteries de petit garçon. Les générations suivantes seront, elles,  les vraies perdantes, car l'entité sera découpée, de nombreux villages voisins n'auront plus les mêmes valeurs, la capitale perdra son arrière pays, les recherches archéologiques d'Athies seront  séparées de celles de Vendeuil ou de Vendhuille;  combien de blessures à l'amour-propre  du pays, par pure méchanceté ?  

La sagesse des Francs, en arrivant chez nous, sera profonde et vénérable. Même en changeant les hommes et les dieux, n'est-il pas plus sage de récupérer des titres qui accordent la légitimité et ne sont que tigres de papier  plutôt que de les brûler au nom d'un hypothétique progrès qui restera toujours à démontrer ?

Mérovée, Clodion, Clovis, que beaucoup de manuels rangent parmi les barbares, ont été tout le contraire et notre terre en porte témoignage.

 En effet, si les premiers gouverneurs de la province sont peu connus, on sait que Léodégarius, ou Léger fut comte de Boulogne en 484. Eméramus ou Aimeri épousa une comtesse d'Aquitaine et agrandit les provinces sous son autorité. Wagon 1er lui succéda en 511. Wagon II s'enrichit de seigneuries dans le Cambrésis et en Bourgogne. Il avait marié sa fille Bertrade au roi Clotaire II qui hérita ainsi du Vermandois vers l'an 600. Dans la famille royale mérovingienne, le Vermandois sera confié à Garifrède vers 660 par Clotaire II. Ce comte fut donc le premier d'une longue lignée qui, après le capitulaire de Quierzy vers 870, ( Il s'agit de ce petit village à côté de Noyon, dont il sera  souvent parlé par la suite ) prendra soin de faire enregistrer tous ses membres.

Les Francs prendront le relais des Romains souvent par le jeu des mariages, à tel point qu'il sera souvent jasé, par des cours jalouses d'Europe et d'Asie, que la France descendait des Gaulois par les femmes et de Rome par les mâles.

La France se distingue nettement des pays, états , Land du reste du monde par la féminité qui caractérise cette nation. Marianne figure une réalité profonde qui commença en cette époque lointaine après les sacrifices de Sainte Benoîte, de Sainte Grimonie et grâce à la première de nos reines : Sainte Clotilde.

Clotilde, comme son futur époux, n'était pas issue de familles du type bon chic, bon genre. Son père  Chilpéric et son oncle Gondebaud se disputaient la Bourgogne, dominée par un envahisseur germain, goth et arien, qui s'étendait de Metz jusqu' aux confins du  Mâconnais. Le voisin du nord et de l'ouest n'était autre maintenant que la tribu franque. Entre les deux zones, Saint Rémi priait Dieu et parlait de paix. Que le mariage ait été arrangé, n'étonnera personne.

Clotilde fut élevée par Gondebaud qui avait assassiné son père. Un jour, elle recevra la visite d'un mendiant Aurélius, agent secret d'une puissance étrangère qui lui parlera de Clovis et obtint, dit-on, son consentement. Gondebaud donna le sien aussi, pensant se débarrasser d'un témoin gênant et convaincu de sa supériorité sur la tribu voisine.

Le mariage eut lieu en 493 et fut heureux puisque plusieurs enfants naîtront. Clovis s'était marié à 27 ans et mourra à 45. Pendant ce laps de temps, il arrêtera la progression des Alamans à Tolbiac avec l'aide de Dieu et au prix de son baptême, vengera son beau père en battant le fils de Gondebaud et en annexant la Bourgogne, puis en battant les Wisigoths à Vouillé près de Poitiers. En 510, à Tours, l'Empereur de Byzance Anastase consacrera sa gloire en lui conférant le titre de " roi des Romains ".

Il mourut en 511 et fut enterré à Paris, à l'église qui venait juste de recevoir le corps de Sainte Geneviève.

Pour être complet, il faut aussi ajouter qu'il trucida pratiquement tous les petits rois de Cambrai, Tournai, jusqu'en Rhénanie qui pouvaient faire ombrage à son pouvoir.

L'histoire lui fit reproche de ces règlements de " comtes " et le félicita de l'anéantissement des royaumes burgondes et wisigoths.  Pas un jugement de l'histoire ne sera jamais exempt d'idéologie et de parti pris. Toutes les annexions  trouveront des défenseurs patentés . Toutes les mesures de police seront, pour l'éternité,  impopulaires.

Pourtant l'appréciation historique est tout à l'opposé des intentions avouées de Clovis. La vengeance inspirée par Clotilde et l'action militaire commanditée par saint Rémi ne visaient pas vraiment à une annexion. Clovis tenait à chasser l'arianisme et à honorer ainsi la promesse faite à Rémi d'être l'apôtre de la Trinité. Son but n'était pas de piller ces états, ni de les déstabiliser. Sur le plan intérieur, la cruauté du roi fut indiscutablement sanglante mais n'était-elle pas le vrai prix de l'instauration de la monarchie. Le roi portait l'onction divine, son pouvoir était un, même si son dieu était triple. Tous les autres étaient de trop.

Dans l'histoire de France, Clovis n'accéda pas à l'ordre des saints. Pourtant son prénom se perpétuera d'âge en âge sans aucune objection religieuse. Saint Louis comme tous ces homonymes prédécesseurs étaient dépourvus de saint patron. Pas tout à fait, Clovis avait une sépulture solennelle, avait reçu le pouvoir de guérir les écrouelles et était célébré dans certaines églises.

Lorsque Louis IX vint inaugurer la basilique de Saint-Quentin, sept siècles après Clovis, le roi, dit-on, fut très ému d' être sur un des hauts lieux de la vie de son saint ancêtre, pratiquement dans la ville de son saint patron.

L'importance du passage de Clovis dans le Vermandois  pour l'histoire du monde comme la Sainte Trinité s'élèvent au rang des articles de foi. Rien ne le prouvera jamais. Toutes les objections s'effondrent pourtant devant l'évidence.

L'activité des rois fainéants en Vermandois.

 

"Qui sait ? Peut-être les Barbares n'ont-ils pu pénétrer dans l'Empire romain qu'afin que partout, en Orient et en Occident, les églises du Christ fussent pleines de Huns, de Suèves, de Vandales, de Burgondes, et d'autres peuples  innombrables de croyants. Ne faudrait-il pas alors louer et célébrer la miséricorde divine, puisque grâce à notre ruine, tant de nations ont eu connaissance de la vérité, avec laquelle elles n'auraient pas été en contact autrement ?"

 Ces questions posées par Orose au Vème siècle, nous le savons maintenant, étaient proprement prophétiques, et pourtant la prémonition pèche par angélisme. L'Empire romain n'avait jamais été une cité de Dieu sur terre et s' il avait pu apparaître la cité des hommes pour certains, c'était celle de " happy few" qui acceptaient un voile de l'épaisseur de la toile à peplum sur les appels de la conscience.

Sans Clovis, en effet, que serait devenu ce que nous savons du débat inauguré moins de 70 ans avant par Saint Augustin, sur la cité de Dieu et la cité des hommes. En exécutant devant toute son armée un soldat au nom du vase de Soissons, Clovis avait inséré une dimension nouvelle dans la fonction royale qui était inintelligible aux empereurs : le roi, aussi, avait à rendre des comptes à Dieu, à son fils et à son église.

Ni Clovis, ni Orose, ni Rémi, ni Augustin ne pouvaient entrevoir un instant le monde qu'ils contribuaient à construire. Et pourtant tout se passa en un siècle obscur et de décadence !

 

L'année où les terres franques allaient être partagées entre ses fils, les évêques de France se retrouvèrent en concile à Orléans en 511. Saint Rémi, Saint Vaast, Saint Gildard frère jumeau de Saint Médard, Saint Germain étaient là dans cette assemblée vénérable. Sophronie représentait le Vermandois.

La qualité des participants aurait dû, en toute logique, résoudre des questions fondamentales de la foi et figurer parmi les grands conciles de la chrétienté , mais ce serait oublier qu'une Eglise demeure constituée d'hommes ressemblant plus à leur temps qu'à des images pieuses. Nos saints pères, évidemment inspirés par le Saint Esprit, décideront que les clercs seront nommés par le roi à l'exception des fils et petits-fils de prêtres...... songeaient-ils à la sainteté, ces évêques doués de sens du concret ?

Cette décision, prise à une date charnière par des saints éminents, est totalement ignorée de tous les manuels de l' histoire, alors qu' aucune de nos cathédrales, aucun mur d' abbaye, même en ruine, n'est explicable sans ce rappel. Entre le concile d'Orléans et le célibat des prêtres, cinq siècles vont s'écouler, qui chacun, à sa manière, va conforter l'Eglise, créer les lignées de prélats et accroître ses richesses.

En coupant les têtes des statues des saints à la Révolution, le peuple croyait s'attaquer à des symboles, il fut là aussi trompé, c'étaient bien les saints qui nichaient dans les porches et les voussures qui avaient édifié la puissance de l'Eglise, d'une Eglise ouverte à tous en principe !

  

Les saints d'alors n'avaient pas les mêmes perspectives que nous, comme ne l'auront pas les fils de Clovis. Thierri, Clodomir, Childebert et Clotaire prirent dans l'ordre Metz, Orléans, Paris et Soissons. Clotaire, dernier fils de Clotilde, hérita du Vermandois, pièce centrale d'un territoire qui allait de Beauvais jusqu'à Liège, voire jusqu'au Rhin mais ces lointaines provinces n'étaient guère sûres et les villas, propres au séjour du prince, peu nombreuses.

Clotaire mourut à Compiègne en 561 à 61 ans après une chasse en forêt de Guise. Sa vie est un morceau de choix pour ceux qui aiment les grands espaces, les femmes et l'existence frustre de gens simples. A l'exception de sa déclaration peu avant sa mort ( "Hélas ! quel pensez-vous que soit le roi du ciel, qui fait ainsi mourir de si grands rois sur la terre ? ) ", son oeuvre législative est des plus minces. Pourtant comme son père, il agrandira le royaume en battant les Thuringiens et en annexant la France du Sud-Est et sera l'ami d'un Saint que nous apprécions particulièrement puisqu'il fut l'évêque de Vermand : Médard. Dans le butin collecté en Thuringe par lui et par Thierri, son demi---frère, roi d'Austrasie, il ne sera pas trop exigeant et ramènera une jeune captive de 10 ans et son frère. Ils étaient neveux d' Hermenfroi, roi de Thuringe et valaient tous les trésors. Clotaire les installera dans une de ses villas préférées : Athies en plein coeur du Vermandois. La jeune Radegonde vécut là comme les jeunes filles de chez nous, occupée par les tâches ménagères et instruite des prières et des prêches de l'évêque de la ville voisine. Malgré le déracinement , le sang fut le plus fort : elle développa un port de reine et une vive intelligence  qui subjugua Clotaire dès que Radegonde fut en âge d'être mariée.

Le caractère d'une fille de Thuringe élevée dans une ferme de chez nous où la femme sait diriger les chevaux, planter, récolter le blé, tisser et préparer la bière ne peut se manipuler comme celui des filles des  îles indolentes ou de l'Arabie. Radegonde s'enfuit d'Athies dès qu'elle eut connaissance du projet de mariage de Clotaire, qui n'avait rien d'un chevalier puceau et fringant, ayant déjà eu trois épouses . Radegonde invoqua son amour pour le Christ et son désir de rester vierge, disent les ouvrages religieux pour pensionnats de jeunes filles. Elle cédera pourtant aux pressions du roi et son mariage sera célébré très solennellement à Soissons. Reine, elle assuma parfaitement sa tâche et exerça une forte influence sur ce mari mal dégrossi. Dévouée pour les pauvres et les malheureux, elle fit construire un hôpital à Athies et aurait même, miraculeusement, fait sortir des fers  les prisonniers des geôles de Péronne. Clotaire retrouvait une femme de la classe de sa défunte mère et en était heureux. Radegonde avait un tempérament de reine jusqu'à la perfection, au point même d'obtenir le divorce. Son mari avait fait tuer son frère pour des raisons qui ne nous sont pas connues et aussitôt, Radegonde fit comprendre qu'elle ne pouvait plus, en conscience, assumer son rôle de reine de France. Elle prit l'initiative d'aller à Noyon voir Saint Médard et de lui faire part de quitter son mari.

 Médard était expert dans le règlement de conflits portant sur des vols mais la demande de Radegonde n'avait pas encore de jurisprudence. Les couvents de femmes n'existaient pas. Par contre, l'église honorait la virginité et le dévouement total pour les autres.

Les moines de Lérins commençaient à diffuser l'idée d'une existence possible à l'écart du pouvoir royal et pour le bien de tous. Médard hésita, dit-on, et finalement aida Radegonde à rejoindre Saint Martin à Marmoutier, l'abbaye qu'il avait créée. Son influence et sa raison tempérèrent  la colère de Clotaire et Radegonde partit. Après Tours, elle fonda l'Abbaye de la Sainte Croix à Poitiers où grâce à sa sainteté et à sa reconnaissance comme reine, elle obtint du patriarche de Jérusalem la dépouille du bienheureux martyr, Saint Mammès et surtout de l'impératrice Sophie d'Orient, un morceau de la vraie croix.

Pour Poitiers, un autre enfant du pays, Charles Martel, lèvera dans le Vermandois tous les chevaliers nécessaires pour vaincre les chevaux de feu de l'Islam. Le péril représenté par l'envahisseur n' apparaissait pas à nos concitoyens mais l’œuvre de Radegonde et le bout de la croix appartenaient à notre contrée ;  les biens d'une femme de bien ont une valeur inestimable qu'aucun musulman ne comprendra jamais. L'arabe, convaincu de la supériorité d'une religion qui admettait la naissance miraculeuse du Christ, eut bien du mal à comprendre l'acharnement bestial de ses adversaires à défendre une communauté indépendante  de femmes et un colifichet de bois vermoulu.

Grâce en soit rendue à Sainte Radegonde d'Athies, et fille de Thuringe, pays d'Allemagne qui souffrira autant que le nôtre des vicissitudes de l'histoire.

 

Comme Saint Rémi, natif de Laon,  Saint Médard, né à Salency, joua un rôle déterminant auprès du roi. Sans l'avoir voulu, il déshéritera un peu notre région en installant l'évêché à Noyon en 531, après le pillage d'une bande de Vandales qui passait par là. Il est vrai que la place était plus  proche de son village natal mais, ce ne fut pas une cause suffisante. La proximité de la cour royale qui  travaillait à cheval entre Compiègne, Soissons, était plus importante. De plus, Médard obtiendra de son roi l'évêché de Tournai , ce fut la consécration suprême des Francs et de l'Eglise qui n'avait jamais auparavant autorisé pareil cumul des mandats.

Le regret de l'assoupissement de l'évêché du Vermandois doit être ici tempéré car, même résidante à Noyon, la circonscription épiscopale restera et demeurera celle du Vermandois.  Médard l' avait  voulu ainsi et aurait été bien désolé de la trahison dont nous l'accusons à tort. L'histoire du monde est pleine de ces destinées contraires à la volonté des hommes ; Médard serait d'ailleurs bien surpris de savoir que son nom figure sur la liste interminable des prénoms démodés, que sa place sur le calendrier n'intéresse que les maraîchers, jardiniers et les marchands de parapluies, enfin que le citoyen à l'évocation de Médard, tourne bien les yeux vers le ciel mais uniquement pour y apercevoir les nuages.

Dans cet héritage involontaire, Médard pourtant n'aurait pas désavoué la "fête des rosières", cette fête des jeunes filles aux accents païens qu'il avait reconnue et autorisée dans son village natal de Salency. La rosière deviendra, grâce à lui, une de ces institutions merveilleuses, tellement simple, tellement belle que seuls les poètes, les peintres  et les âmes pures  peuvent en exprimer la perfection.

Dans le monde laissé par Clotaire et  Médard, un sentiment de sage équilibre se laisse discerner. Les clercs enseignaient et défendaient la veuve et l'orphelin, les chevaliers respectaient Dieu et les hommes, et les paysans faisaient fructifier la terre.

Au premier plan que restait-il à faire aux rois bénis de cette contrée ? L' historien révèle ici sa vraie nature, c'est un vampire, voyeur ou un idéologue fanatique, parfaitement incapable de comprendre que des rois trouvaient bon la  chevauchée, la chasse et une transhumance éternelle entre les villas qui jalonnaient la terre.

Ces rois n'étaient pas fainéants comme le jugea plus tard Eginhard pour justifier le coup d'état des pipinides contre les descendants de Clovis, mais simplement de bons gestionnaires, soucieux de ne pas favoriser trop cette économie monétaire qui avait déjà coulé l'Empire .

Faut- il ajouter qu'ils furent aussi fin diplomates !

Pendant cinq siècles, la paix règnera dans le Vermandois et dans les pays voisins. Les buttes  resteront les principaux édifices militaires, les églises et les abbayes représenteront la société civile bien avant que les premiers châteaux forts ne sortent de terre.

Parce que notre région ne revivra plus un temps de paix aussi long, une analyse s'impose. Clovis, roi de Tournai fit comme son fils Clotaire une guerre contre la Thuringe ; cette région centrale et riche de l'Allemagne fait de la sorte son entrée dans notre histoire. A chaque fois, les Francs trouvèrent sur le flanc-est des Ardennes un solide appui. Les habitants de cette région dont Trêves, ancienne cité impériale, était la métropole, affirmaient une parenté avec nos Francs français.

Ils seront qualifiés de ripuaires car vivant sur les rives du Rhin, de la Moselle et de la Meuse. Clovis, qui épousa Clotilde la sainte sur les conseils avisés de Rémi, savait pouvoir compter sur l'amical soutien des ripuaires ; n'avait-il pas épousé en premières noces une princesse franque née au delà des Ardennes. D'elle, il aura son premier fils Thierri qui recevra naturellement Metz, Trèves et toute l'Austrasie. Clotaire, son demi-frère, prendra l'ascendant sur toute la fratrie et pourtant maintiendra Thierri dans ses possessions, lui laissant même la quasi totalité du butin sur les Thuringiens à l'exception de Radégonde.

Cette entente entre Francs fut le ciment de l'Europe beaucoup plus que celle nouée avec les Burgondes et les Goths. Charlemagne la confortera car il comptera dans ses ancêtres plusieurs ripuaires mais il sera le seul unificateur physique. Les Francs allemands et les Francs de chez nous seront frères au sens plein du terme, sans abaisser l'un par rapport à l'autre. Ce n'est que bien plus tard, que les liens de fraternité seront oubliés ;

 les français revendiqueront des valeurs universelles pour dominer l'autre, les Francs de Germanie rappelleront que les Francs constituaient une race et que ce caractère imprimait une dépendance supérieure à la raison.

Les Francs pensaient moins et vivaient heureux, à l'instar de rois fainéants, modèles exemplaires pour les membres d'une société aspirant au bonheur et à la prospérité.

Le Vermandois au cœur du monde.

La vision paneuropéenne des Francs saliens s'inspirait de conceptions plus fédéralistes qu'impériales de la "chose publique" et la politique passera au second plan derrière les rapports de personnes. Cette étrangeté qui vaudra de la part de ses contempteurs des qualificatifs de barbares  permettra, pourtant, la construction de l'Europe sans dirigisme, sans parlement ni parlotes interminables. Des rives de la mer du Nord à l'Espagne et l'Italie, les familles régnantes deviendront toutes parentes et les jeunes héritiers prendront très jeunes l'habitude de séjourner longuement dans des cours lointaines. Un latin de cuisine servait de langue commune et l'avis de l'internationale catholique sera recherché partout où des risques de divergences seront suspectés. Le droit Canon s'imposera à tous par simple consensus. Nos régions du Nord déjà infiltrées par les Romains n'avaient pas vraiment vécu dans des états de droit où la justice menait une existence légale. Lorsque en 534, Clotaire gagnera toutes les terres des Burgondes jusqu'à la Méditerranée, il pénètrera dans des états de droits anciens avec de véritables traditions judiciaires . A ces particularités, il fallut que la monarchie franque s'adapte également.

Les évêques et les clercs seront partout des appuis dévoués mais le besoin se fera ressentir d'un élargissement des fonctions administratives. C'est sans doute, à cause de cela que la puissance des maires de palais va devenir grandissante.

Dans cette mosaïque de peuples, les rois  vont construire l'Europe  avec la technique des  castors qui sont des animaux remarquables chez lesquels la femelle provoque tous les débordements de lit de rivière et où le mâle travaille avec les attributs de son sexe.

Ainsi, l'histoire de France et d'Europe va se transformer en une préface à plusieurs épisodes du magazine Point de Vue, satisfaire totalement les commentaires de concierges, et rapporter mille et une scènes de ménage. Gratter quelque peu le subconscient de tous les Européens et vous verrez la profondeur de ce sentiment commun de curiosité à l'égard des princes et de passion généralisée pour les histoires d'amour des princesses et des rois.

De la mort de Clotaire, enterré à Soissons, en 561 jusqu'à la bataille de Tertry en 687, notre  contrée va assister à de sanglantes rivalités féminines dont on peut s'interroger, dès le départ, sur la portée historique réelle. Brunehaut, Frédégonde comme plus tard les empoisonneuses de la cour de France et jusqu'à Marie Antoinette portent la caractéristique commune de l'excès tant dans les crimes supposés que dans la haine publique à laquelle elles auront à faire face. S'il y a peu de jugement de complaisance à l'égard des reines, la faute en vient bien évidemment à la manière de régler les conflits personnels de nos consœurs : l'homme trouvera juste un duel inégal placé sous le signe de l'honneur alors que la femme écartera toujours le duel comme moyen et l'honneur comme mobile de ses règlements de comptes.

Cette divergence de point de vue sera le facteur discriminant qui écartera la femme du statut d'être humain, pendant des millénaires et jusqu' au milieu de ce siècle, car ce n'est que depuis trente ans que la femme peut signer ses chèques, réclamer justice et travailler à son compte.

Cette digression ne vise à pas à t' égarer, lecteur, dans des propos philosophiques mais bien à te faire découvrir le monde d'aujourd'hui: le Vermandois et l'Aisne sont, en effet, traversés par la chaussée Brunehaut. Comme on nomme aujourd'hui les principales autoroutes, cette route a perpétué le nom de cette reine de roman feuilleton.

Clotaire décéda en 561 laissant deux fils: Sigebert reçut la rive sud de l'Oise et son prolongement vers les Ardennes et épousa Brunehaut, fille du roi wisigoth d'Espagne, Chilpéric eut la rive nord, Noyon, Amiens, Péronne, Saint-Quentin , Cambrai, Tournai et épousa Frédégonde.  Paris commençait à être une cité importante et pourtant les deux frères la considèreront comme un bien indivis sans grand intérêt et ne valant aucun séjour prolongé. Frédégonde, moins connue que Brunehaut, est le personnage intéressant de cet épisode, c'est en effet une fille de chez nous. On sait qu'elle est née à Avaucourt en Picardie, d'une naissance obscure. Attachée à la maison d'Audouaire , femme de Clotaire, elle obtint d'être marraine d'une des filles, ce qui lui permit de rester au palais lorsque la seconde, venue comme Brunehaut d'Espagne, chassa la première. Frédégonde comprit vite sa haine viscérale contre les brunes du sud et fit assassiner Galsuinte. Le roi épousa alors cette fille sans titre mais qu'il devait connaître depuis ses tendres années et , en cadeau de mariage, fit jeter Audouaire dans un de ces fleuves chauds et limpides de la région où les corps sont rarement retrouvés.  Avec un tel palmarès, Frédégonde devint l'âme damnée de son mari puîné et une assistante dévouée.

Brunehaut séjournait le plus souvent du côté de Cologne mais ne se refusait pas des séjours à Reims et Laon. Frédégonde pensait que les habitants de nos régions  avaient les meilleurs chevaux, les épées les plus tranchantes et qu'il suffisait de compléter l'armement par quelques poisons violents pour obtenir la réunification des terres franques. Par cinq fois, Chilpéric pénétrera dans les propriétés de Sigebert. Celui ci ne disposait sans doute pas d'une "ost" aussi vaillante que son frère mais l'Austrasie comptait des grands plus riches en arrière-ban et une amitié forte avec la Burgondie, voire jusqu'avec les Lombards. En 575, Chilpéric fut, pour la première fois,  repoussé dans Tournai que les Austrasiens assiégeaient. Frédégonde, de rage, fit assassiner Sigebert avec des armes empoisonnées. Chilpéric triomphait mais "bien mal acquis....". Brunehaut n'eut de salut que  dans la fuite chez les Burgondes avec son fils . Notre reine Frédégonde  resta à côté de Chilpéric jusqu'à la mort de celui ci en 584 ( certaines mauvaises langues disent qu'il fut assassiné par Frédégonde qui aurait craint une répudiation à la suite d'une liaison avec un maire de palais du nom de Landri, oh ! que de suppositions infondées ! ). La confrontation avec Brunehaut allait commencer. Sans vouloir faire de parallèle entre les deux femmes, il faut noter que Frédégonde mourut  en paix en 595 et fut enterrée avec son mari à l'église Saint Germain des Prés .

Brunehaut, ayant sauvé son fils, se débarrassa d'un prétendant au trône, fils de Clotaire, et non encore majeur afin d'assurer la régence. Elle fit assassiner Wintrion, duc de Champagne et maints autres grands et se rendit si odieuse qu'elle fut chassée, nue de son royaume. Ce n'est pas sur la chaussée Brunehaut qu'elle fut retrouvée et il est peu probable qu'elle soit passée à cette occasion dans le secteur. Elle continua pourtant ses méfaits, après avoir séduit Thierri, son propre petit-fils, qui l'avait recueillie dans le dénuement.

On sait que finalement, elle fut condamnée à être tirée par un cheval indompté, attachée par les cheveux jusqu'à ce que mort s'ensuive. La chronique ne dit pas la non plus où le spectacle fut donné.

La chaussée Brunehaut n'est qu'un indice improbable d'un fait véridique dont notre région fut l'origine et le support. Brunehaut eut droit cependant une sépulture chrétienne à l'abbaye de Saint Martin d'Autun, mystère supplémentaire !

Cette fin peu glorieuse eut lieu en 614 ou 615. C'était un épisode d'une rubrique des haines ordinaires sur un fond politique : le conflit entre la Neustrie et l'Austrasie. Les rôles de la Burgondie et de la Bavière formaient un arrière-plan qui marqueront l'histoire pendant des siècles. Quelque chose avait imprimé le subconscient des différents peuples et un sentiment de ressemblance unissait des communautés sœurs mais pouvant se détester jusqu'au crime passionnel.

    

L'époque glorieuse de la Neustrie dont le Vermandois était proche du cœur correspond sensiblement au triomphe de Clotaire aidé de Frédégonde  jusqu' au règne de Dagobert puis , avec moins d'intensité, jusqu'à la bataille de Tertry, soit de 561 à 687. Les rois et les maires de palais n'apportaient pourtant rien. Ils percevaient, buvaient, guerroyaient au lointain pour des caprices d'enfants gâtés et n'avaient cure du reste. Tout au plus, peut-on penser,  respectaient-ils l'Eglise et les artisans qui leur fournissaient bonnes armes pour ferrailler, bons grains pour manger et bons chevaux pour cavaler. Ainsi va la prospérité qu'elle bénéficie de l'oubli des grands et du respect des nantis mais ne laisse que des traces éparses et fluettes dans l'histoire. Cette période fut, en effet, pour nos régions une nouvelle avancée dans le christianisme. La paix en Neustrie, la gloire de son roi et sa foi proclamée va amener chez nous les enfants de Saint Patrick, l'Irlandais. Le mouvement des prêtres et moines irlandais concrétisait des relations de voisinage et une identité de vue et de vie. Aussi furent-ils nombreux ces prêtres irlandais d'un nouveau style qui vont durablement pénétrer le pays. Le plus éminent fut certainement Saint Colomban   qui rédigea la règle de cette communauté missionnaire. Les contes celtes n'étaient pas rejetés,  une assimilation intelligente des récits populaires autorisait une évangélisation plus adaptée, surtout le travail des champs s'intégrait dans la mission de l'homme sur terre.

Colomban passa chez nous avant d'aller vers Luxueil, Saint Gall et l'Italie . Beaucoup de ses compatriotes s'arrêteront, défricheront, prêcheront, baptiseront et bâtiront des églises.

Leurs missions étant identiques ; les vies de chacun seront souvent semblables et la canonisation couronnera leur mérite.

Ces saints irlandais ont été nombreux :

Saint Fursy qui décèdera dans le Ponthieu. Evêque vénéré, ses reliques seront mises en lieu sûr, assez loin de la côte pour échapper aux raids des Normands. Il deviendra ainsi le Saint de Péronne. Ce ne fut que justice qu'un saint d'outre-mer  soit honoré en cette ville dont l' étymologie vient de Parona Scottorum.

Saint Gobain, moins mitré, vivra dans l'humilité auprès d'une petite communauté perdue dans le massif forestier immense des Sires de Coucy et osera l'impossible : convertir les hommes des bois. Il fut martyrisé par les barbares et par la presse officielle. Son nom demeurera inscrit, par miracle, au lieu de son souvenir et ce n'est que mille années après que Colbert en créant dans cette clairière une grande manufacture lui rendra sa notoriété.

Saint Boétian( 668 ), noble irlandais connut un sort identique sans la célébrité. Sa vie austère et son langage d'exigence irriteront les barbares de Pierrepont près de Laon. Sa châsse conservant sa tête  est toujours exposée malgré les siècles de profond obscurantisme qui séparent notre ère de son temps.

Saint Etton dont la statue figure à Flavy le Martel et qui dut prêcher vers Cambrai,    

Saint Kilian qui évangélisa Aubigny.

Partout se créent des " Xénodochia ", maisons d'accueil pour voyageurs chrétiens. Mais celles ci ne sont que des commodités rustiques, souvent de simples huttes, pour des missionnaires qui ne fréquentent plus l'élite et qui veulent porter la parole et la bonne nouvelle aux gens simples.

Ils mèneront un travail d'obscurs avec pour seule ressource l'exemple. En haut, mieux financés, d'autres saints obtiendront des résultats plus probants :

Saint Géry , patron de plusieurs paroisses du Nord du Vermandois et évêque de Cambrai, et de haute naissance franque fondera Bruxelles,

Sainte Aldégonde, patronne de Maubeuge.

La christianisation de la Neustrie était presque achevée et Saint Colomban trouva surtout en Austrasie des terres à évangéliser. Il sera plusieurs fois confronté à Brunehaut et sera finalement bien soutenu par elle ( ce qui peut expliquer sa sépulture chrétienne). Après avoir séjourné sur le plateau proche de Besançon, il fonda l'abbaye de Luxeuil, puis celle de Saint Gall en Suisse ( Gall était avec lui) et finalement celle de Bobbio en Italie d'où il entama la conversion des rois lombards, toujours ariens et rebelles au dogme trinitaire.

Si Boniface fut l'apôtre de l'Allemagne, Rémi et Médard furent ceux des Francs, Colomban mérite le titre d'apôtre de la Lotharingie. Cette désignation se constate encore aujourd'hui dans les chrétientés de Lorraine, Franche-Comté, Suisse, Bourgogne. La foi y est l'apanage des gens simples et leur fierté. L'Irlandais Colomban ne devait pas dire grand chose d'autre.

La providence lui avait offert des auditeurs attentifs qui, avec les chevaliers croyants de la France Neustrienne, se ligueront à temps pour barrer la route aux chevaux légers de l'Islam qu'un certain Mohammed commençait à professer en Arabie dans ces années 600.

Le monde semblait occupé par les péripéties de conflits de harpies haineuses alors qu'il s'agissait plus que jamais de savoir si Dieu appartenait aux grands, aux faibles ou aux soumis ?

Dagobert à Homblières et Eloy en Vermandois.

Le septième siècle répond absent à l'appel  de la quasi totalité des livres d'histoire de classe. Tout au plus, comme exutoire à une curiosité excessive est-il donné à  fredonner la chanson de Dagobert et de sa culotte à l'envers . Les paroles de la chanson sont d'une grande portée épique et résument merveilleusement la situation de la royauté en cette époque. Mais réduire un siècle à la caricature d'un règne de 7 années s'avère très injuste... tout particulièrement pour notre région.

Le seul érudit qui finalement célébra ce siècle fut Mabillon, né dans les Ardennes et mort à Saint-Germain-des-Prés. Il déclara que le septième siècle avait été l'âge d'or de la France.

Pour le Vermandois, ce ne fut pas un siècle de paix, mais la structure du monde faisait que les guerres n'étaient faites que par des volontaires pour des causes fondamentales et que le peuple avait droit à la paix de l'ordre naturel. On vécut donc en ce temps comme des dieux en France , sous le regard admiratif du monde et celui indiscret de la  jalousie.   

Clotaire II, en délaissant Soissons pour Paris et après avoir attaché Brunehaut par les cheveux à la queue d'un cheval fou, confia notre région à Garifrède vers 600. Il fit bien d'autres opérations de donations, dévolutions, tractations sur ces terres de Neustrie qu'il hérita de son père Clotaire et de Frédégonde d'Araucourt. En une époque où l'argent ne circulait guère, les premiers textes fourmillent de ces donations  notariées dont la contrepartie monétaire où en nature figurait souvent peu dans le texte. En acquérant son fief, ce seigneur devenait l'obligé d'un contrat qui s'appuyait entièrement sur les coutumes franques. Les domaines d'alors formaient des cellules de production dans lesquelles les éléments humains et matériels étaient indissociables. Leurs gestions  par les Romains  avaient permis de connaître les revenus annuels en nature et en argent qu'ils secrétaient. Le roi, en désignant un seigneur, ne faisait que donner un gérant à l'entreprise ; le droit de vie et de mort, d'usus et d'abusus faisaient partie des pouvoirs de gérance mais jamais intégralement. La gérance, la tenure s'inspiraient du droit romain et étaient de nature temporaire, le plus généralement d'une durée de 12 ans. Cet usage était plein de raison. Le bénéficiaire disposait d'un temps de gérance satisfaisant pour "faire sa pelote" tout en le contraignant à rester fidèle à son maître. La gérance n'était transmissible à priori qu'à une personne et les domaines royaux gardaient ainsi le caractère de " fiscus" qui avait présidé à leur naissance. Il n' y avait pas de contre-indication à installer un proche sur une parcelle du domaine puisque la responsabilité du tenancier principal l'engageait, sa vie durant, vis à vis des tiers. Le droit se déclinait sur l'adage simple d'un roi, une foi, une loi.

Ni écrite, ni discutable, la loi  n'avait qu'une apparence d'unicité, car les clercs obtiendront dès le concile d'Orléans une justice particulière.

La foi s'incarnait au sens laïque dans la personne du roi. Le roi n'était-il pas doublement élu, par le peuple qui le hissait encore sur le pavois et par l' onction de l'huile sainte?

Le roi était fondamentalement unique et seul face à sa conscience.

Cette constitution naturelle se heurtera comme toutes les entreprises aux dures réalités de la continuité et de la transmission du pouvoir.

Les enfants royaux devenaient rois et ce principe inapplicable aux citoyens obligeait le morcellement du domaine royal.

Le pays franc qui allait de la Loire au Rhin fut ainsi coupé en deux, en trois, réunifié une fois, deux fois, trois fois par le simple jeu des partages héréditaires et aussi par les assassinats et des " contrats "  exterminateurs. La  dague et les poisons formaient l'attirail des diplomates et les traités qui fleuriront en France plus tard n'engageront que les clercs. La race des seigneurs, elle , ne sera respectueuse que de sa parole et des usages de la tribu.

Ceux-ci plaçait la mort au centre de la justice : l'ordalie laissait à l'aléatoire improbable la possibilité de juger à la place de dieu, le prix du sang réglait à la manière du talion les conflits entre les hommes, la" faide" autorisait de tuer pour laver son honneur.

Jamais sans doute n'y eut-il autant de justice en France !

Cette forme barbare de justice ne s'appliquait qu'aux rois, heureusement !

Le peuple vivait loin des conflits sanguinaires des princes de sang, n'ayant pas le sang bleu. La ligne de partage entre les deux mondes se situait très haut, puisqu'elle fut constituée par les maires de palais qui s'occupaient du peuple sans pour autant se mêler des histoires de la dynastie. Leur heure viendra vite car l'internationale catholique penchera naturellement vers le petit peuple.

Aussi les péripéties des Clovis II et III, Clotaire I, II, III des Chilpéric, Sigisbert etc sont de peu d'intérêt. Pour une armure, ils céderont  une terre à une église  ; pour un cheval, un seigneur obtiendra un domaine ; la France servira de menue monnaie en un époque où l'argent-roi sera supplanté par le roi et ses gens.

Pourtant pour un monarque ambitieux, les métaux précieux peuvent être utiles.

En 613, la réunification de la Neustrie et de l'Austrasie sera refaite sous Dagobert I . Né en l'an 600, il n'accèdera à la fonction royale qu'en 632 et pour 7 années. Son histoire courte se trouve éclipsée par celle du grand Saint Eloy, patron des orfèvres et des serruriers. L'évêque de Noyon était preuve vivante de la suprématie de la Neustrie sur sa voisine et éclipsait son confrère de Reims. Surtout, il s'appuyait sur la nouvelle richesse du pays. Les fours de maréchalerie, les forgerons, les potiers et les orfèvres prolifèreront le long de l'Oise et de la Somme. Sous la protection du premier prélat du pays, ces artisans très exposés pourront enfin faire valoir leur art. Les donations citées plus haut récompenseront souvent une église qui n'était qu'un intermédiaire dans une vente d'armes. Saint Eloy pourtant veillait à ce que ce commerce se limite à réduire les prétendants au trône et laisse se multiplier les maîtres de forge, tâcherons et les plus secrets de tous : les orfèvres.

L'évêché de Noyon devint ainsi la première puissance financière du pays. Paris qui dépendait de l'évêque de Sens commençait à poindre son nez mais ne cachait pas sa jalousie pour Noyon aux mille cloches et aux nombreux monastères. Eloy connaissait bien son roi et le royaume. Les grands seigneurs manifestaient encore leur attachement ancestral à ces provinces du Nord allant jusqu'à Cologne et il fallait établir des ponts entre Neustrie et Austrasie qui se chamaillaient sans cesse.

Parmi les raisons qui le poussèrent à construire la première basilique de Saint Quentin, il y en eut d'autres tout autant matérielles et stratégiques.

Le Vermandois faisait partie du domaine  royal depuis Clotaire II. Dagobert Ier, empereur éphémère de l'Orient, puis Clovis II et Clotaire III voulaient sur leurs terres une manifestation de splendeur royale.  Saint Eloy, spécialiste des châsses, fit exécuter des fouilles dans la première église et finit par découvrir le 3 Janvier 640 le corps du martyr.  La corporation des orfèvres  transforma les ossements blanchis en reliques rehaussées d'or ciselé, de pierreries fines et de velours rouge.

La perfection du travail attirera de partout des admirateurs époustouflés par la beauté de l'objet autant que par la grâce divine. Saint-Quentin devint un lieu de pèlerinage qu'affectionnaient nos campagnards. Ils pouvaient admirer ce métal inaltérable qui contrastait tellement avec le fer grossier des outils, s' interroger sur le sens du contenu de l'écrin et prier Dieu, qui fait les saisons, de maintenir éternellement les preuves de sa magnificence  et de sa bienveillance.

La prière du petit peuple naturellement confondait dans un même élan de piété le saint martyr, le saint des saisons et le saint des dorures. L'émotion troublait les êtres sincèrement car il n'était montré que la chose, aucune clause annexe d'indulgence, de pardon ou de rémission ne polluait la démarche et il n'était encore exigé aucune contrepartie en sous ou soumissions.

L'investissement s'avéra si profitable que plusieurs abbés joignirent à leur nom les titres de Custodes, coutres ou trésoriers. Par là, ils  désignaient  à chaque pèlerin qu'ils étaient, sans contestation possible, les receveurs des  dons avec ou sans reçus.

Les églises gothiques de France construites à partir du dixième siècle figurent parmi les grands chefs-d’œuvre de l'humanité. Reims, Beauvais, Paris, Amiens, Soissons, Noyon et plus loin Chartres et Orléans, pourtant, ne restituent qu'une partie de leurs splendeurs en couleurs,  ors,  statues et  chants. L'imagination permet de recréer ce monde qui nécessairement dura plusieurs siècles pour parachever les plus beaux bâtiments que l'imagination des hommes et la science des tailleurs de pierres ne réalisa jamais !

Pareils édifices plongeaient leurs fondations dans une société durable avec des convictions solides et non pas sur du sable. Il fallut parfois un siècle pour atteindre la coupole ou le premier clocher, mais pour préparer l’œuvre, trouver les maîtres d’œuvre , les finances, les techniques, il en faudra trois à cinq.

La foi qui déplace les montagnes ne mettra que la dernière touche à l’œuvre des siècles...... et des humbles.

Dans ce monde en surgescence, le Vermandois assista enfin au combat des maires de palais de la Neustrie et de l'Austrasie.

Elbroin, en Neustrie, rassemblait la force, la magnificence et les meilleures opportunités commerciales de la région. A l'Est, l'Austrasie subissait une bipolarisation entre le Nord et les régions burgondes. Les pipinnides avaient l'administration des régions de la Sambre et des Ardennes . La rivalité entre ces fonctionnaires sous-estimés par des chefs querelleurs et stupides débouchera sur un règlement de compte.

Il eut lieu à Tertry en 686.

Et le Vermandois devint le centre politique du monde.

Le second seigneur du Vermandois après Garifrède fut Ingomare. Il sera une pièce maîtresse de la Bataille de Tertry en 686 .

                                                         De Tertry à Quierzy.

Alors que l' Asie Mineure et l'Afrique du Nord bouillonnaient de la gestation du monde islamique, l' Occident vivait un siècle calme, troublé uniquement  par quelques querelles de familles. Il serait hâtif d'en déduire, toutefois, que n'existaient pas des divisions internes profondes dans les domaines de la politique, des cultures, de la religion et de l'économie, mais malgré la pluralité des coutumes, pays, monnaies, usages, une conscience collective s'était bien cristallisée autour de la lignée franque et de la loi salique et autour de la religion catholique. Comment le modèle vint à impressionner dans les lointains oasis d'Arabie, peu d'historiens ont osé la recherche, pourtant l'Islam va s'inspirer et radicaliser le prototype . Les dogmes de la Sainte Trinité, l'Eglise indépendante , la discussion stérile seront purement évacués pour les rendre compatibles avec la loi salique et les règles de la chevalerie . Les bases ainsi revisitées et les armes de la cavalerie allégées, l'Islam va , à l'instar des Francs, conquérir comme une traînée de poudre, toute la partie oubliée de l'Empire romain

A l'époque de la bataille de Tertry, l'Espagne jusqu'aux portes de la Turquie et les frontières de l'Inde est sous le contrôle des descendants du prophète .

Les Mérovingiens doivent cesser d'importer le papyrus d'Egypte et se rabattre sur le parchemin.  C'est sous cet éclairage, qu'il faut situer l'importance de ce choc de quelque deux mille cavaliers, tous cousins de, part et d'autre de l'Omignon.

L'Italie n'existe pas, la Bourgogne est certes riche mais se satisfait de sa vassalité franque, l'Allemagne attend Saint Winfried ( St Boniface pour nous et pourtant né anglais ) qui va venir l'évangéliser après avoir sacré roi des Francs, Pépin le Bref.

Seuls les Francs constituent une vraie Nation qui, de la Loire à Châlon sur Marne et jusqu'à Cologne et aux rives du Rhin, est suffisamment riche et forte pour que les aigreurs et méchancetés des familles régnantes se dissolvent devant la puissance du consensus commun..

Le ciment de la religion et des traditions franques fut consolidé par la mise en place de nombreux corps intermédiaires: l'Eglise, ses clercs de père en fils et ses "fabriques" qui préfigurent les premières associations à but non lucratif, les abbayes dont Saint Benoît a codifié les règles vis à vis du monde profane, mais aussi, les fermes, les palais qui sont nombreux et autonomes sous la gestion de maires , les agents divers du fisc, l'armée attend de naître mais se manifeste chaque année par la réunion de l'Ost, enfin les juifs qui seront vraisemblablement les colporteurs auprès des Arabes de la nouvelle d'un monde de progrès attendant un vrai messie.

A Tertry, ce ne sont pas seulement la Neustrie et l'Austrasie qui sont définitivement scellées, mais aussi  le rôle des maires de palais au sein de l'histoire, car va s'affirmer la conscience nationale et historique de ces administrateurs.

Mais revenons au siècle qui va être celui des maires de palais.

Sous le très jeune successeur de Dagobert, Clovis II ( 639-657) , le gouvernement de la Neustrie et de la Bourgogne  revint à la mère du roi, la reine Nanthilde et au maire du palais Aega, puis à sa mort, à son successeur Erchinoald. A la mort de Nanthilde, celui ci gouverna seul pendant quinze ans. Parent de la mère de Dagobert, il marie sa fille au roi de Kent et donne à Clovis II une esclave anglo-saxonne ravissante qu'il épouse : la reine Bathilde. Celle ci deviendra à son tour régente pour son fils Clotaire III  et, à la mort d'Erchinoald, favorisera une politique centralisatrice dont l'instrument sera Ebroïn, nommé, par elle, maire du palais en 658.

Les évêques de Bourgogne,  de Lyon, et même Sigebrand à Paris prennent des allures de grands féodaux insoumis, Ebroin les fait exécuter. Comme Sigebrand avait été nommé par Bathilde et suspecté de complot contre Ebroin, Bathilde est contrainte de se retirer à l'abbaye de Chelles qu'elle a fondée. Cette maison deviendra la plus prestigieuse pour les dames de l'aristocratie et méritera à Balthilde le titre de Sainte. Chelles ne sera pas sa seule réalisation ; Saint-Denis, Saint-Maurice d'Agaune et Corbie reçoivent d'importants domaines et privilèges et deviendront des point d'ancrages très forts pour le pouvoir royal que les Carolingiens n'auront qu'à récupérer.

L'Austrasie était, elle, sous la domination de Grimoald, maire de palais de la lignée des Pépin . Il persuada le roi sans enfant d'adopter son propre fils rebaptisé du nom mérovingien de Childebert. De ce côté-là de l'Oise, furent également fondés de grands monastères, Stablo et Malmédy pour les hommes et Nivelles pour les femmes ( fondée par Sainte Gertrude).

Le roi Sigebert eut finalement, contre le projet de Grimoald, un enfant : Dagobert II. A la mort du Roi en 656, Grimoald exila en Irlande Dagobert et fit roi Childebert, l'adopté.

Les Neustriens ne pouvaient tolérer pareille atteinte à la lignée mérovingienne. Ils firent tuer Grimoald et nommèrent Childéric II, frère du roi de Neustrie Clotaire III.

La première tentative des pipinnides échouait.  Childéric II, plus fort du soutien de ses princes que son frère Clotaire,  nomma roi Thierry III, son frère, à la mort de Clotaire sans même demander l'avis des grands de Neustrie et avec le soutien de Léger, évêque d'Autun et de Warin, le Comte de Paris. Ebroin alla se réfugier à Saint Denis.  Mais la Neustrie n'aimait pas ces manières et Chilpéric et sa femme tombèrent dans une embuscade en 675, dans la forêt de Brotonne, près de Rouen . Saint Ouen, évêque de cette ville, ne devait pas être innocent et Ebroin retrouva le pouvoir. Saint Léger, qui était en résidence à Fécamp, paya de sa vie son allégeance à l'Austrasie.

 

C'était comme un retour à la case départ, après vingt années. Ebroin était à l'Ouest et Wulfoald, le pipinnide, avait réinstallé Dagobert II. Un nouveau conflit de frontière provoqua à Langres en 677 une nouvelle bataille et un nouveau pacte entre les deux pays francs.

 Mais en 679, l'Austrasie est à nouveau décapitée de son roi et de son maire . Ebroin exigea la soumission au seul roi survivant, Thierry III,  et battit les troupes austrasiennes près de Laon.

Mais, vainqueur, Ebroin sera assassiné en 680 par Ermenfroi. C'est la revanche des pipinnides . Le nouveau Maire de Palais de Neustrie, Warathon entame un processus de paix pour éviter les pépins. Mais son fils Gislemar le destitue et reprend la lutte près de Namur. Ce fils combattif mourut opportunément et Warathon retrouva le pouvoir et organisa sa succession en faveur de son beau-fils Berchaire.

Celui-ci voulut poursuivre le conflit armé, contre l'avis de la noblesse neustrienne. L'évêque de Reims, Réole,  fit appel à Pépin et ce fut la bataille de Tertry .

Après la victoire, c'est surtout l'arrangement qui importe: la solution consista à couvrir d'une institution commune les deux grandes entités politiques du monde franc.  Le roi neustrien Thierry III gardait résidence à Paris, mais son maire de palais devait être pipinnide, Nordebert fut le premier . Pépin II continua à résider sur ses terres d' Austrasie et gérait son pouvoir au travers de Drogon, duc de Champagne et de Nordebert, maire à Paris.

Il n'y avait qu'un roi mais deux gouvernements qui ne faisaient qu'une dynastie.

Cette situation paradoxale dura de 687 à 751, bien assez longtemps pour que les rois fainéants mérovingiens se discréditent d'eux-mêmes et que les pipinnides assoient leur pouvoir.

Au cœur de celui ci se trouvaient les villas de la famille dans notre proche région. L'Oise était l'épine dorsale depuis toujours et les Pépins possédaient l'importante villa d' Hannappes avec les forêts d'Andigny et du Nouvion et la villa de  Quierzy qui contrôlait les forêts de Compiègne, Saint Gobain et de la Beine. Cette dernière deviendra dès Tertry le centre névralgique du Royaume franc. Le roi, lui aussi, détient de riches terres chez nous, Athies déjà citée, Mennessis que Chilpéric confiera à Saint Armand , l'évêque de Maastricht , Ham et beaucoup d'autres lieux.

Quierzy est à mi-chemin de Soissons et de Laon, de Paris et de Liège, sans doute de Tours et de Cologne.

Les vestiges manquent totalement de cette grandeur incomparable et pourtant Quierzy comme Tertry sont bien au centre de l'Histoire européenne et méritent de figurer dans les livres de tous les enfants de la communauté.

On sait que Charles Martel y est mort et que Pépin le Bref aussi. Charlemagne y serait né, bien que nombreux pensent qu' il est né dans le fief de sa mère Berthe, à côté de Laon.

Derrière chaque roi, l'histoire nous révèle un Saint. Avec Pépin le Bref, ce sera Saint Boniface, l'évangélisateur de la Haute Lotharingie qui le sacrera roi mais avant cet évènement majeur, il nous faut parler du plus grand des grands, son père Charles Martel.

Pépin, Charles Martel, Quierzy et Charlemagne .

Pépin d'Héristal, qui infligea à Berchaire et au roi mérovingien la défaite de Tertry, était déjà de la troisième génération des maires de palais d'Austrasie. Le premier des pippinides, Pépin le Vieux , dit de Landen, son grand-père avait été le défenseur zélé de la foi chrétienne, ce qui lui vaudra la béatification. Pépin d'Héristal sera , de ce fait, naturellement contre la politique d' Ebroin qui veut abaisser les grands évêques  et contre son inspirateur. Finalement, il triomphe et règnera sans autre partage que l'influence de son épouse Plectrude, de la riche  lignée des francs de la région de Trêves .

Au décès du vainqueur de Tertry, les règles de succession d' un maire de palais, princeps, n'avaient pas encore ce caractère indiscutable de celle des monarques, bien connue sous le nom de loi Salique. Cette loi d'ailleurs n' en était pas une puisque sa seule expression connue réside dans un texte du 17ème siècle et on comprend que Plectrude ait cherché à écarter Charles, fils de Pépin et d'une concubine Alphaide, au profit de son propre fils Théobald.

Le roi et son maire de palais neustrien ne pouvaient que s'inquiéter de la velléité de Plectrude et de l'emprisonnement de Charles. Un premier assaut aux troupes de Théobald fut donné à Saint Jean de Cuise près de Compiègne, sur les toutes premières marches du domaine d'austrasie. Les Neustriens sous les houlettes de Chilpéric II, nouveau monarque et de Rainfroi, nouveau maire du palais, croient leur heure venue. Ils s'allient avec les Frisons et Saxons pour prendre l'Austrasie à revers et avant même le choc des armes exigent de Plectrude la restitution de la quote-part du trésor revenant à la Neustrie et à la Bourgogne. C'est alors que Charles s'évade de prison . Il  comprend vite la marche à suivre et , entouré de partisans, il affronte les ennemis du nord., les Frisons. Ce n'est pas une réussite sur le plan militaire mais c'est une victoire sur l' opinion publique .

Charles apparaît comme le seul défenseur des francs contre les barbares et se rallie les suffrages de la marâtre Plectrude. Mais seuls les Neustriens représentent une opposition et Charles va donc se remettre en selle et se diriger vers des champs de batailles que nous connaissons bien. Près d'Amblève, puis à Vinci , l'affrontement sur les terres attenantes au Vermandois, tourne à l'avantage de Charles.  Vinci, le 28 mars 717, confirme le rôle de chef d'Austrasie et, sans mal, Charles obtient le trésor d'Austrasie et la ville de Cologne, que sa belle mère tenait sous son boisseau.

Dès lors, il fait flèches de tous bois, attaque les Saxons, profite de la mort du roi des Frisons  pour conquérir Utrecht et  confier l'évangélisation à Saint Willibrod. Le Nord contenu, il règle son compte aux Neustriens le 14 Octobre 719 entre Senlis et Soissons à Néry. N'est on pas là en plein cœur de la Neustrie sur une terre de fisc bien plus intéressante qu'une couronne ? De ces chevauchées entre Vincy et Néry , Charles gardera l'amour profond de cette vallée de l'Oise et des terres de Quierzy qui occupent idéalement la place centrale au cœur des pays francs. Car c'est lui qui contrôle les finances, c'est à dire les réserves des grandes fermes, les chevaux et les forges. Son pouvoir s'organise par le réseau de braves à qui sont confiées les villas, et par le réseau des clercs qu'il protège. Petit à petit s'édifient une chevalerie et une féodalité soucieuse de développement économique comme de salut des âmes. Par le jeu des alliances , le domaine pacifié s'étend de la Garonne jusqu'au Rhin. Les Juifs de Cordoue qui suivent les Arabes comme interprètes, changeurs, médecins trouveront un nom pour ces peuples qu'ils verront combattre : les EUROPENSES.

Charles ne s'engage pas si loin de ses terres pour rien. L'Aquitaine et la Septimanie sont encore sous contrôle des Francs, mais les Arabes font des percées fréquentes et, porteurs d'une vision d'un monde unifié alors que le monde franc restait tiraillé depuis Clovis et Saint Augustin entre la cité des hommes et la cité de Dieu .

Le même type de dilemme concerne Rome et les Lombards. Les rois lombards menacent en permanence la papauté qui serait prête à sacrifier son pouvoir temporel pour plus de sécurité spirituelle. Dès lors, la Cité de Dieu qui n'est que la communauté hiérarchisée des clercs va se rapprocher naturellement de l'organisation très matérielle des maires de palais.

 Il ne manque à celle-ci que l'onction divine or Pierre ne peut-il pas lier sur terre comme aux cieux ?  La chrétienté va naître de cette conjonction pragmatique : Charles viendra aider la papauté, puis arrêtera les Arabes pour honorer la mémoire de Sainte Radégonde. Ses actions dépasseront les actions de simple police et les commandos de piraterie car elles seront "récupérées" par les clercs et la papauté pour trouver une suite aux actes des apôtres.

Mais pour parler de foi religieuse au travers de faits guerriers, la description objective risquerait de troubler le lecteur, il sera donc adopté une narration nouvelle que la littérature reconnaîtra comme de la " chanson de geste". L'expression  a été réductrice pour la majorité des littéraires de tous les temps. Pourtant, en notre époque de clips audiovisuels, les spectateurs que nous sommes perçoivent mieux le pouvoir  évocateur des re-récréations puisque que chacun éprouve chaque jour devant son poste de télévision combien on se lasse plus vite d'une relecture que d'une rediffusion.

Charles Martel, l'intrépide va ainsi devenir dans les récits du cycle de  "Guillaume d'Orange", le fantastique héros épique d'un art nouveau qui va agir comme le véritable ciment de notre patriotisme et de notre langue.

Longtemps après, le cycle de Charlemagne fera l'objet de nombreuses versions. Il faut aussi introduire ici dans les prémices de la littérature européenne, le cycle dit du Graal et de  Tristan et Iseut qui mêlent si fort les accents celtiques et le combat de la foi chrétienne. La présence d'un chevalier musulman dans ce cycle établit de façon formelle que la pénétration arabe n'était plus crainte en tant que telle. Nous verrons par la suite que les premières traces de ce cycle ont été transmises par les abbayes de Saint-Quentin et du Vermandois, où résidaient encore de nombreux missionnaires irlandais, un peu nostalgiques de leur île et fort satisfaits du comportement des chevaliers francs.

Les péripéties de la bataille de Poitiers en 732 ( ou 733, date soutenue par J.H Roy  et J Deviosse) contre Abd El Rhaman qui  y mourut ne présentent dans ce contexte que peu d'intérêt. Elle fut un peu à l'instar d'une récente guerre d'Irak où la relation médiatique rendait les faits militaires plutôt décevants. Poitiers marquera simplement  la limite nord des incursions arabes et le début d'une reconquête, qui descendra jusqu'à Narbonne et la Septimanie ( Languedoc, Provence). La population des régions asservies par les maures accueillera chaleureusement les chevaliers. Pour une bonne majorité, ce sont des libérateurs. Fini, cet impôt des pirates musulmans payé par les seuls infidèles !   

La papauté se félicitera de la détermination de Charles et essaiera de l'amener à contrer les Lombards. Mais Charles qui porte maintenant le nom de Martel et qui confie ses deux enfants à des éducateurs très chrétiens, a pu apprécier la vaillance des Lombards qui se sont alliés aux combats du Sud de la France.

 De surcroît, par tradition franque dont les lombards sont proches cousins, le fils de Charles, Pépin  est " fils lombard par les armes " et cet honneur, réservé aux monarques, donne  de l'appui aux ambitions du maire de palais . Aussi, Charles recevra personnellement la chaîne du tombeau de Saint Pierre en reconnaissance de son rôle dans la défense de la foi et de la papauté.

Pour ce faire, une ambassade extraordinaire sera ordonnée par le pape Grégoire II qui, avec comme légat Saint Boniface, viendra lui remettre à Quierzy.

Charles, en effet, après 27 ans de règne en qualité de maire du palais d'Austrasie , et après quelques années de règne informel du fait de vacance du roi mérovingien de Neustrie depuis  737, s'installe de plus en plus fréquemment à Quierzy. Tombé malade à Verberie, c'est à Quierzy qu'il attachera son cheval et décèdera le 22 octobre 741.

Pépin est sur place. Il pourrait immédiatement revendiquer aussi le titre de roi. Il préfèrera attendre la réunion de l'Ost à Soissons pour cela.  A Pâques 742, il est toujours là et c'est bien normal, son épouse Bertrade, native de Samoussy près de Laon, accouche de son premier né. Il héritera, sur place du prénom de son grand père, dont le cheval est encore là. Charles montrera vite ses qualités de cavalier, d'homme et de chrétien et deviendra le premier empereur du Saint Empire.

Le Vermandois consolait ses plaies de Tertry et de Vinci par ce bel enfançon que le monde entier voudra récupérer.

Des historiens jaloux prétendront qu'il est né en Inglesheim et que son empire était germanique. Cette cruelle contre-vérité se propage toujours et fausse complètement la compréhension de notre histoire.

Nous la combattons, bien sûr, avec la force de conviction de la vérité utile à tous les Européens sincères .

Pépin le Bref et Carolus Magnus .

La mort de Charles Martel, le 22 octobre 741, à la bordure de notre région clôture une période heureuse dont seuls les livres érudits, quelques sépultures et nos églises portent témoignages. Le Vermandois avait bercé sur son terroir  les Celtes, les Romains, les Francs et une cohorte de saints authentiques, les avaient nourris  et surtout fourni en chevaux et en armes. Le fer était, de loin,  l'élément le plus important de la puissance et nos campagnes abritaient toutes un maréchal-ferrant et un forgeron et des apprentis. La corporation honorait Saint Eloi et bénéficiait d'une protection particulière de la part des clercs et des abbés. Le heaume, l'éperon, l'épée droite et fracassante, le poignard effilé, la pointe de la lance ne sortaient pas comme des produits standards de l'usine, ils subissaient un rituel qui donnait une valeur sacrée à l'arme et obligeait son détendeur au respect de la morale chrétienne. Le commandement " tu ne tueras pas " n'écartait pas l'usage de l'arme blanche, laquelle ôtait rarement la vie mais avait pénétré les consciences des fabricants comme des utilisateurs. L'église donnera de manière informelle une imprimatur sur les types d'armes et il ne faut pas s'étonner que plus tard, à la suite d'une autre bataille en Picardie, l'arbalète sera excommuniée comme étant contraire aux principes chrétiens. La flèche ne perforait-elle pas les armures mortellement ?

Une autre élément de puissance se faisait jour dont nous avons aperçu l'apparition avec la première chanson de geste sur " Guillaume d'Orange" , c'est le sentiment national. Le pays des Francs existe au delà de sa représentation physique par la monarchie. Il a son historien en la personne de Grégoire de Tours et ses habitants ont été immortalisés depuis plusieurs siècles par Sidoine Appolinaire.

La suite de l'histoire va s'inscrire dans le droit fil de la continuation mais avec un élément nouveau qui place Pépin le Bref en tête d'une ère nouvelle. Pépin et son frère ont reçu une éducation .... Le contenu des programmes de leur éducation nous est totalement inconnu et pourtant les choses de l'esprit devaient y tenir une place insoupçonnée. Son frère Carloman à qui son père avait promis une mairie et des palais préférera, après de nombreuses campagnes guerrières,  la vie religieuse dans une abbaye d'Italie. Saint Benoît avait préconisé un quart de temps pour les activités libres de l'esprit : lectures, réflexions, recherches et Carloman se complaira sans cette vie. Pépin , lui, est obligé de tenir sa place auprès des grands, mais l'histoire ironise assez sur le fait qu'il est, bref,  petit . Il lui faudra pour combler cet handicap beaucoup de savoir, de finesse,  d'intelligence  et , bien sûr, de l'audace.

Qu'y a-t-il de vrai dans la légende qui fit la célébrité de Pépin et que relate tous les historiens anciens ?

Rien, sans doute, sinon l'intention. Citons Moreri qui écrit au début du 17ème siècle : " On dit qu'au commencement de son règne, s'étant aperçu que les seigneurs français n'avaient pas tout le respect possible, à cause de sa petite taille, s'adressa à eux, un jour qu'il vit un lion furieux qui s'était jeté sur un taureau et leur dit qu'il fallait lui faire lâcher prise. Ils s'en effrayèrent, mais, étant sauté lui même de son estrade, il alla droit sur le lion, le coutelas à la main et lui donna un si grand coup qu'il lui sépara la tête du corps, son épée même étant entrée bien avant dans le cou du taureau.

-Hé bien, dit-il, vous semble-t-il que je sois digne de vous commander ? Voyez ! "

La scène ne peut pas appartenir qu'à la légende car le message est clair. Aussi petit soit-il, le roi peut tuer les prédateurs du royaume  mais, ce faisant, il  peut aussi blesser  ceux qui se prennent pour des taureaux.

Son intelligence se manifestera aussi, vis-à-vis de l'Eglise et de la papauté. Bien que fils par les armes de la Lombardie, il comprend l'émoi de la papauté menacé par cette nation de banquiers entreprenants.

Pour conforter son pouvoir, il a besoin de la richesse de l'Eglise de France. De l'autre côté, le pape a besoin des armes de France pour s'assurer une assise matérielle suffisante et ne plus craindre les créanciers milanais. Dans ce jeu subtile et dangereux, Pépin va attribuer les abbayes et les églises les plus riches à des parents proches. Saint Denis reviendra à Fulrad, son précieux conseiller. Il donnera à son demi frère Jérôme le comté du Vermandois et surtout la position d'abbé de Saint Quentin. Saint-Riquier et la grande abbaye de Prüm près de Trêves vont ainsi passer dans des mains amis en douceur puisque Pépin va prudemment soutenir le pape.

Dans l'action diplomatique, Pépin sera superbement aidé par son épouse Berthe, née à Samoussy, Berthe est proche des premiers mérovingiens d'Austrasie et son père porte le nom de Caribert, porté exclusivement par cette lignée. Outre des possessions dans le Laonnois, elle a aussi des biens le long de la Moselle et sera une épouse et une mère modèle.  

Au palais de Quierzy, où naîtra Charlemagne et où viendra le Pape, elle fait mettre des fleurs sur la table du banquet ce qui étonne le monde, et fera installer une salle d'eau.

Sur son inspiration, sera crée la grande capeline: la berthe, qui recouvre tous les vêtements et permet de monter à cheval. Sa disgrâce, Berthe a un pied plus grand que l'autre,  se commuera vite, comme la petite taille de son époux,  en motif d'affection supplémentaire de la part du peuple tout entier. Fait presque unique, en ces temps, elle sera pratiquement la seule compagne de son pépin chéri. Il est vrai que le roi souffrira tôt d' hydropisie. L'éducation et la culture ont élu domicile à la cour. Charlemagne, comme s'est souvent le cas dans de nombreuses familles, sera élevé dans l'admiration totale de son grand père, cavalier croyant mais largement ignare beaucoup plus que de celle de son père, piètre soldat mais vrai roi de culture et de destination. Pépin le Bref manifestera de la clairvoyance même dans sa succession. En donnant à Charles la Neustrie et en donnant l'impression de favoriser Carloman , plus cultivé et mieux marié, Pépin organisait les conditions d'une confrontation stimulante qui réussira au delà des espérances.

Dans cet éloge appuyé du frêle Pépin, il faut mentionner les évènements importants de sa vie : le couronnement, la venue du Pape Etienne et son action contre Aistulf, le roi des Lombards.

Ces évènements préfacent toute la vie de Charlemagne et explique le tournant important pris par notre pays au sein d'un monde en profonde mutation.

La monarchie mérovingienne, vacante pendant sept années, à la suite de la mort de Thierry, se trouvera finalement un successeur en Childéric III, mais Pépin avec Fulrad, abbé de Saint Denis tient toutes les rênes du pouvoir depuis la mort de son père et l'entrée dans les ordres de son frère.

Childéric III est à l'image de toute la première dynastie, inculte et presque demeuré. Fulrad, en mission à Rome où il retrouve Saint Boniface, l'inspirateur de Charles Martel, pose alors au pape  Zacharie la célèbre question:

- Les rois n'exercent plus le pouvoir dans notre royaume. Est ce un bien , est-ce un mal ?

Il sera répondu :

- Mieux vaut appeler roi celui qui exerce le pouvoir effectivement, afin que l'ordre ne soit pas troublé.

Childéric III fut " déporté" à l'abbaye Saint Bertin de Saint-Omer et Pépin en novembre 751, à l'occasion de l'Ost d'automne sera élevé sur le bouclier à la manière franque par tous les seigneurs réunis à Soissons, puis consacré roi avec du Saint Chrême, toujours à l'église Saint Médard de Soissons.

Fulrad et Boniface, comme Rémi, auparavant, avaient tout manigancé. Car Etienne II qui succédera à Zaccharie en 752 sera tellement sous la presse du roi des Lombards que sa consécration ne pourra se dérouler normalement.

Un peu désespéré, et bien conseillé, il quittera l'Italie inhospitalière, traversera les Alpes et viendra en Picardie. Il fut accueilli à Ponthion sur l'Oise, à Saint Denis par Fulrad, et sacrera roi, à Saint Denis, Pépin et ses fils. C'est là consécration de la dynastie. Pour ce sacre, le prix à payer sera contenu dans la charte signée à Quierzy le 6 Janvier 754. La papauté reçoit l' Exarchat de Ravenne, ou plutôt, le roi de France reconnaît les droits du pape sur la plus importante et riche église de l'Occident . En filigrane figuraient  l'obligation de récupérer cette possession par les armes, la rupture définitive avec les empereurs de Constantinople qui considéraient Ravenne comme leur bien propre et un conflit avec les  Lombards.

  

L' ost partit donc en 754 vers la Lombardie et vers Ravenne et les "Etats du Pape " s'agrandirent de manière sensible. Il fallut revenir en 756 avec des légistes car tout n'avait pas été réglé. Finalement le pape devint Chef d'Etat et Pépin quasiment son égal sur le plan temporel. La chrétienté disposaient de deux colonnes fortes pour l'édification de la cité de Dieu.

Pour autant, la vision politique de Pépin ne s'arrêta pas là. Comme les mérovingiens et ses prédécesseurs, il s'inquiétera du voisinage des Saxons. Le martyre de Saint Boniface et de plusieurs clercs en plein huitième siècle à Mayence en 754, n'était plus un crime envers la foi mais bien un crime envers la civilisation. Pépin préparera la solution finale de ce problème en commençant l'édification d'un palais à Aix la Chapelle .

Charlemagne dont l'enfance et l'adolescence seront heureuses, sans contraintes excessives de son père et de sa mère, trouvera un chemin tout tracé avec des repères solides. Il le suivra fidèlement tout en regrettant toute sa vie, de ne pas avoir été aussi assidu à l'école que son père.

On sait ce qu'il en advint par la suite pour tous les enfants d'Europe.

Pépin le Bref fut enterré à Saint Denis, où le rejoindra Berthe. Parmi les oeuvres de son existence, il en est une qui, au regard de l'Histoire, a une dimension primordiale.

Pépin le Bref, en effet, inventa aussi les brèves. C'est lui qui instituera les Annales, qui enregistreront par écrit, les faits et gestes du roi. Le modèle donné sera recopié par les abbayes et les principales fermes, terres de fisc et villes du royaume. Ce n'était pas encore l'Etat Civil mais la France prenait date dans l'histoire du monde.

Clovis était passé du monde de l'oral à celui des lois écrites. Grâce à Pépin, la France rentrait dans celui de la culture et de l'histoire, prenant par là même le chef de filat d'une Europe des lumières.

Saint Gengoul et Sainte Hunégonde,

Joyeuse et Durandal .

Tout était déjà tracé sur la terre et dans le ciel, lorsque Pépin le Bref fut rappelé à Dieu. Jérôme, son frère, tenait le Vermandois ; le domaine des Francs nichait entre des frontières sûres et reconnues, les alliances avec la papauté étaient scellées.

Le monde chrétien avait reçu la grande majorité de ses saints et ceux ci avaient trouvé des emplois à durées éternelles. Surtout l'éducation des enfants venait de marquer une timide avancée, témoignant d'une modification plus profonde, voire révolutionnaire : la famille chrétienne modelait la nouvelle société.

Le couple de Berthe et de Pépin en donne une preuve éclairante. Les  clercs se conformaient depuis le synode de Tours à cette contrainte, avec profit pour l'Eglise mais il manquait à cette organisation sociale un saint patron défenseur des mariages chrétiens .... ratés.

Pour la défense de l'institution, il fallait au ciel un avocat qui puisse plaider. Grâce à Gengoul, qui fut un vaillant compagnon d'armes de Pépin le Bref, ce sera chose faite. Trahi et trompé autant qu'on peut l'être par une femme volage et pire, il se conduira en époux chrétien , dévoilant enfin au monde ce qu'il fallait faire dans cette situation embarrassante  : comment démontrer la faute d'une femme qui n'avoue pas ( le test de l'eau tiède qui a été remplacé depuis par d'autres tests plus fiables) , comment  traiter la pécheresse (  réclusion à vie au couvent, moyen d'exécution dont la disparition a largement contribué à l' affaiblissement de l'institution) ! La réponse est enfin livrée aux victimes de ce sacrement .

Saint Gengoul, cocu éternel originaire de Varennes et d'Avallon, mérite beaucoup plus que nos prières. Nous lui devons notre admiration pour lui-même et pour sa cause. Sans lui, ni l'Afrique, ni l'Asie, ni l'Amérique n'atteindront le degré culturel de notre région du monde .

Avec Joyeuse et Durandal qui ont très certainement été fondues dans les forges de nos villages, il va solenniser la force de nos institutions. Celles ci dureront inébranlables pendant plus d'un millénaire, assureront l'absolue suprématie d'une civilisation qui depuis le divorce et Malraux sait qu'elle aussi est mortelle.

La relation dans ce mémorial de la vie de Saint Gengoul ferme ce huitième siècle qui fut l'un des âges d'or de la contrée en insistant sur le très long cheminement de cette institution singulière qu'est le mariage chrétien. Sainte Hunégonde, née à Lambay en Vermandois, qui deviendra abbesse de la grande abbaye de femmes d'Homblières, connue depuis déjà plusieurs siècles mérite aussi dans ce cadre d'être citée . Presque cent ans avant Gengoul, elle aussi sera  aimé d'un homme qui voudra être son époux mais pour des raisons de vocation, elle choisira "l'habit" et la virginité. Pour autant, Eudaïde, notre ancêtre l'aimera jusqu'à son dernier jour et comblera l'abbaye de présents et de dons.

En peu de temps,  l'amour aura franchi deux étapes fondamentales de sa destinée : le remords et le regret. Ni l'un, ni l'autre ne faisaient obstacle à l'institution du mariage, celui ci prendra alors la place centrale que nous lui connaissons dans la vie intime de chaque être et de la société entière.
Dans ce monde où percent les premiers accents romanesques, chevaleresques et romantiques, Charles arrive comme un gaillard mal dégrossi qui aurait pu mal tourner si la voie n'avait pas été balisée par son père et l'exemple donné par sa mère.

Ce n'est que tardivement que ce batailleur et ce coureur de filles et de grands chemins cherchera à comprendre par lui même. La rencontre avec le sage Alcuin d'Angleterre, rencontré comme par fait de providence en Aquitaine, après le rude choc de Roncevaux, tranchera le règne très long pour l'époque (45 années) en deux périodes assez distinctes.

Dans la première Charles soumettra la monde : les Aquitains orgueilleux, les Saxons infidèles, les Lombards avides, les Bretons indépendantistes comme on fait plier la bête traquée à la chasse avec de l'intelligence, de la vivacité et de l'instinct.

Autour de lui, les historiens ont chiffré à quatre mille environ son armée de chevaliers. Bien sûr, c'est l'aristocratie de nos régions mais l'ascension  sociale n'est pas un vain mot et le peuple fait corps derrière ses chefs. La légitimité du pouvoir ne se fonde pas encore sur des titres, la vaillance demeure le critère mais avec la condition nouvelle que celle ci ait une cause juste.

 

Après Roncevaux et le début de la correspondance avec Alcuin, Charles sera tout aussi présent à cheval mais se fera lire à chaque repas des extraits de Saint Augustin. La science, l'aménagement de ses châteaux, la construction du canal Rhin/Danube, la justice, la musique romane, la prospérité de toutes ses possessions du Vermandois et d'ailleurs, constitueront autant de sujets d'intérêt pour cet être en construction permanente.

Une polémique d'historien porte sur la question de savoir si Charlemagne a véritablement désiré la consécration impériale et son titre d'Auguste. Derrière la confrontation d'idées, l'analyse cherche à mieux cerner la personnalité de l'homme. Charles possède déjà une kyrielle de titres à son arrivée à Rome et la plus grande part a été gagnée par l'épée mais à Rome, il est Patrice des Romains presque par hérédité, son père n'avait-il pas été nommé patrice en même temps qu'il recevait l'onction royale conjointement avec ses fils ?  Charlemagne n'a pas de maître mais il comprend la prodigieuse situation que lui a léguée le Bref. La couronne impériale ne l'intéresse nullement sauf si ses fils sont associés à l'évènement, comme il le fut avec son père.

Charles ne demande pas les honneurs, il revendique la charge pour lui et ses descendants, il accepte les signes du pouvoir pour l'exercer, pas pour s'en parer. Le sens de la famille, de la lignée et de la justice historique transcende complètement la satisfaction de la promotion .

Notre empereur s'affirme déjà comme un capétien et pourtant il vit comme un Franc. A cause de sa vigueur, il faudra restaurer dans les annales  le terme de concubine, dont la connotation latine était très mal vue et  qui s'ajoutera à celui de femme, épouse, compagne.

Beaucoup de filles du pays plairont à ce gaillard. Il aimera moins, semble-t-il, les intellectuelles et les ambitieuses de haute naissance mais succombera, en fait,  facilement à toutes les belles.

Il résistera pourtant aux tentations de  " l'affaire du siècle", qui sait le  "coup du millénaire " : l'impératrice de Byzance :Irène .

Les avantages de la réunification de l'Empire romain surpassaient toute comparaison et la voluptueuse impératrice avait en plus tous les charmes de la persuasion. Charles ne joindra ni l'utile, ni l'agréable car il est trop fils de paysan de chez nous. Il n'aime pas les grandes villes et surtout cette alliance risque de diluer  son pouvoir, celui  de sa parentèle et celui de ses propres enfants. Un tien vaut mieux que deux tu l'auras !

 Car d'avoir galéré en chevauchées éperdues de Saragosse à Cologne et de Utrecht à Rome, Charles sait mieux que personne que l'on ne connaît pas ce que la main n'atteint pas. Dans la réticence à gravir la dernière marche de la consécration humaine, l'empreinte de la personnalité est la plus forte.

 Les vrais raisons du refus du voyage à Constantinople restent parmi les grands mystères de l' histoire. Considérée, de notre point de vue régionaliste et avec le recul de 12 siècles, la décision de Charlemagne conforta la prospérité de notre Europe neustrienne et austrasienne et lui assura un développement réel pendant un demi millénaire, à " l'abri de frontières sûres et reconnues ". Et pourtant l'excès de nationalisme étroit qui va en résulter anéantira nos villes avec une violence bien pire que celles des pirates barbaresques qui seraient devenus nos amis si Charles l'avait voulu !

De cette heure aussi, le destin de notre pays se trouvera marqué. En choisissant la sécurité et le repliement, Charlemagne pouvait-il imaginer que la région qu'il adorait parcourir derrière le cerf traqué serait anéantie par la mitraille,  la bêtise et la petitesse de l'esprit humain ?

Grâce lui soit cependant rendue, lui qui " inventa l'école ", l'écriture caroline, et fit des dons importants pour la construction de la première basilique de Saint Quentin. Il nomma plusieurs membres de sa famille sur notre bonne terre à fisc et son sang circule encore dans nombre d'habitants de la région.

Les premiers Seigneurs Abbés du Vermandois.

Avec Clovis, les saints, Pépin le Bref, Bertrade et Charlemagne, notre terroir occupait une position centrale non seulement sur la carte. Cette particularité ne va pas cesser tout à coup brutalement . Toutefois, le nombre de personnages va brutalement s'accroître. Le paysan qui sème, fauche dans un état de semi-esclavage sera toujours aussi obscur qu'avant. Le forgeron comme le clerc va commencer à sortir le soir mais ses interventions hors de son atelier sont toujours rares et intermittentes. Par contre, arrivent sur la scène les parents, cousins, amis de sang royal. Ils vont l'occuper jusqu' à la Révolution française et même après. Notre récit va donc, par la force des choses, devenir encore plus incomplet, schématique et arbitraire. Mais aussi plus critique car s'il reste encore beaucoup à bâtir, tout semble prêt pour l'accomplissement . Par contre, rien ne s'aperçoit encore des facteurs de mort et de destruction qui vont sourdre des enfers pendant les temps nouveaux et qu'il nous faudra découvrir .

Jérôme, fils de Charles Martel, avait reçu le titre et les revenus de l'église de Saint- Quentin en 741. Sa position sociale était d'être abbé-comte ou inversement. Qu' importe le titre, il figurait parmi les oncles de Charlemagne et le jeune Charles chevauchera sans aucune crainte sur tous ses domaines. Les meilleurs cavaliers et compagnons de la région rejoignirent naturellement la troupe des quatre mille hommes qui soumettront l'Occident . Jérôme figurera  au premier rang lors du couronnement royal à Noyon , le 9 octobre 768 . Il décède en 771 et ses fonctions sont confiées à Guintard et à Fulrad. Guintard est un preux que Charlemagne récompense par le titre de comte. Fulrad est un fils de Jérôme qui hérite du titre d'abbé et donc de la trésorerie du fief.

Guintard sera présent à Quierzy  en hiver 775 lorsque Charlemagne va décider la soumission des Saxons. Il participa certainement aussi à la campagne.

Fulrad lui sera le bâtisseur de la première basilique , l'église construite par saint Eloi ayant été incorporée dans un monastère qui  assurait la garde du saint lieu de pèlerinage, derrière des murs épais. La récupération des offrandes des pèlerins passait par la construction d'un édifice plus grand. Très généreusement aidé par Charlemagne et ses fils , la basilique fut édifiée de 813 à 826. En 835, Hugues, successeur de Fulrad et fils naturel de Charlemagne, procèdera au transfert des reliques de saint Quentin  dans une crypte sous l'abside . Plus tard, d'autres ossements viendront les rejoindre. La basilique sera dès lors le centre de la vie régionale et la pompe à finance de la famille comtale.

Cette famille directement issue des pipinnides sera une des plus importantes de France et règnera sur la région jusqu'à Philippe Auguste. Ce personnage très particulier de notre histoire nationale et dont on se plaît à répéter qu'il a fait la France avait pour parrain le comte du Vermandois. Dès qu'il le put, il annexa la maison de son parrain à la sienne, il avait de gros besoins d'argent vers le milieu du 13ème siècle. La contrée fut donc quasiment autonome pendant quatre siècles. Malgré les normands, la grande peur de l'an mil, la peste et quelques tremblements de terre, l'époque fut un âge d'or pour nos concitoyens mais aussi pour l'Europe entière.

Lorsqu'au quatorzième siècle, l'usage se répandra d'écrire les "  riches heures " des châteaux, l'époque bénie sera déjà révolue et l' écriture évoquera avec nostalgie un temps irrémédiablement passé.

Sous les seigneurs du Vermandois  pousseront de terre :  la basilique gothique de Saint-Quentin,  le château de Péronne, le fort de Ham, le château de Coucy, les abbayes et tous nos villages. Derrière cette profusion de pierres et de clochers, il faut citer aussi les progrès de l'agriculture sans lesquels rien de durable ne serait possible.

Il faut donc relater la généalogie de cette puissante famille, d'abord parce qu' aucune pensée n'est accordée à sa mémoire dans nos institutions et dans les cours d'école et d'histoire et ensuite parce qu'elle vécut ce que vécurent tous les habitants de ces siècles.

Une opinion commune aujourd'hui divise la société française en favorisés et défavorisés depuis toujours, sans aucune nuance, ni graduation, ni explication. En suivant l'histoire d'une famille, cette dichotomie paraîtra beaucoup moins véridique.

Les députés du peuple d'aujourd'hui vivent-ils de façon aussi proches de la terre et de ses habitants ?

Avec deux siècles de mandats et des moyens incroyablement plus développés,  leur bilan et les fruits de leurs actions ne supportent pas la comparaison ;  les comtes du Vermandois méritent bien notre estime.

Charlemagne qui laissait une importante progéniture mit en selle Louis le débonnaire ou le pieux avec le titre d'empereur, Carloman qui ne vivra guère avec le titre de roi de France, Pépin, le bossu comme roi d'Italie où il ne séjournera guère , Hugues étant abbé du  Vermandois, principal notaire du royaume et premier conseiller de l'empereur. Mais les vies sont courtes en cette époque, Hugues décédera et le titre d'abbé sera donné à un petit fils de Louis le pieux dont la mère Gisla a épousé le Comte de Frioul : Adélard.

Celui-ci continuera l’œuvre et fera déposer le corps de Saint Cassien à la basilique en présence du nouvel empereur : Charles le chauve , son oncle . Celui ci était à Saint-Quentin en l'hiver 841.

Toujours entreprenant et au service de sa famille et du peuple, il proposa à Charles le Chauve, la création d'un Hôpital et en obtint bien sûr la concession. C'était en 853.

Quatre années plus tard, Charles repassa à la basilique et, conseillé par Adélard, il rédigea un traité de Paix entre ses neveux. Mais les jalousies des enfants et la compétition vers les revenus va diviser l'empire . Adélard meurt en 864 et une petite curée s'abat sur son domaine.

Louis le Débonnaire, fils choisi par Charlemagne, parmi son importante descendance, pour lui succéder n'avait pas eu la sagesse de son père ou son " incontinence" et n'eut que trois enfants, malheureusement de deux lits. Lothaire, l'aîné était fils d' Ermengarde et Louis le Germanique et Charles le Chauve de Judith, princesse de Bavière.

 

Par le traité de Verdun de 843, Charles qui était le plus germanique des trois frères obtint la Neustrie, agrandie de l'Aquitaine et de la Septimanie ; une France rabotée à l'Est par la Lotharingie.

Jeune et déjà roi, il se rapprocha d'Adélard notre comte-abbé pour deux bonnes raisons : celui-ci était riche et solidement implanté dans son fief et surtout car Adélard présentait la singularité d'être, tout à la fois, son neveu et son oncle par alliance ( Charles épousa Ementrude, sœur d'Adélard). Cette place particulière permet de comprendre que les abbés de Saint-Quentin furent, à compter  de 844, tous laïcs et comtes en même temps.

Charles le Chauve passa fréquemment en Vermandois puisqu' il passa l'hiver 841 à Saint Quentin après la bataille de Fontenay où il avait affronté les troupes de Lothaire, son frère aîné.

En 857, il est là avec toute la cour, et, en séance solennelle, règle les conditions d'un traité de paix entre ses neveux , fils de Lothaire, et reçoit, peu après, Louis le Germanique, son frère.

La ville comprend déjà un monastère, un hôpital, une superbe collégiale et tout un petit peuple de marchands, pieds poudreux, Juifs, Syriens, forgerons et tisserands.

Toutes proches, les abbayes de Vermand, d'Homblières, d'Origny, de la Fère sont autant de pôles de développement intermédiaires vers d'autres centres , Corbie, Noyon, Soissons, Laon, Cambrai, Laon, Saint Riquier, Saint Denis.

Cette prospérité avait déjà été reconnue par un  grand spécialiste de l'époque : Aron Rachid, Calif de l'Espagne sarrasine où fleurissait à cette époque une société de tolérance judéo-islamique qui donnera le joyau qu'est le palais de Grenade et sauvera le savoir  millénaire de l'Egypte et de l'Orient grâce aux juifs séfarades.

D'autres envieux ne se contentèrent pas de vouloir commercer, ils prirent des armes de fer, qu'un voisinage avec les peuples de haute Allemagne et de Thuringe leur avait permis de découvrir et de copier et de frêles barques effilées au nom effrayant : les drakkars. Les Vikings latinisés en Normands avaient vu Charlemagne exterminer 4000 païens saxons, proches cousins de leur peuple. Grands voyageurs, ils n'ignoraient pas les troubles qui commençaient à gagner l'Empire de Constantinople. L'Angleterre, très christianisée, n'avait pas été un obstacle à leurs incursions, bien au contraire. Ils décelèrent vite qu'une faille fragilisait la société chrétienne où le peuple commençait à s'étonner de la richesse du clergé. Un petit peuple primitif s'alliait spontanément à eux et des trahisons nombreuses firent croire aux envahisseurs qu' ils étaient attendus.

Les invasions des Normands préfigurent les guerres modernes: pénétrations lointaines, brèves avec destructions exemplaires et pillages systématiques. Par le chenal de la Somme, Péronne, Vermand, Saint Quentin furent pillées en 851, puis en 859. La Basilique de Fulrad, achevée 59 ans auparavant avec les subsides de Charlemagne, brûla comme pratiquement tout le pays.

Charles qui réside très fréquemment à Quierzy est directement atteint dans sa chair, car il assiste , en parti impuissant, à ces incursions. Sa fille Judith est mariée au roi d'Angleterre du Sud, lui aussi, sous sous la pression des nordiques, enfin son frère Louis le Germanique profite de toutes ces occasions pour aider les Normands, liguer les victimes des pillards contre le roi.

Le 21 mars 858, alors que les Normands menacent pour la seconde fois, les vassaux de Charles le lâchent et Quierzy n'offre plus de défenses suffisantes.

Ne pouvant compter sur l'aide des troupes de Louis, prudemment Charles file au delà de Reims sur les terres de Bourgogne . Louis le Germanique veut profiter de la situation et invite les  évêques et comtes-abbés à Reims. Ceux ci, qui s'étaient déjà réunis à Quierzy en 849 et avaient apprécié la sagesse de Charles se méfient et se réunissent sous la crosse de Immon, évêque de Noyon et d'Hincmar, archevêque de Reims et sous la protection d'Adélard à Quierzy.

De là, ils adressent une lettre à Louis le Germanique, l'engageant à respecter les droits et propriétés de l'Eglise . Déjà l'Eglise de France sait que sa cousine germanique courbe l'échine devant le pouvoir temporel  et les Rémois savent déjà que l'Allemand n' a pas que des intentions pures. Hincmar soulèvera la population contre les troupes de Louis, et rejeté par le clergé, Louis préférera la retraite. Charles le Chauve  put ainsi rentrer dans ses Etats. En voisin, il apprendra l' assassinat de l'évêque de Noyon : Immon  et  la destruction de la collégiale de Saint Quentin. Pensant qu ' un arrangement avec son frère suffirait à contrer le péril, il se rendra en 865 à Cologne.

Les deux frères sont de bonne composition et s'accordent sur un modus vivendi, sans obligation militaire.

De retour à Quierzy, Charles constate l'appauvrissement du pays consécutif aux pillages des Normands. Naïvement, comme de multiples souverains après lui, il prendra une ordonnance dont l'histoire produisit de nombreux fac-similés. Il sera défendu, avec des sanctions dûment prévues, de refuser une bonne monnaie.

Que des citoyens aussi raisonnables que nous-mêmes en viennent à refuser de la bonne monnaie relève de l'énigme !

Quelque part pourtant, un problème devait se poser sur la valeur de l'argent !

La situation ne manque pas d'inquiéter Charles le Chauve et son gouvernement.

Le 4 Janvier 873, toujours à Quierzy, il signe douze capitulaires contre les voleurs, les malfaiteurs et les traîtres. Il fait encore une donation à l'Abbaye de Chelles où sa fille Hermentrude est abbesse, puis part pour Rome. La mort de son frère Lothaire et le fait qu'il ait avec Adélard réglé le conflit entre les deux fils du Lorrain, lui valent le mérite de recevoir la consécration impériale. Il la reçoit en 876 à Rome des mains de Jean VII, pape d'un époque obscure.

De retour à Quierzy en 877, il convoque l'Ost . Mais ,malgré la distinction suprême d'empereur unique puisque Louis le germanique est décédé, il n'arrive pas à organiser une véritable armée qui irait combattre pas très loin de ses bases : en Italie où les Vikings arrivent.

Une armée, ce ne sont que des hommes et pour faire marcher des soldats, le titre d'empereur ne suffit plus, il faut des gages et des concessions. Le capitulaire de Quierzy de 877 organisa dans ses 33 articles, sans vraiment le vouloir, un monde qui dura mille ans. Les seigneurs qui possédaient des terres par tenure précaire et donc des revenus accepteront de combattre qu'à la condition que ces propriétés leur soient reconnues toute la vie durant, si l'engagement féodal est respecté, et passera aux héritiers des deux signataires. Les biens de l'église feront l'objet du même traitement mais comme le clergé n'est pas tenu de combattre, ceux ci seront garants des biens des seigneurs en campagne. La féodalité naîtra, ainsi, sur les bords de l'Oise et avec elle la noblesse et les généalogies. Car il faut pouvoir concurrencer l'ancien et le nouveau testament. Pour être propriétaire de la terre promise, il faudra justifier ses ascendants par preuve irréfutable et ce depuis la date de 877.   

Peu avant cette date phare, Adélard mourut. Charles le Chauve avait marié sa fille Judith au roi d'Angleterre mais ces rois-là ne conviendront que rarement aux princesses françaises. Judith tomba-t-elle amoureuse ou fut -elle enlevée par le romantique Baudouin des Flandres ?

Le roman d'amour ne fut pas si anodin que cela puisque Charles fut très courroucé par cette aventure et il fallut l'intervention du pape pour autoriser le mariage avec Baudouin.

A ce gendre forcé, Charles donna le Vermandois.

Charles le Chauve régna donc de 840 à 880 en véritable ami et protecteur de notre province. A plusieurs occasions, il est relaté la cordialité des ambassades avec l'empire musulman. Le monde ne semble subir que la violence des Normands et Charles va organiser une défense solide qui durera mille ans.

Charles, dont la vie fut plutôt paisible,  n'eut pourtant pas une mort banale. Son décès fut, en effet, imputé à son médecin, Sedécias, " juif de nation", qui l'aurait empoisonné . Le diagnostic du décès,  partout escamoté, se réfugie derrière cette caricature d'explication, comme s'il s'était agi d'un complot ; le même qui avait sacrifié le Christ, le mossad aurait tiré les ficelles !

De ce fait historique, nous ne retiendrons pour notre part que le fait que la communauté juive existait déjà sur notre périmètre comme l'atteste les rues des Juifs et l' histoire des quelques familles de cette confession de Saint Quentin et d'ailleurs.

Les Comtes héréditaires .

Sédécias, le médecin suspect, volontairement ou non, frappait dans le dos la dynastie carolingienne. Charles le Chauve venait d'atteindre une position aussi élevée que celle de son grand père et avait organisé l' autodéfense de l'Occident. Sa disparition opportune redonnait force aux assaillants de l'extérieur et aux diviseurs de l'intérieur.

La succession entre les fils était mal préparée. Quant aux Normands, rien ne semblait vouloir les arrêter et le comble sera atteint lorsque les Normands pilleront Quierzy et Noyon en 891, détruisant pratiquement ce haut lieu de notre histoire nationale et organisant un repaire de banditisme à partir de ce site.

Entre temps, Paris avait été assiégée en 885. Le péril durait depuis une trentaine d'années et arrivait à son paroxysme. En face, le pouvoir est entre les mains de Louis II dit le Bègue et son frère Louis III. Ils ne règneront véritablement que pendant 4 à 5 ans sans s'imposer mais laisseront un héritier de sang : Charles le Simple, fils du bègue. Les fils de Louis le Germanique, par contre, semblent plus vaillants mais face aux Normands, c'est bien Robert qui mérite le titre de fort. Robert est comte de Paris, son heure arrive.

Aux multiples incertitudes qui s'abattent sur la région se joint un appauvrissement généralisé et avec lui, diverses restructurations. Les fonctions d'abbé et de comte avaient déjà été abusivement fondues par souci d'économie et de finances publiques. L'affectation des fonds importait plus que leur origine et le monarque veillait au grain.

Lorsqu' après la mort d'Abélard, Charles confia le comté du Vermandois à Baudouin, mari de sa fille Judith, il en confiait les bénéfices mais la propriété restait à cette lignée de Pépin, roi d'Italie dont Abélard n'était qu'un représentant mandataire. Les revenus de Saint-Quentin dont le nom venait de remplacer celui d'Augusta dans les textes officiels seront encore acquis à Thierry, le fils de Baudouin mais celui ci mourut en 886 sans descendant. Le comté du Vermandois, Péronne, Ham, Saint-Quentin, Athies ravagé par les Normands, n'était plus le pactole qu'il n'avait cessé d'être. C'est pourquoi, il fallut, sous l'éclairage du capitulaire de Quierzy, retrouver les comtes héréditaires qui pouvaient se prévaloir de droit sur le comté.

Adélard avait caché la forêt et Louis le débonnaire avait, de fait, favorisé son neveu italien au lieu et place du fils de son Pépin. Car c'est bien Pépin qui avait hérité du titre . Bernard son fils, roi d'Italie, complota contre son oncle Louis le Débonnaire, pensant obtenir la place. Le châtiment du complot respecta les anciennes coutumes franques et Bernard eut les yeux crevés. Trois jours après, il en mourait et Pépin, son fils, héritait de ses biens . Celui ci ne sera plus roi d'Italie mais, de plein droit, dès l'an 818, seigneur de Péronne et Saint-Quentin. Situation paradoxale, puisque pendant tout ce temps, Adélard sera la cheville ouvrière du pouvoir de Louis et de Charles le Chauve. Ce n'est qu' en 886, à la suite du décès de Thierry, que Pépin , arrière petit-fils de Charlemagne récupérera son comté ou du moins ce qu'il en restait.

L'héritage avait beaucoup souffert mais Saint-Quentin avec ses dix paroisses, les abbayes et tous les  " fèvres " de la région ( nom des forgerons en langue d' oïl ) n'était pas " a quia ".

Les comtes du Vermandois retrouveront vite une place centrale sur l'échiquier et pour longtemps maintenant que le capitulaire de Quierzy a rendu impossible les falsifications et captations abusives.

Pépin de 886 à 892 fut  donc Comte du Vermandois et associa son fils Herbert à son gouvernement. Le père avait plutôt combattu Eudes , le comte de Paris. Le fils fut l'allié du frère d'Eudes, Robert le Fort dont il épousa une fille et fut, plus tard  le beau-père de Robert 1er, qui épousa Béatrice , sa cousine donc.

Dès cette entrée en matière, le pont entre Carolingiens et Capétiens éclaire le siècle à venir.

La famille d'Herbert a un lointain contentieux avec les descendants de Louis le Débonnaire et, de plus, a besoin de fonds pour reconstruire les terres dévastées. Une alliance avec les Capétiens va se faire progressivement.

Les derniers Carolingiens, issus de Louis le Débonnaire, n' inspirent guère confiance. Charles le Gros que les seigneurs français vont chercher en Germanie puisque Charles le Chauve n'a plus de descendance passe un marché de traître avec les Normands. Pour 10000 pièces d'argent, ceux ci acceptent d'aller s'amuser ailleurs, vers la Bourgogne sans pour autant se plier aux règles de l'hospitalité. Les seigneurs sont furieux et, à la diète de Ribur, en 887, Charles le Gros est démis. L'ancienne division entre Neustrie, Lotharingie, Germanie revient à l'ordre du jour. Eudes, vaillant défenseur de Paris devient le roi officieux de Neustrie à l'époque où Pépin d'Italie recouvra son comté du Vermandois. Repousser les Normands était devenu plus dur depuis que Charles le Gros avait traité avec eux.

 Lorsque Charles le Simple retrouva le titre de roi de Neustrie en 898, ce fut un combat de tranchées. Herbert  Ier du Vermandois, allié à Robert le Fort, frère de Eudes, partit en campagne contre le Comte de Flandre et Raoul de Cambrai qui soutenaient Charles le Simple. Mais ces derniers reprennent, avec l'aide des Normands, Saint-Quentin et Péronne en 897. Pour autant, Herbert, qui tua Raoul de Cambrai en combat près d'Origny, se rangera du côté de son cousin Charles le Simple pour son couronnement royal à Reims en 902. De cette allégeance, il récupérera le titre de comte-abbé de Saint-Quentin, ce qui était bien l'essentiel. Mais Herbert Ier est assassiné pour venger l'honneur des Cambrésiens. Herbert II lui succède et est marié à Hildebrande, une propre fille de Robert le Fort. Herbert a de grandes ambitions . Lorsque, par le traité de Saint Clair sur Epte, Charles le Simple confirme l'implantation des Normands, Herbert voit rouge. Son pays est hérissé de mottes féodales qu'il a fallu ériger contre ces païens venus d'ailleurs. En Allemagne, Ludwig IV l'enfant, dernier  carolingien de la lignée de Louis le Germanique meurt en 912 et Herbert II voit son rival avancer encore d'un cran. Mais Herbert sait bien que tous les grands vassaux n'apprécient guère celui qui s'allie à la force brutale des Normands et se fait conseiller par Haganon, débauché de la pire espèce. La calomnie est largement entretenue par Robert le Fort, comte de Paris qui attend son heure. Ainsi en 920, Robert, duc de France, se fait nommer roi.

En 923, Charles le Simple, allié avec des Normands, affronte les Parisiens . Il est sévèrement battu mais croit en la solidarité du sang. Herbert du Vermandois lui est proche et a manifesté dans le passé des marques d'allégeance. Naïvement, Charles le Simple demandera et obtiendra de se réfugier dans le Vermandois. Herbert II  attendait celui qu'il considérait comme son rival de toujours. Allait -il, celui qui était surnommé Anquetil, devenir roi ? N'était-il pas descendant en ligne directe de Charlemagne et Comte-Abbé d'une des régions centrales du Pays ?

Tout alentour lui appartenait à l'exception de Laon, capitale mythique des Carolingiens !

 

Herbert, l'Outremer et Albert.

Jamais le Vermandois ne tenait autant son avenir entre ses doigts. En cette année 923, le dixième siècle de l'ère chrétienne était déjà entamé et pourtant la crainte de la fin des temps prévu par les millénaristes et Saint Jean semblait encore loin. Ce siècle est aussi un des mal aimés de l'histoire officielle. Il compte pour nous parmi les plus éminents. Même si les évènements seront nombreux, ce sera un siècle de paix qui s'achèvera par la consécration des Capétiens. La providence et la sagesse des hommes avaient donné deux fers au feux de notre région de paysans et de forgerons. Les deux lignées les plus aptes au commandement figuraient à égale distance. Le bon choix, comme souvent, ne se dévoila pas le premier.

Herbert II tenait à sa merci Charles le Simple et le déplaça dans un premier temps de sa forteresse de Château-Thierry vers celle de Péronne qui est parvenue jusqu'à nous. Selon les usages, Herbert n'avait pas retenu la femme de Charles qui ira se réfugier dans sa famille anglaise emmenant son fils Louis qui nous reviendra avec le qualificatif d'outremer. Sa mère, qui répond au doux nom d'Ogive, est fille d'Edouard dit l'ancien , roi d'Angleterre.

La bataille de Soissons eut lieu en 923 et Herbert II gardera Charles jusqu'en 929.

Cette décennie fut un peu troublée. A Rome, le pape fera déterrer son prédécesseur pour le présenter en justice. Les monastères que Louis le débonnaire et saint Benoît d'Aniane avaient voulu unifier au concile d'Aix la Chapelle en 817, ne trouveront plus d'appuis solides. L'ordre de Cluny va donc naître avec la bénédiction du comte d'Aquitaine que l'ordre de succession et la richesse tiennent loin des troubles en revendiquant son indépendance avec le pouvoir temporel. C'était un affront sans pareil à l'Etat tel que nous le concevons aujourd'hui. Ce le fut plus encore, car le bluff réussira plusieurs siècles !

Cette réalité historique nous oblige à gommer de notre analyse la conception de l'Etat et du pouvoir central, qui est la nôtre mais qui n'avait aucun sens en ces temps.

La liberté, la courtoisie et le respect étaient beaucoup plus forts qu'aujourd' hui et le monde occidental vivait fort bien sans Etat. Le monarque d'alors, Charles le Simple, était prisonnier ;  son geôlier ne demandait qu'un peu de terre mais ne revendiquait ni honneur, ni pouvoir législatif.

L'histoire s'écrivait autour d'une compétition de familles en oubliant complètement que le monde prospérait et se construisait de solides mottes féodales et des bastides.

Il importait peu au petit peuple de savoir qu' Hugues, fils de Robert Ier, beau frère d' Herbert nomma Raoul, son autre beau-frère, comme seigneur de Laon pendant la captivité de Charles. Mais le seigneur de Laon est pour tous l' héritier impérial et nombreux seront les grands d' Aquitaine et de Normandie qui refuseront l'allégeance. Pour justifier son pouvoir usurpé, le roi est alors obligé d'affronter ceux qui s'opposent à sa reconnaissance. Ainsi, Raoul détruira encore l' aura carolingienne au profit de son commanditaire robertien. Herbert rigola moins quand Raoul reprit Péronne sans toutefois récupérer Charles le Simple. Pour contrer Raoul assis sur son promontoire de Laon, Herbert imagine de couper les arrières de son nouveau rival pas seulement en annexant Reims. Comme cette ville approvisionnait depuis l'antiquité le trésor impérial, Herbert intriguera avec des espèces, des chevaux, des terres et de nombreux cadeaux pour faire nommer son fils évêque de Reims. Tenant l'argent et la ville lige de l'empereur, Herbert pense que le fruit va lui tomber dans la main. Il ne pense pas à l'Empire mais seulement à la ville de Laon qu'il veut pour siège.

Herbert manquera, là, d'envergure car il aurait pu construire l'Europe qui n'attendait qu'un volontaire et s'aliènera : les Capétiens, c'est à dire la France pour de longs siècles, les Anglais, parents de Louis d'Outremer et l'Allemagne , laquelle trouvera dans l'évocation de l'Empire carolingien  son unique ferment d'unité nationale.

Herbert a fait plus qu' incarner le Vermandois. Ses velléités laisseront des empreintes durables sur le pays et ses habitants. Contrairement à François Mitterand, il n'osera pas le coup d'Etat permanent et contrairement à Charles de Gaulle, il n'aura pas d'ambition pour la France et l'Europe.

Pourtant notre prince fut vraisemblablement aimé et soutenu par son peuple.

Ainsi, après la révolte des prélats contre la nomination abusive d'Hugues, le fils d'Herbert nommé archevêque de Reims à cinq ans, les seigneurs d'alentour entamèrent des représailles en accaparant divers fiefs ( dont Péronne et Saint- Quentin), les habitants ne tardèrent pas à se soulever et à réclamer le retour de leur compatriote.

Mais Raoul  et  Hugues le Robertien sont encore les plus forts et Herbert perd l'espoir de prendre le funiculaire qui monte à la vieille cité laonnoise.

Il reprend Charles le Simple sous le bras et le conduit chez Guillaume Longue Epée, le Normand. Celui ci sait que c'est Charles qui a signé le traité de Saint Clair sur Epte et a donc permis l'installation des Vikings. Guillaume se jette aux pieds de Charles et lui rend hommage. Herbert calcule que Raoul et Hugues le Grand vont suivre et tous unanimes reconnaître son droit sur la capitale, Laon.

Raoul et Herbert se réconcilient donc pour la façade mais Raoul ne cède rien sur Laon. Herbert n' a que la parade de remettre Charles le simple en résidence surveillée. Raoul,  pour équilibrer les pouvoirs, enlève Albert, le propre fils d'Herbert.

La situation arrivait à une impasse que la providence compliqua encore. Raoul vint à décéder. Hugues le Capétien se retrouvait aux avant-postes alors qu'il se voulait " en réserve de la République", voilà pourquoi il rappela Louis d'Outremer, seul carolingien de sang plus pur qu'Herbert.

Ce Louis venu d'ailleurs récupère vite l'allégeance des Normands, sans hésitation, sans p't êt ben qu' oui ou pt'êt ben qu'non. Puis , le pape Etienne se range sous sa bannière, le clergé anglais et une bonne part du clergé allemand le soutient. Le sire de Coucy et l'évêque de Reims firent une fois de plus la différence et Louis vint s'installer ouvertement à Laon en 937.

Déception cruelle pour Herbert mais désappointement également pour Hugues qui recule d'une case. D'autant que Louis d'Outremer devenu Louis IV  a appelé au secours la marine anglaise qui désole les côtes.

Se profile alors sur l'avant-scène, le vernissage de la première guerre mondiale.

Hugues le Parisien se rabiboche avec le Vermandois, les Normands se joignent à lui, Arnould de Flandre aussi, surtout il épouse une fille d'Othon 1er dit " le grand" fils d'Henri l'Oiseleur et tous font allégeance au Germanique.

En face, Louis IV reçoit l'appui des ducs de Lorraine, Comte de Cambrai, Comte de Verdun et de Hollande et tient superbement Laon. Qui osera donc débloquer cet imbroglio qu'Herbert n'avait pas imaginé et sans doute pas souhaité ?

D'autant que les alliances n'évitent pas certains couacs. Guillaume Longue- Epée ( objet sans doute volé chez nous lors d'un raid) est amené à en découdre avec Arnould de Flandre sur les rives de la Somme par simple saute d'humeur puisque l'un et l'autre étaient là pour signer un traité de paix.

Autre couac, Louis IV meurt lors d'une chasse au loup dans le massif du Chemin des Dames à 33 ans. Nous sommes en 942 et Hugues, comte de Paris, laisse son fils Lothaire accéder à la fonction d'empereur avec pour seule terre de fisc , le plateau inculte de Laon.

Puis Herbert du Vermandois meurt en 943. Il a placé ses enfants en flancs gardes ; Robert est comte de Troyes, Eudes, comte d'Amiens, Herbert, comte de Meaux, sa fille a épousé Thibault qui verrouille la route de Reims à Laon au niveau de Montaigu. Hugues, certes n'est plus archevêque de Reims. Pour lui succéder : Albert 1er, l'otage de Hugues de Paris.

La mort de Hugues se devait d'être exploitée par l'un ou l'autre camp et donna deux versions.

Flodoard relata qu'Herbert décéda paisiblement à Saint-Quentin, entouré de ses enfants et enterré à Notre Dame de Labon .

Selon une autre version, il fut pendu sur ordre de Louis IV au mont Fendu, toujours nommé mont Herbert.

Louis IV était mort depuis un an, rendant cette relation un peu suspecte. Ce que la légende rajouta fut imaginé pour discréditer la mémoire du comte.

Le roi aurait, selon cette historiette, tenu conseil à Laon, en présence du comte.

- "Quelle peine doit-on infliger au sujet qui, traître à son souverain, a fini par lui ôter la vie ?

Herbert, de bon conseil, prôna la potence.

-" C'est ton arrêt de mort !" dit alors le roi à Herbert qui le fit attacher aux fourches patibulaires !

Aux minutes de son agonie, Herbert aurait dit:

- "Nous étions douze qui trahîmes le roi Charles !"

L'anecdote de l'arroseur arrosé fut reproduite, à maintes reprises, dans presque tous les récits féodaux. C' était une clef de voûte de la justice féodale et un récit obligé des classiques médiévaux. Sans trop polémiquer sur les circonstances réelles de la mort de Herbert, constatons la contribution intéressante de la région dans le fondement de la culture européenne.

A ce récit, il faut bien sûr rapprocher les décisions du synode de Charroux en 989, quarante six années après Herbert.

Il y fut institué : la Paix de Dieu , interdiction de combattre du mercredi soir au lundi matin, les quatre semaines de l'Avent, les quarante jours de carême, pendant toutes les grandes fêtes, interdiction de toucher aux biens de l'Eglise, aux clercs, aux pauvres, aux moines non armés, aux paysans, aux ustensiles de labour et aux récoltes.

Quelques jours avant ce sommet de notre civilisation, Albert  1er, fils de Herbert, mourut. Abbé laïc de Saint Quentin et tenant le premier rang des abbés de France, notre sire eût été fier des actes du synode. Sa vie entière traça la voie vers ces mesures de paix et d'humanité et lui valut le titre d'Albert le Pieux.

Deux années auparavant, Hugues Capet, fils de Hugues le Grand et cousin par alliance de Albert avait obtenu l'onction royale entre Soissons et Noyon avec l'allégeance du comte du Vermandois.

Herbert avait été un fomenteur de troubles en une époque troublée. Albert construira la paix d'une période heureuse. Il ne peut pas être dit que l'histoire se soit  faite sans les hommes et que le monde ait vécu à l'écart de notre propre destinée.

Le Vermandois était au cœur du monde, comme depuis toujours, pour le meilleur à venir et le pire sans cesse réalisé.

 Albert avait été longtemps l'otage de Hugues le Grand et avait rencontré, en maintes occasions Raoul que son père jalousait. Quand Raoul mourut, l'opinion accusa Herbert de sa mort. La médecine scientifique était encore dans les limbes et rien n'était aussi impensable  qu'une  mort naturelle.

Le Vermandois paya, à nouveau, des droits de succession. Avant Albert et justifiant son retour; Raoul de Gouy, fils de Raoul pénétra jusqu'à Homblières et à Saint-Quentin qu'il pilla et désola. Albert Ier, parce que c'était l'esprit de Quierzy, récupérait l'héritage mais sans possibilité de bénéfice d'inventaire. La renommée du pays comme sa richesse était fortement entamée, l'honneur ne laissait pas le choix, il fallait toujours tenir.

Après deux seigneurs turbulents plutôt que méchants et inconscients, Albert sera le Pieux. Il rendit au chapitre de Saint-Quentin ses droits et revenus, installa les reliques de saint Prix, évêque de Clermont, en son château, puis fonda une abbaye dite de Saint-Prix à Rocourt. Il garda le titre d'Abbé-Comte et le statut laïc mais plutôt que de suivre les seigneurs germaniques qui chercheront à capter les biens du clergé, il patronnera l' élection, par ses pairs clercs, d'un doyen, responsable de l' Ordre avec la magnitude de sens que ce mot prendra dans les ordres religieux.

En 948, il restaurera l'abbaye d'Homblières en la confiant aux bénédictins qui vinrent remplacer les religieuses établies là depuis 3 siècles.

Vers 960, Albert fut un innovateur, il mérite toute notre affection à ce titre, en accordant une Charte aux habitants de Saint Quentin, qui  sera presque sans précédent dans l'histoire.

Cette charte traversera l'histoire comme la lignée des doyens de Saint- Quentin.

Les modernistes et même beaucoup de chrétiens progressistes rangent ces objets à l'étagère des reliques. Ce faisant, ils se déconsidèrent d'entrée en manquant de respect :

 - Un doyen qui occupe cette fonction depuis mille ans a nécessairement plus

    d'expérience qu'une vedette du Top cinquante,

 - Un écrit qui stipulait, il y a plus de mille ans, que les habitants de la commune ont la

    liberté de leurs personnes et de leurs biens, porte témoignage que nos lointains

    ancêtres connaissaient déjà le sens de ces mots et en avaient une perception plus

    opérationnelle et concrète que nous -mêmes.

Albert le Pieux mourut en 987. Nulle statue ne l'honore et aucun instituteur n'évoquerait son nom auprès des enfants  de la contrée qui recherchent désespérément comme tous les jeunes en formation des modèles à suivre et des exemples à imiter.

De son ménage avec Gerberde, fille de Louis d'Outremer, il eut quatre enfants:

Herbert III qui lui succéda, Othon mort sans postérité, Lindulphe, évêque de Noyon et Gui, nommé plus tard trésorier de cette riche église.

Hugues Capet, Aldabéron, Gerbert.

En cette année 986, Louis le Fainéant portait le flambeau des Carolingiens. Ce n'était qu'un frêle filet de lumière qu'un courant d'air léger pouvait étouffer face à celui du flambeau qu'arborait Othon le Grand.  Les querelles de familles autour du Vermandois avaient laissé les terres reconnues par les traités de Verdun et de Strasbourg sous une domination germanique.

L'Allemagne, christianisée par Boniface et pacifiée par les seigneurs francs, développera bien à l'abri des incursions arabes et nordiques, une économie prospère et un clergé opulent.

Othon n'avait pas l'impedimenta des textes et des coutumes de Neustrie. Les synodes germaniques n'avaient pas établi de règles précises, le traité de Quierzy n'était pas opposable aux chevaliers. Surtout l'onction royale n'existait pas hors de la fonction impériale.

Il fallait, dès lors, restaurer le Saint Empire germanique. Othon le grand, fort de son pouvoir temporel sur l'Italie récupérera le titre. Tout ceci était événementiel, car l' empire faisait figure de pays sous développé à côté du nôtre. La manière d'organiser la cité, pourtant, va assez vite faire diverger les routes des deux pays jusqu'à briser en deux un peuple qui avant l'an mil constituait une nation. Othon I, dit le Grand, né en 912 et mort en 973  était fils de Henri l'Oiseleur, roi Saxon élu empereur non consacré  à la suite des tribulations de Charles le Simple sur nos terres du Vermandois. Comme tous ceux de sa race, Othon était hanté par le souvenir de Charlemagne, qui n'était qu'un lointain parent,  et par l'onction impériale. Cette formalité apparaît aujourd'hui, où les sondages font et défont les élus du peuple,  bien mystérieuse. Ce sera pourtant " l'affaire européenne " pendant plusieurs siècles et la division interne de l' Occident, qui conduira aux guerres mondiales, ne se comprend guère sans le rappel de ce sacrement. De surcroît, là comme ailleurs, le Vermandois joua un rôle.

Alors qu' Hincmar, l'évêque de Reims, en 866 avait  réaffirmé les droits des églises locales contre l'autorité papale, puis sponsorisé la publication du martyrologe d' Usuard qui fondait le culte de nos saints français, l'église d'Allemagne était encore sous les feux d'une évangélisation récente et ne présentait pas de structure suffisante pour contrer et infléchir le pouvoir. Othon  Ier, qui surveillait de près toutes les gesticulations qui troublaient Laon, avait compris que Lothaire, petit fils de Charles le Simple et de Louis d'Outremer ne serait jamais rien . Lui-même pouvait se prévaloir d'avoir évangélisé par l'épée des peuples entiers de l'Europe centrale et il était de plus le souverain terrestre craint des Pays Bas jusqu'en Italie, en passant pas la Lorraine comme dit la chanson et par la Bavière comme dit l'échanson.

Sacré empereur en 962, Othon va se servir du principe que "l'autorité impériale dérive directement de Dieu". Lorsque le petit roi de France viendra plus tard dire qu'il est empereur dans son pays, il ne voudra dire que cela.

Par ce sacre, Othon se faisait reconnaître le pouvoir total sur l'église d'Allemagne, lequel n'existe que par les hommes: ce sera la querelle des investitures.

Othon nomma donc les évêques et les abbés et, plus encore, fut reconnu comme le contrôleur permanent de la régularité de l'élection du pape. La France demeurait la fille aînée de l'Eglise mais, dans le cortège des accrédités au Saint Siège, l'Empire passait devant.

Lorsque l'archevêché de Reims se trouvera vacant, Othon trouvera chez son obligé, très cher, l'évêque de Metz, un petit neveu intelligent et pieux. C'est ainsi qu' Adalbéron accéda à cette fonction en 969.

Comme Saint Rémi, ce sera un faiseur de roi mais son prédécesseur ayant  fait publier le martyrologe des saints français, le rôle sera clos et Adalbéron oublié. Pourtant tel Albert Ier du Vermandois, c'est un des personnages principaux de son temps. Ecrivain, érudit et pédagogue, il écrira plusieurs des épîtres connues comme étant celles du pape Saint Sylvestre.

Il fit, lui aussi, une analyse fine de la société où il distingua les obligations des " Orationes, Bellatores, Laboratores ". La société dite de l'ancien régime est portée par cette formulation  sur les fonts baptismaux : les clercs  parlent et écrivent dans la seule langue écrite du temps;  les chevaliers se battent ; les paysans et les artisans" labeurent" et chacun trouve ainsi son salut et la chrétienté son équilibre.

Equilibre et non cloisonnement car le changement de statut est rendu possible par différentes passerelles, solidarité et non concurrence car les moyens des uns ne peuvent être utilisées au détriment des autres.

Dans ses réflexions, certainement influencées par le seigneur du Vermandois qui créa la fonction de Doyen, Adalbéron prend ses distances avec le pouvoir d'Othon et sa main mise sur les Oratores... et leurs finances. Il essaiera à diverses occasions de favoriser une alliance entre les Carolingiens régnant à Laon : Lothaire puis Louis V le fainéant et Othon et ses successeurs. Il sera aidé dans sa démarche par Albert Ier du Vermandois, oncle par alliance de Lothaire. Mais les Carolingiens croient trouver leur revanche contre l'empereur saxon lorsque Othon II meurt. Son fils est encore jeune et Lothaire pénètre en Alsace et en Lorraine avec brutalité. Adalbéron en a écho de ses parents lorrains et se fâche avec Lothaire. Le roi le fait traduire devant une grande assemblée réunie à Compiègne. Adalbéron n'aura même pas le temps de se justifier, car Hugues Capet à la tête d'une petite armée dispersera la Cour et mettra fin au procès. La mort précipitée de Lothaire, outre qu'elle laisse une jeune veuve qui épousera Othon d'Allemagne, permet à Aldabéron de retourner en grâce auprès de Louis V le Fainéant. Celui-ci, fort de son appui auprès de ceux qui sont devenus ses beaux-frères, veut éliminer ce prélat indécis et théoricien de l'autonomie du clergé. Il assiège Reims et l'accuse à nouveau de trahison. L'histoire bégaye et Adalbéron est à nouveau cité à Compiègne mais Louis V meurt le 22 mai 987 à 20 ans. Sans héritier, c'est son oncle, Charles de Lorraine qui deviendrait Roi mais c'est un vassal de l'empereur et un de ses plus proches . Tous les grands étant présents à Compiègne pour son procès, Adalbéron fait écarter l' élection de Charles de Lorraine et soutient celle d'Hugues Capet.

Le seul véritable prétendant eût été Albert Ier du Vermandois, mais la providence et Aldabéron en avait disposé autrement. En effet, Albert décède en cette année charnière de notre histoire. Pour sacrer Hugues Capet, deux  cérémonies électives eurent lieu, une à Senlis et l'autre à Noyon. La dernière était la plus probante. En effet,  Aldabéron rassemblait là les pairs clercs du royaume : les évêques de Laon, Langre, Beauvais, Châlons et Noyon . Lindulphe, fils d'Albert Ier participa au vote et confirma l'élection . Il restait à procéder au sacre à Reims qu'Adalbéron effectua le 3 Juillet 987. Pour mettre un dernier noeud au paquet bien ficelé, Hugues déclara renoncer à la Lorraine, apposa son sceau au bas d'un parchemin ( le papyrus n'arrivait plus) et signe une paix définitive. Derrière ce traité destiné évidemment à éviter la grande guerre, se profilaient deux personnages qui méritaient aussi des récompenses : Herbert III, le fils d'Albert, mort récemment, qui recut d'Aldabéron les terres de Sinceny et de Chauny vraiment en cadeau, puisqu'il ne fut astreint qu'à brûler des cierges sur le tombeau de l'apôtre du Vermandois, et Gerbert, un moine venu d'Aurillac, proche conseiller de l'archevêque qui négociera avec Othon, d'une part son accord, et avec Hugues de l'autre pour que son fils Robert soit associé à son règne avec pour maître à penser Gerbert, lui-même.     

Gerbert réalisait là un tour de magie. Lorsque 'Adalbéron décédera, ce diable d'homme prendra sa place et sera même Chancelier de France avant que la fonction ne revienne à Raoul, un fils naturel de Lothaire. Mais déjà Gerbert vise plus haut, humilié pas ce camouflet, il se retournera vers Othon qui le nommera Archevêque de Ravenne.

C'était la voie royale pour la mitre  papale qu'il obtiendra en 999 et gardera jusqu'en 1003. Gerbert qui prit le nom papal de Sylvestre II fut donc l'éducateur de Robert II le Pieux et  l'un des maîtres fondateurs de l'école épiscopale de Reims et de l'Université de Laon. Outre qu'il fut le pape de l'an Mil, il présente surtout l'originalité d'être le pape de la Renaissance. Il connaissait les mathématiques, la médecine, la chimie et toutes les sciences d'alors. Comme Albert Ier du Vermandois et tous les paysans de chez nous qui savaient maintenant que la vérité n'était plus la parole du seul chef et que chacun avait une place dans l'ordre de la cité, il inaugurait une ère nouvelle.

  

Le début de cette ère nous est particulièrement proche car la quasi totalité des villages de notre région sont mentionnés pour la première fois dans ces années qui vont de 930 à 1030.

Les premiers seigneurs se forgeront des armoiries, les clercs noteront scrupuleusement la vie des chrétiens, les communes et les professions se feront connaître par des chartes. Il était temps de bâtir en dur.

  

Gerbert apportait à Rome, qui était encore trente années auparavant la pétaudière où les fils de prêtre, les papesses et les corrompus disaient des messes, un air de révolution. Il fut accusé de sorcellerie et de magie. Des détracteurs avancèrent même que sa science lui venait d'années d'études faites à l'université judéo-arabe de Cordou, l'homme n'était peut-être pas pourri, mais sa science venait de Lucifer , il n'en fallait pas plus pour discréditer en ces temps.

Malgré l'ignorance et les craintes, un esprit nouveau venait de souffler sur le monde.