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DANTZIG, MUNICH


On ne peut vivre longtemps dans l'abattement et le découragement.
Le printemps, chaque année, repeint complètement le paysage et la nature, en imposant sa loi, redonne vigueur et courage pour les moissons et la dure récolte des betteraves. Ainsi les bourgs, alentour, échappèrent au sort des villes fantômes de l'ouest américain, où les sols sont ingrats et l'humus, fruit du travail des hommes, chiche voire absent. Ce n'était plus un un comté-pair de France, ni même un baillage, ni un lieu de rendez-vous de roi, néanmoins les villages à dominante agricole perduraient. La population, lointaine descendante de forgerons et de tisserands, gardait, toutefois, un fond de mentalité artisanale et ouvrière. Comme les grands axes routiers, fluviaux et le chemin de fer passaient par ici, la région retrouva des activités de service, souvent difficiles. Celles ci firent grossir le parti des mécontents qui, à chaque déplacement, constataient l'injustice et l'affront commis envers les habitants de chaque village. Doumer assassiné, les espoirs mis dans les promesses de réparations, s'évanouirent à jamais. Avec le traité de Lausanne en 1932, sous la pression des Américains, le trait fut tiré. Depuis 29, l'inconduite de la France avait provoqué la perception par les seuls Américains de la dette interalliée. Dès que ceux-ci comprirent que l'issue de cette opération était compromise, ils l'arrêtèrent tout en continuant de réclamer directement le paiement de leur créance. La France, elle, parlait de paix universelle, de désarmement, de foi dans l'homme et d'une Société des Nations sans but lucratif et à objet culturel exclusivement.
Elle pensait trop pour compter.
De plus, le monde avait été redécoupé, à la perfection, lors du traité de Versailles. Un couloir avait été disposé entre l'Allemagne et la Ville de Dantzig pour donner aux petits pays du centre de l'Europe un accès à la mer du Nord. L'Empire austro- hongrois, qui avait assuré pendant des siècles la paix entre les tribus des Balkans, était démantelé et chaque tribu reçut le droit de fonder une armée. Le contour de la Tchéchoslovaquie semblait dessiné par un artiste. La Russie avait perdu son petit paradis de Finlande mais c'était sans importance puisqu'un pouvoir rouge s'était installé dans les steppes. La Russie des Soviets sous la houlette ( outil de berger qui fait office de faucille et de marteau ) de Lénine et de Staline donnait des inquiétudes à ses voisins. L'Allemagne le fut par l'écho de l'aristocratie pourchassée et massacrée et des pogroms. La cible était clairement désignée. Les grands propriétaires terriens affichaient leur parenté même éloignée avec ceux d'Allemagne comme un gage de culture européenne. Les juifs étaient là comme ailleurs des victimes expiatoires du malaise généralisé. L'envoûtement de la Révolution d'Octobre sur les extrêmistes de la troisième République, lui, commençait à s'estomper du fait de l'attitude de plus en plus proclamée de ne pas rembourser les emprunts russes même souscrits en or.C'était préoccupant pour des politiciens qui prônaient l'or comme valeur suprême et n'avaient plus de crédit en Occident.Lénine déclarait à chaque visite de ministres plénipotentiaires que la Russie des Soviets était la fille de la Révolution française et une véritable République laïque et démocratique. Cela suffisait pour renvoyer au placard l'épais dossier des emprunts russes. Quant aux rumeurs de guerre civile et d'exterminations, elles étaient exagérées par les agents de l'étranger !
Un univers de mensonges prenait place sur le continent derrière des frontières hypocrites.Les cartes du moyen âge et des époques récentes présentaient des dentelures et des confetti plus nombreux que celle sortie du traité de Versailles et offraient paradoxalement un cadre de vie plus humain et plus sûr. Les Etats n'étaient pas encore devenus ces monstres froids et tâtillons. L'individu n'avait pas de nationalité et voyageait en parfait caméléon. Il avait fait allégeance à son seigneur et reconnaissait pleinement le droit de juridiction au seigneur du canton qu'il traversait. Il était sujet, mais il pouvait voyager sans crainte excessive au travers d'une grande Europe, qui confiait son âme à Dieu seul.
Il n'en serait plus jamais ainsi ! Certains citoyens avaient droit à la protection de la canonnière, d'autres risquaient surtout de ne pouvoir revenir chez eux s'ils partaient. La nationalité était devenue le point crucial de l'existence humaine. C'était une folie de plus, inventée par les promoteurs des écoles nationales d'administration qui formaient l'élite des nations. L'homme sans papier n'égalait même pas le chien tatoué ; malheur aux déportés et aux exilés !
Partout, après les grands mouvements de population dus aux dépeuplements, le moyen rapide d'obtenir une existence légale se résuma dans la participation au service national . C'était le triomphe de Machiavel qui comptait la puissance des Etats en hommes en armes.
A ce jeu, l'URSS et l'Allemagne figuraient dans la première division. La France était sur ce terrain de sport, comme d'habitude, peu motivée par une volonté de vaincre. Cet état d'esprit était arrivé à un tel paroxysme que Staline, qui a eu sa plaque longtemps dans plusieurs de nos villages, demanda avec mépris, un jour, à une personne qui l'informait de la parution d'une encyclique, en mars 1937, contre le communisme " Divini Redemptoris " , " Le Vatican, combien de divisions ? " .
Hitler, lui fut le fils légitimé de Hindenburg et Ludendorff, avec l'athéisme et le totalitarisme en plus. Toutes les valeurs de la stupidité humaine étaient liées en gerbe : la vanité de la couleur de la peau, la soumission totale au chef, l'oubli de Dieu et de la faute, le mensonge autorisé pour les membres du parti dirigeant au nom de la raison d'Etat. Le fascisme s'appelait, ici, National-Socialisme. Il débuta, comme une horde de brigands teutoniques, sans foi ni loi et avança par coups de poing, coups de force et coups d'Etat. A chaque fois, les nations voisines et même la papauté fermèrent les yeux. Dans la relation de la guerre civile espagnole, les communiqués de presse soulignèrent les actions de l' Internationale ouvrière et les assauts des républicains contre les conservateurs-monarchistes mais ne prêtèrent pas d'attention à la légion germanique qui vint là s'exercer. Ce qui aurait dû être traité à chaud, ne provoquera aucune réaction de la part du Front Populaire français qui était au gouvernement.
Hitler se déclarait socialiste, c'était beau comme le Credo. Aucune entrave à son ascension ne fut faite de 36 à 38. Pour l'invasion des Sudètes, l'Angleterre et la France donnèrent leur accord à Hitler. La Chambre française ratifiera même cette ignominie par 535 voix contre 75 ; ( 73 communistes courageux et 2 courageux non communistes :M Boubey et M de Kérilis ).
Des renoncements suivants et de la débâcle de l'armée française, rien n'était à attendre d'autre ! Une assemblée qui ratifie l'invasion d'un pays ami par les armes avec une si forte majorité ouvre la porte à sa propre invasion. Ce fut le Blitzkrieg, la guerre éclair. Une promenade pour les soldats allemands dans un pays démoralisé, amorphe, complètement létal.
La suite fut l'affaire d'une poignée d'hommes qui forma l'armée de l'ombre ou quitta volontairement le sol national. Outre le capitaine de Gaulle qui, à la tête de ses blindés, à Montcornet aurait pu inverser le cours de la bataille si le commandement avait cru dans son offensive, le plus vaillant français de cette époque fut le capitaine Leclerc de Hautecloque.Il descendait d'une vieille famille picarde et avait passé son enfance sur les rives de la Somme. Fait prisonnier par l'ennemi, du côté de Bellicourt, qui, doté d'engins motorisés, encercla rapidement son régiment qui, selon les ordres, repliait, il s'évada début juin 40, marcha plusieurs nuits, habillé en marinier, et traversa, dans l'obscurité et la crainte, notre plateau central, puis le canal Croizat et les marais de la Somme. La première maison, au delà de la ligne militaire, où il put s'arrêter, se restaurer, dormir vraiment puis immédiatement repartir, est un toit de Flavy-le-Martel.
La guerre ne diffère du parcours du combattant que par le changement de l'état de paix en l'état de conflit armé. Parce que c'est chez nous qu'il commença son épopée, Leclerc souhaita la stèle qui marque son passage. A l'échelle du monde, c'est bien le premier jalon d'une croisade prodigieuse qui fait du nom du général Leclerc et de celui de la deuxième Division Blindée un point de repère stimulant pour ceux qui pérégrinent à Douala, au Tchad, en Centrafrique, en Lybie, en Italie, puis en France jusqu'à la cathédrale de Strasbourg et même au delà dans la verdoyante Bavière.
Leclerc a, certes,traversé notre région en fuyard, de nuit et bien avant d'être connu. Pourtant, ce n'est pas faire appel à un grand effort que d'imaginer ce que le nom du Vermandois pouvait rappeler chaque jour à ce grand soldat ; il y avait connu la faim, la crainte et la première nuit de sommeil et de paix. Tout ceci valait tous les combats et justifiait la poursuite du combat jusqu'à la victoire !
Dans l'armée des ombres, beaucoup y restèrent. Les archives militaires étant indisponibles pendant cinquante ans, les combats véritables ne seront valablement connus qu'à partir de maintenant . Comme pour la première guerre, les découvertes seront, en toute vraisemblance, maigres .
Pourtant les moindres faits devront être, avec opiniâtreté, recherchés, car, si les ignominies furent nombreuses, les actes de bravoure les plus humbles doivent ressusciter, ne serait-ce que pour remplacer quelques plaques de rue !
Dans cette drôle de guerre, le Vermandois tint une place honorable, bien qu'il ne puisse lui être reprochée de ne pas avoir égalé d'autres maquis célèbres ; son piteux état humain ne permettait que des actes de bravoure très limités.L'armée allemande gardait le souvenir ému de son long séjour de quatre années et plaça sans attendre notre région dans un périmètre dit de " Zone Interdite ". La large frange située le long de la frontière nord, comprenant la Flandre, les Ardennes, l'Argonne, fut considérée comme promise à une annexion au Reich. Le Santerre, l'Artois, le Vermandois, le Laonnois n'étaient pas encore aptes à l'Anschluss mais méritaient mieux que de rester sous l'autorité d'un gouvernement français, même de pacotille. L'administration fut entièrement sous la coupe de l'armée allemande.
Nos concitoyens, dans ce camp de barbelés, rentrèrent la tête dans les épaules et retrouvèrent les atouts du patois et du langage codé. La résistance était dans les coeurs mais manquait de relais. Par les premières déportations, l'indignation secrète trouvera des échos dans le plus banal mot échangé. Les communistes avaient été instruits par la guerre civile espagnole et furent, dès le départ, des opposants déclarés. Ils furent souvent les premières victimes avec les officiers obstinés. Tous les déportés ne sont pas morts dans les camps d'extermination mais leurs départs corroborèrent l'inhumanité d'une armée d'occupation qui mentait, cachait et ne croyait que dans la force de la violence. Après le départ des premiers déportés, tout le monde savait !
Peu d'actes insensés furent commis, avant que radio Londres ne diffuse des messages sybillins.Pourtant, sous le couvert de la forêt, sous les manteaux, à la vue de personne mais au su de tous ceux qui vivaient dans la communauté, la libération se préparait !
Le secteur fut couvert par plusieurs compagnies des Forces Françaises de l'Intérieur (FFI). Les messages de Londres ;" Je pense à vous,
que la vie est dure,
nous aurons trois enfants,
"annoncèrent un largage d'armes sur la côte 71 à Cugny. (Le balisage fut mal fait, pas de largage ! ).
Pour une opération de même type vers Villequier Aumont, Londres avertit " la chambre de la mitrailleuse est trouée "
Quelque part, une bicyclette se mit en route après ce message : " à la fin de l' année, je touche ."
Peu avant le débarquement de Normandie, le 31/5/44, " la sirène a les cheveux décolorés " annonçait certainement quelque chose de précis, que nous connaîtrons bientôt puisque les sens de ces messages ne seront bientôt plus couverts par le secret militaire .
L'information n'existait plus, l'ordre avait perdu son ton braillard et menaçant, ce qui comptait, c'était simplement le message, quelques mots jetés sur les ondes, sans queue ni tête.
Le 23/6/44 , ces messages anodins firent la première victime : un jeune agent de liaison, Maurice Moreau, âgé de 20 ans, fut tué par la soldatesque allemande. Le débarquement allié réalisé, les FFI se trouveront en position opérationnelle et les actes de courage vont, de ce fait, se multiplier. Le 9/6/44, déjà, les maquisards attaquent à Beaumont en Beine. La zone est, en effet, propice. Un débarquement aérien anglais se passe mal le 9/8/44 dans la zone et l'avion Halifax s'écrase.
Sept officiers anglais mourront brûlés dans l'accident et une stèle commémorative célèbre leur courage le long de la route de Cugny à Beaumont.
Le 20/ 7/44, le pont de Jussy saute. Le maquis ne visait pas le pont routier mais la voie ferrée qui conduit directement vers Cologne et la Ruhr . Par cet acte obscur, Paris était sauvé. Le sabotage des voies avait montré sa terrible efficacité lors du rappel de la division Waffen SS qui stationnait près de Montauban lors du débarquement de Normandie. Au lieu de deux jours, la division mit trois semaines. Hitler eut beau donner l'ordre de faire sauter Paris. L'effondrement du pont de Jussy rendait le retour problématique, l'opération fut considérée trop risquée. La poudre manquait, les hommes aussi et le repli était déjà impossible. Le général allemand n'eut pas le courage de Moltke en invoquant l'impossibilité matérielle, il mentit à son Führer mais sauva la ville-lumière.
Le sud fut libéré par les FFI avant l'arrivée triomphale des troupes régulières. C'était un soulagement bien que le conflit eût été un lit de roses à côté du premier.
La visite des Allemands laissait, chez nous, peu de traces. Les voies de chemin de fer avaient été sabotées et aussitôt réparées. Des avions s'étaient écrasés sur la plaine, autant d'alliés que d'engins frappés de la croix de fer.
Notre secteur fut, en effet, confirmé dans sa vocation aérienne. Une superbe piste bétonnée fut coulée en son coeur.
L'administration stupide l'a classée en zone militaire, ce qui la rend peu visitable. Elle constitue, pourtant, un ouvrage intéressant comme l'est le camp de Margival, à côté de Soissons où Hitler séjourna. En organisant, tant soit peu, la visite de ces monuments, l'administation créerait des recettes dont l'affectation légitime serait la reconstruction de nos monuments militaires.Le béton des casemates financerait la reconstruction des moellons des donjons !



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