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La fin d'un monde

L'Anschluss

La bataille de la Somme

Le Glacis

Le printemps 18.

 

                                       La décennie, qui pose le premier jalon du vingtième siècle, assista au spectacle d'un microcosme vivant les béatitudes au quotidien. Quelques esprits curieux, pourtant, se sentirent poussés par une sourde inquiétude quant à  l'avenir et par une  obligation morale ; ils se pencheront admiratifs sur  l'histoire de notre pays. Moins visionnaires que Henri Martin et Ernest Lavisse, plusieurs écrivains écriront le passé  des villages vu des années 1905 à 1910 et se focaliseront sur l'Antiquité et l'Ancien Régime jusqu'à la Révolution, partant du postulat que la destinée du pays n'évoluerait pas plus dans le futur que depuis le début du 19ème siècle. Non seulement le siècle passé sera escamoté, mais encore, rien des évolutions du temps ne sera véritablement analysé. Cette autocensure trahit dans beaucoup d'oeuvres un malaise presque imperceptible mais réel.

Il y avait, il est vrai, dans l'air un esprit "va-t'-en guerre" que tout l'appareil d'Etat belliciste soignait avec application. L'espionite sans preuve était érigée au rang de crime et le gouvernement faisait grand tapage de ses alliances et de ses traités.

 

Que l'Allemagne ait autorisé l'Autriche-Hongrie à pénétrer en Bosnie-Herzégovine ne devait provoquer, il est vrai, qu' un intérêt limité au café du commerce ! L'affaire d'Agadir, elle,  froissa beaucoup plus les sourcils broussailleux de nos grands-pères.    

 

Des choses inquiétantes se profilaient au loin .....

Au delà de la Belgique, vieille terre française, mise sous protectorat tacite de l'Angleterre, s'étendait le Reich immense. L'hégémonie prussienne avait  inféodé les grands propriétaires terriens et  soumis les villes, l'industrie et la  banque, si bien qu'une armée forte s'implanta sur tout le territoire, tout en laissant les troupes dans un environnement familier, sous un carcan de règles parfaitement uniformes  et que les entreprises  industrielles prirent soin de nommer plusieurs Junkers dans leurs conseils d'administration.

 

Au delà de ce bouillonnant pays, un empire encore plus grand, bouillonnait plus encore. Un  " Starets " ( saint) était le maître à penser de la famille du Tsar Nicolas II. Il soutenait, en orthodoxe convaincu, la Serbie contre l' Empire d'Autriche et n'avait aucune sympathie pour les Chinois et les Japonais. Dépravé et ivrogne, il craignait la guerre contre l'Allemagne. Ses nombreux détracteurs amplifièrent les propos critiques sur ses écarts de conduite et s'arrangèrent pour le liquider. Raspoutine mort, le parti belliciste put alors avancer les pions de la guerre.

 

La rivalité entre l'Empire austro-hongrois et le Reich devait, pour les diplomates anglais, deus ex machina , depuis le traité de Vienne , neutraliser les deux puissances du centre de l'Europe. Le calcul, malheureusement, avait été fait un siècle auparavant et, en une époque, où un mouvement international non gouvernemental était inconcevable.

 

Les diplomates trouvaient équilibré, ce partage du monde en deux camps.

                      Russie, France, Italie, Roumanie, Serbie, Grèce

avec en face

                      Allemagne, Autriche-Hongrie, Turquie, Bulgarie.

L'Angleterre, le Japon, les Etats-Unis, la Belgique attendaient de voir pour choisir et le Saint-Siège attendait le Saint-Esprit .

 

Pendant ce temps, un trublion faisait son lit dans ce monde trop simple, trop riche et trop confiant.

Il fomentait des attentats çà et là au nom de la liberté des peuples, incitait les travailleurs à la grève, embrigadait toute une jeunesse, hantée par un monde sans idéal, dans des partis révolutionnaires. Engels et Lénine dirigeaient l'Internationale ouvrière qui incarnait  la seule Europe sans frontière mais aussi sans Etat.

Dans ce contexte tendu, l'assassinat par un " anarchiste " de l' archiduc François--Ferdinand,  en juin 1914, à Sarajevo, aurait dû provoquer une réaction convergente des grandes puissances contre ce mouvement intrus. Le ver était dans la pomme et les armées trépignaient d'impatience. Peu d' analystes clairvoyants, à part le regretté Raspoutine, n'entrevirent l'issue apocalyptique de ce que les états majors avaient annoncé comme un " conflit bref à caractère limité ".

Habitant du Vermandois, et des régions limitrophes de l'Artois, n'aie jamais peur de dire ce que tu penses !  Jamais, tu ne pourras dire et faire de plus grosses bêtises que ce que tous les grands ont réussi alors.>

 

La guerre que nous ne pouvons relater dans le détail est simple à résumer :

 

                   Nombre de Soldats          67 438 810

 

                   Nombre de Morts              8 538 315 

 

                   Nombre de Blessés          21 219 452

 

                   Disparus et Prisonniers     7 750 452

 

Dans ces statistiques sinistres qui sont le seul résultat concret des guerres, notre région émargea comme elle le faisait depuis l'origine des temps . Le nombre des croix et des plaques sur les tombes des cimetières militaires place notre contrée au palmarès des champs d'honneur. L'oeil croit mesurer à la surface plantée l'ampleur des carnages et se trompe pourtant. A l'extrémité de chacune de ces pelouses mortuaires, un monument un peu plus volumineux et sombre sert de sépulture commune à autant de morts que ceux qui allongés manifestent leur présence. Ces lieux appartiennent au paysage maintenant mais peu au habitants d'aujourd'hui et peu à la mémoire collective.

 

S'il fallait se signer chaque fois, que nous passons à côté de ces lieux, comme l'imposait une superstition pas si ancienne,  la traversée du Vermandois serait un vrai chemin de croix. Non, nous longeons ces terres incultes avec guère plus d'attention que l'étonnement de constater que des étrangers pourvoient encore à des entretiens coûteux !

 

Et que nous importe qu'ils soient australiens, canadiens, sénégalais, sikhs, indochinois, que venaient-ils .........!

 

Tout commença, à l'époque des moissons de l'année 1914. L'Autriche et la Serbie étaient officiellement en guerre depuis le 28 Juillet et la mécanique du poker entraînait la Russie vers la mobilisation générale.

L'Allemagne se déclara en " Kriegsgefahrzustand" en état de danger de guerre et lança deux ultimatums :

     un à la Russie : d'arrêter la mobilisation sous 24 heures

     un à la France : de proclamer sa neutralité sous 36 heures en livrant Toul et

                               Verdun en gage pendant la crise.

C'en était trop .., le gouvernement fit placarder dès le 1er Août 1914 à 15h 55 l'ordre de mobilisation générale .

 

Après la mécanique des alliances, c'était celle des plans de campagnes militaires qui imposa sa loi.

Le Kaiser avait à craindre le plan Van Schlieffen qui nécessairement mécontenterait les cousins anglais et demanda que le gros des troupes soit dirigé vers la Russie. Le chef d'état-major Moltke avait lancé la mécanique que la science militaire estimait plus fiable que les lubies d'un monarque, même pas de droit divin. Il répondit avec respect qu'il  était dans l'impossibilité matérielle de déférer à un pareil ordre.  La tête ne commandait plus aux membres .

L'assommoir et le voyage au bout de la nuit remplaçaient la raison et la mesure.

L'armée du Tsar pénétra en Prusse orientale du 17 au 22 Août.

La 1ère Armée allemande sous le commandement de Von Kluck, la seconde commandée par Von Bülow  passèrent le 21 la frontière belge pour contourner la Meuse au nord, investir Charleroi et Mons et s'ouvrir les brèches entre Meuse et Escaut puis entre Oise et Somme qui permettaient de prendre Paris par l'ouest pratiquement à pied sec.

L'eau des rivières et des fleuves constituait encore le rempart le plus sérieux contre l'agression et les Français, après quelques tentatives de résistance au Cateau et à Guise, comprirent vite qu'il convenait de regrouper leurs forces derrière les rives protectrices d'un de nos fleuves. 

 

La sixième armée française du Général Maunoury se concentra du 26 au 29 Août dans la région d'Ailly-sur -Noye/ Rosières et soutint le choc ce dernier jour contre l'ennemi à Proyart. La première armée aborda Montdidier le 30 Août et ce fut le long de cette semaine que les premiers casques à pointe envahirent tout le Vermandois. Ce fut un passage de voleurs.

Tous les fourrages en grange furent enlevés pour nourrir les chevaux de trait et de combat presque aussi nombreux que les hommes. Deux journées après, l'Aisne fut dépassée. Sans marquer de pause, la marche se poursuivit et la Marne fut traversée le 5 septembre.

Parmi les sept corps d'armée qui composaient le front ouest, les cinq qui avaient chevauché à bride abattue à travers Belgique, Luxembourg et nos régions s'étonnaient d'une percée aussi rapide. Von Kluck,  qui, après avoir investi Montdidier, devait continuer vers l'ouest selon le plan Van Schlieffen , savait que le nord de Paris avait fait l'objet de soins tout particuliers  depuis 1870 et que l'ennemi l'attendait entre Creil et Senlis, sitôt ses troupes détachées  de la seconde armée par la vallée de l'Oise.

Le Kronprinz, qui commandait la cinquième armée, et les autres généraux s'avisèrent que l'objectif n'était plus tant d'encercler Paris que  de l'attaquer par l'est, tout en rendant visite au passage au quartier général de Joffre, implanté à Châtillon sur Seine. Mais, avant de repartir, une halte s'imposait,  pas tant à cause des hommes que de l'intendance.

A la même heure, un autre militaire réfléchissait sous un arbre, c'était Joffre assis dans la cour de l'école de Châtillon. Galliéni , qui avait été son supérieur, commandait la garnison de Paris. La 6ème armée du Général Maunoury se retrouvait du fait du changement de direction de Van Kluck sur le flanc de ce dernier.

Galliéni fit part de la situation avantageuse du nord-est de Paris face à une armée épuisée et présentant son flanc arrière-droit. Les cours d'école ne sont que rarement les pépinières du génie, pourtant Joffre l'eut ce jour-là. La contre  attaque fut ordonnée non pas seulement vers Paris mais sur tout le front de la Marne, soit 160 km de large. La réquisition des taxis de Paris  n'apporta pas grand chose aux capacités offensives mais énormément au moral de tous.

 

 Foch  commandait la 9ème armée qui tenait le front du côté de la Fère Champenoise,  hors de portée des courses de taxis, eut lui le génie du vieux chevalier :

" Mon  centre cède du terrain, ma droite se replie.

   Situation excellente, j'attaque ! " 

 

La retraite de nos armées n'avait pas été glorieuse mais le ressort ne s'était pas cassé.

Le Général de Gaulle commente ainsi la situation : " Etaient en ligne, le 8 septembre, 80 divisions françaises et anglaises, contre 81 mieux armées. Dans l'ordre matériel, rien ne commandait la retraite à l'ennemi.

Mais, il est surpris, c'est assez. Tandis que le Français, une fois payées ses négligences, se redresse à l'improviste, l'Allemand, incomparable dans l'effort préparé, perd ses moyens devant l'imprévu. "

 

Un grain de sable était venu gripper la belle machine. Dans le haut commandement, personne ne savait gérer tel cas de figure. Moltke, déjà en délicatesse avec son empereur à cause des Anglais,  craignait particulièrement que le corps expéditionnaire britannique  sous le commandement du Général French   ( l'entente cordiale était plus vraie que nature ) n'obtienne une victoire facile en s'infiltrant entre l'armée de Van Kluck et celle de Van Bülow  Aussi ordonna-t-il  le repli sur l'Aisne dès le 14 septembre .

Cette marche arrière s'avérait nécessaire car le sursaut national ne s'était pas que manifesté sur la Marne, Amiens avait été libérée le 12, trop tard pour empêcher la déportation de 1200 civils vers l'Allemagne et trois jours plus tard, Péronne le fut à son tour.

 

Un sanctuaire venait d'être touché. La réaction fut immédiate ; dès le 21, l'armée allemande reprendra la ville et posera l'ancre sur la Somme.

 

Entre temps,  la victoire du Tannenberg, où Hindenburg s'était illustré contre les Russes,  rendit possible le renfort par des troupes fraîches  du front ouest. Tous les jeunes étudiants vinrent donc passer la saison en France occupée. La ligne partait d'Armentières vers Arras, Roye, Blérancourt, le plateau de Soissons, Reims, les monts d'Argonne et la frontière de Lorraine .

A moins d'une journée de marche du front, protégée par ses fleuves, avec un canal permettant des transports directs depuis la Ruhr et une voie de chemin de fer directe vers Berlin, la région était un hâvre sûr. Il valait surtout pour, ce qu'il avait toujours été : un gros réservoir de produits alimentaires.

 

 

Sur un grand nombre de villages, les grains furent immédiatement réquisitionnés, les betteraves, pommes de terre etc... furent récoltées pour l'occupant qui distribua les semences pour la récolte de 1915.

La récolte 1914 fut estimée à 14 quintaux de blé à l'hectare et l'Allemand paya la somme de 16364 FF soit 30 % du prix de la récolte.

Le terroir disposant de nombreuses pâtures, les chevaux furent placés à l'herbe autant que possible et on compta d'innombrables  pensionnaires équidés dans nos enclos qui hénnissaient dans la langue que Charles Quint utilisait pour parler à son cheval.

Les belles maisons furent rapidement investies par les officiers. Les entreprises demeurèrent entre les mains de leurs gestionnaires habituels mais l'intendance fit vite comprendre avec de la monnaie d'or et d'argent que le consommateur est roi, en toutes circonstances.

L'occupation dura trois ans. En mai  1915, les colonnes de culture s'installèrent en délogeant les paysans et en accaparant l'ensemble des récoltes. En 1916, dans les bourgades proches du front, il ne restait plus d'exploitant français car l'exploitation personnelle avait été interdite. Les mises en culture furent faites par les soldats occupants sans respect des limites mais en prenant soin de laisser des pistes en herbe pour l'aviation et d' aménager des zones de tir en cas de retour de l'ennemi.

L' éventualité d'une annexion pure et simple circulait dans les propos chuchotés de part et d'autre de la ligne de front. Les alliés ne pouvaient laisser faire : le Vermandois avait beaucoup plus d'importance que Verdun et beaucoup plus d'habitants. Fixer pour coutourner !. La décision fut donc prise de fixer le feu et les militaires sur les collines de Verdun, désertes et peu hospitalières et d' engager une pénétration dans le Vermandois et le nord sur un large front d'une soixantaine de kilomètres. Pour cela, il fut prévu 60 divisions dont 35 françaises.

Dans le partage des tâches, Foch se voit confier la guerre de mouvement de part et d'autre de la Somme et Joffre, l'âpre combat autour de Verdun.

Ce dernier, fortement accroché, crie au secours et demande du renfort. Il ne restera pour la Somme que quarante divisions, 14 françaises et 26 britanniques, au lieu de soixante. Le front sera réduit à quarante et un kilomètres.

L'ordre de bataille du 26 Juin fixe pour objectif :"Porter une masse de manoeuvre sur le faisceau des lignes de communication de l'ennemi, qui jalonnent Cambrai, Le Cateau, ....."

 

Le canal et la voie ferrée de Paris vers Maubeuge étaient principalement visés, puisque les lignes de communication n'étaient pas encore téléphoniques, de plus Joffre, visait plus loin que nécessaire, en vertu du vieux principe qu'une mission ne doit pas pouvoir être exécutée intégralement car cela porterait atteinte au  principe de base qui fonde la  notion de  hiérarchie.

 

Cette manie, qu'il faut, respectueusement,( les hommes étant ce qu'ils sont) , considérer comme le principe d'action de base de tout commandement militaire, fonda également la tuerie du 23 à Verdun et des jours suivants. Falkenhayn, chef d'état-major de l'armée allemande voulait saigner à blanc l'armée française, mais déchanta vite : l'armée française était capable de se saigner elle même tout en stopant les "maxim" de la Reichwehr  et en lui infligeant des pertes équivalentes. La fixation étant réussie il fallait entamer le contournement..... immédiatement.

Le premier Juillet 1916, les troupes alliées furent lâcher en direction de la Somme avec l'ordre d'aller, très vite, au delà.

La bataille dura cinq mois, rassembla des soldats de 35 nations différentes, vit apparaître les chars et les avions et surtout les déportations massives de civils.

Ce dernier point concerna surtout le Vermandois.

 

La première bataille de la Somme a pleinement justifié l'appellation de première guerre mondiale qui va dorénavant qualifier ce conflit. Pourtant, si les généraux se glorifieront des 200 Km2 reconquis, la mâne sera faible en regard des pertes:

                                                                                               537 000 allemands

                                                                                               453 000 britanniques.

                                                                                               341 000 français.

Les poilus de tous les continents rapporteront des souvenirs de tranchées inondées, de  boue collant aux godillots, de crainte de l'ypérite, et de mort sur ordonnance qui vont, bien avant Céline, modifier partout l'image de la guerre joyeuse.

L'échec du chemin des dames, puis le basculement de la Russie dans le communisme traduiront un changement de mentalité profond et une prise de conscience universelle: l'équation de la guerre qui, depuis toujours assurait des honneurs contre  des actes de bravoure, venait en quatre mois de trouver une plus cruelle expression : de la chair contre des balles.

 

L'usure des Allemands était cependant réelle. Par souci d'économiser les hommes, ceux-ci vont, avec discrétion et méthode, se replier, dès la fin de l'hiver 1916, sur la ligne Hindenburg.

 

Pendant, plus de deux années, toute la partie sud du Vermandois fut donc le séjour de nombreuses troupes. Tel village avait été considéré comme particulièrement propice pour accueillir un terrain d'aviation, le château avait l'élégance qui sied pour héberger des officiers de l'armée de l'air, le carburant arrivait par le canal, ainsi Flavy le Martel, comme Ham et d'autres se trouvèrent placés au milieu d'un dispositif qui permettaient aux avions dont les fonctions étaient prioritairement d'effectuer des reconnaissances de pouvoir en une demi journée survoler le front de Lille à Reims.

Deux autres raisons très pragmatiques retenaient beaucoup de sous officiers bedonnants : les brasseries qui tiraient une bière très appréciée et les abattoirs de porcs présents dans chaque gros village..

 

Les habitants se trouvaient dans une situation particulière, otages d'un côté et libérés des obligations militaires de l'autre. Les classes qui avaient été appelées avant l'occupation ne pouvaient plus revenir et chaque famille souffrait pour celui qui combattait contre leurs intérêts tout en se se réjouissant de ne pas servir d'appât à la mangeuse d'hommes dont les prouesses vidaient partout les campagnes.

Hormis les rumeurs de boucheries à Verdun, sur la  Somme,  et le survol de plus en plus fréquent d'avions de reconnaissance et même de combat, rien ne changea dans la partie sud jusqu'au début 1917. L'Allemand semblait là, incrusté pour longtemps. Le Kronprinz Guillaume venait fréquemment voir ses  bases aériennes où Goering acquerra son titre enviée d'as.

Le temps de la guerre pesait comme une chape de plomb.

 

Quand, la décision fut donnée du repli sur la ligne Hindenbourg, l'armée allemande détruisit systématiquement tout ce qui pouvait resservir aux officiers de l'armée d'en face, châteaux, pistes d'aviation, forts.......

 

Dès le 17 février 1917, les Anglais constatèrent le départ discret des Allemands de leurs positions le long de l'Ancre. Le 24, la retraite est signalée sur toute la ligne de front. L'ennemi évacue, sans combats, une vaste zone, puissamment fortifiée et défendue avec acharnement durant la bataille de la Somme.

 

La moitié du Vermandois se trouve libérée, puisque la ligne Hindenburg, que les Prussiens appelleront ligne Siegfried ou encore ligne de Wotan reprendra la verticale tracée longtemps auparavant par la chaussée Brunehaut, de Gouzeaucourt, Vendhuile, jusqu'à Tergnier .

Une retraite est un combat sans arme, tout aussi difficile. Pour réussir, elle doit s'opérer en faisant le vide par une dévastation systématique et générale des ressources, des abris et des voies de communication mais elle doit aussi s'effectuer sans tapage vers des positions fortifiées d'avance.

Le front défensif choisi par Hindenburg au coeur de la région manifestait d'une bonne connaissance de la topologie mais surtout des caractéristiques des armes nouvelles. Ce ne sera plus un système de tranchées parallèles et continues, mais un dispositif "en profondeur": une série de zones fortifiées,  constituées par des lignes très puissantes établies sur les crêtes ou de faibles hauteurs et soutenues en arrière par des installations profondes, le tout semé de nids de mitrailleuses en grand nombre, de fils de fer enterrés, de galeries bétonnées souterraines.

 

Des hauteurs, les observateurs aperçurent les Britanniques qui dans la journée du 18 mars rentrèrent sans difficulté dans Péronne puis Chaulnes et firent la jonction avec la cavalerie française à Nesle. Les binoculaires portaient loin. Tous les villages venaient consciencieusement d'être anéantis. Les Allemands, en se retirant, avaient laissé place à un glacis, concept nouveau pire que celui de  la terre brûlée. Le Lokal Anzeiger relatera simplement: " le terrain abandonné forme aujourd'hui un véritable désert qu'on pourrait appeler le royaume de la mort ". Les arbres fruitiers, comme les autres avaient été arrachés ou sciés. Les sources et les puits empoisonnés, les habitants emmenés. 

 

Pour les habitants de la capitale Berlin , le Berliner Tageblatt diffusera le même constat accablant sans le moindre état d'âme " Tout le pays n'est qu'un immense et triste désert,  sans arbre ni buisson, ni maison. Nos pionniers ont scié ou haché les arbres qui, pendant des journées entières, se sont abattus jusqu'à ce que le sol fût rasé. Les puits sont comblés, les villages anéantis. Des cartouches de dynamite éclatent partout. L'atmosphère est obscurcie de poussière et de fumée"; 264 villages, 225 églises et plus de 38000 maisons, le fort de Ham, le château de Savriennois, celui de Villequier Aumont , dont il ne reste que des décombres !

 

C'était la consécration de la phobie primaire de la muraille !

 

Les troupes alliées traversèrent ces ruines dans la dernière flamme des incendies et, le 19, découvriront  la cité industrielle de Chauny sentant encore l'odeur de la cheddite ; dans les quelques maisonnettes encore debout, plus le moindre mobilier !

L'Allemand n'avait pas le sentiment d'un vol puisque la population entière avait été gentiment envoyée avec les Saint-Quentinois en séjour culturel dans la romantique Germanie !

 

Le spectacle des entremêlements de poutres, gravats et l'odeur de brûlé et de mort étaient un coup de poignard au coeur des habitants. On ne vit cependant que peu de larmes perler aux yeux de nos concitoyens. La crainte pour la vie des êtres chers avait fini par peser si lourd que la perte de biens matériels n'était qu'une peine

légère ! Cette ignominie qui tétanisera l'Occident autant que l'assaut aventureux du chemin des Dames ralentira le velléités belliqueuses. Une trêve s'installera qui durera sur le front de l'Aisne et de la Somme presque une année. Au printemps 1918, les données auront tellement évolué que le sentiment de vengeance supplanta tous les autres.     

 

 

Nul n'ignorait que la Russie avait fini par sombrer dans l'anarchie et que l'Amérique avait enfin décidé de s'engager aux côtés des alliés et pourtant personne n'aurait osé pronostiquer l'issue et la date de l'armistice .

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" Pourtant, en faisant alterner l'attaque méthodique et la défense bien calculée, la tactique emporte des succès, mais non, certes, la victoire. Celle-ci ne saurait venir que d'une combinaison d'entreprises exploitées sans restriction. Il y faut cette composition de tous les efforts en un seul, cette obstination à doubler constamment la mise, cette passion du risque, qui sont l'essence de la stratégie .

Foch se présente. La fortune, à point nommé."

En ajoutant tout ce que le généralissime  Foch devait à Pétain, Haig, Pershing et à l'armement colossal des alliés, le général de Gaulle survole alors la reconquête commencée à Villers-Cotterets sans s'attarder beaucoup sur les péripéties  et concentre son binoculaire sur quelques chiffres. " En Août, Septembre, Octobre, les Français tirent, en moyenne, 600000 obus par jour, tandis que les Allemands en lancent 500 000. Nous faisons voler 3000 avions , l'ennemi 2600. Trois mille chars appuient nos attaques contre un adversaire qui n'en possède pas cinq douzaines.

En douze semaines, nous, Français aurons mis hors de combat plus de 500 000 Allemands, fait 140000 prisonniers, pris 5000 canons et 28 000 mitrailleuses, en perdant 260 000 hommes ".

 

L'énormité des chiffres brise totalement la raison des habitants des régions sacrifiées. Plus d' un million d'obus tombèrent sur une bande de 50 à 70 kilomètres de large et 200 de long ; soit plus de onze par kilomètre carré sans parler des balles et des explosifs de toutes sortes .

Le déroulement de cette dernière phase de la guerre commença aux premières chaleurs du printemps 1918.  Ludendorff se décida à engager l'offensive conçue depuis longtemps. Soixante trois divisions soutenues par 6200 canons et 1000 avions, en tout un million d'hommes, en trois vagues égales de Cambrai à La Fère seront lâchées par le confiant maréchal pour la "Kaiserschlacht". L'objectif est tout à la fois  limité et très ambitieux : enfoncer le front et avancer jusqu'à Villers-Bretonneux et Montdidier de manière à séparer les deux armées françaises et anglaises, pour enfin écraser le cousin anglais déloyal.

 

Les trois armées des généraux Below, Marvitz et Hutier avanceront de nuit en six vagues successives pour cacher à l'aviation ennemie l'ampleur de l'opération.

"C'est étrange , écrivit un soldat allemand, de penser à toute cette masse de troupes qui monte vers l'ouest. Par toutes les routes de ce vaste front, l'Allemagne est en marche". Cette remarque aurait pu être faite par un jeune soldat de première classe du nom d'Adolf Hittler, dont l'histoire reparlera bientôt, qui était là, comme les autres, conditionné pour la victoire finale du peuple teuton.

Deux armées britanniques vont recevoir le choc : la IIIème au nord et la Vème commandée par Cough au sud. Ce dernier ne dispose entre  Combles et  Chaulnes que de 14 divisions dont 2 en ligne sur 64 kilomètres. Le 10 mars, Cough est prévenu par des prisonniers que l'attaque aura lieu le 21, mais " l'intelligence service " ne dévoilera pas que l'Allemand prévoyait 320 000 soldats contre la III ème armée et 500 000 contre Cough qui n'en avait que 170 000.


Le 20 au soir, Cough bombarde les abords de Saint-Quentin avec les plus grosses pièces dont il dispose. L' ennemi ne riposte pas, mais le 23, à deux heures du matin, et surtout à quatre heures, l'artillerie prussienne se réveille et déclenche un bombardement terrifiant, au milieu d'un brouillard intense : 650 000 obus pour commencer. Protégér par le brouillard, l'Allemand traverse le no man's land et arrive sur la ligne de front des alliés, ni vu, ni connu, attendu mais plus tard.


" Toute la contrée, dira la gazette de Voss, disparaît sous des nuages de fumée et de vapeurs ".

Pour franchir, l' Omignon, la Somme et son Canal, le génie allemand arrivera équipé de ponts portatifs en trois pièces ; les troupes anglaises pilonnées, encerclées ne pourront mais !...... à un contre trois.....que faire ?

Au nord, la IIIème armée britannique se repliera de trois kilomètres, avec moins de difficultés, grâce aux collines d'Arrouaise émergeant au dessus du brouillard matinal.

Les messagers et les télégraphistes transporteront vite la nouvelle alarmante jusqu'au quartier général de Pétain à Compiègne. Le 21 à 10h du soir, le général, pressentant l'effondrement du front, lance le Vème corps français sur le flanc sud de la percée allemande en longeant le canal Crozat.

Les routes étant encombrées de soldats anglais en retraite et de civils en exode, Pétain met 3 divisions de cavalerie dans des camions en colonne vers le nord.  Pétain devine aussi que Ludendorf veut en découdre avec les Anglais. Il envoie  2 divisions au général Pelle.Le 23 au matin, la Vème armée britannique ne peut plus résister et l'ordre est donné de repasser la Somme.


Van Hutier atteint les rives du fleuve et fonce sur Ham pendant que, au nord,  Von der Maritz dépasse les monts d'Arrouaise.Deux journées après, tout le reste du Vermandois sera reconquis. La ruée semble irrésistible. Le nombre des prisonniers est importants et l'ennemi a atteint les réserves d'intendance, ce qui vaut plus que la victoire. Pétain et Haig comprendront la nécessité d'un commandement commun et le confieront le 23 à minuit au Général Humbert. Que faire alors que Tergnier, Ham et Nesle sont tombés!

Von Hutier arrive dans le Santerre avec un moral de vainqueur , le Kaiser est en visite à Crépy en Laonnois et les Prince Eitel et Guillaume viennent saluer la seconde vague d'assaut.

Le 24, toute la ligne de Hombleux jusqu'à Combles, des deux côtés du canal, est au main de Von Hutier et de ses compères Marvitz et Below.

La riposte, sous le commandement du nouveau chef commun, se prépare loin derrière. Sur la recommandation de Foch, on fait venir Debeney de son cantonnement à Bar-le-Duc. Les cheminots mobilisés réussiront à faire arriver les trains toutes les cinq minutes. Avec la même célérité, les débarquants seront montés sur des camions en direction de Montdidier. Il faut monter vite. Roye est pris le 25,  Noyon encerclée brûle !

L'Etat-Major franco-anglais tergiverse alors que du côté francais, deux personnalités s'affirment : Clémenceau et Foch. Finalement, le Tigre convainc Lloyd George de confier l'opération à Foch. Une aubaine ! car en même temps que l'armée de Debeney débarque, Von Hutier se décide à accélérer sa percée par Roye pour atteindre plus vite Paris.

Il le peut, des masses arrivent sans cesse à Saint-Quentin, divisions après divisions, suivies par de l'artillerie à la tonne.

Le 27, Montdidier est atteint à 5H 15 du soir. En sept jours, les Allemands ont parcouru les 60 Kms qui ouvrent la porte de la France, comme Clovis, il y a bien longtemps.

La situation est critique et pourtant Foch reste confiant !

Depuis le 25, Debeney rassemble son armée à l'ouest de Montdidier.

Trois divisions allemandes de plus s'enferment dans la poche. Pour en sortir,  la baïonnette sera inopérante, Von Hutier attaque trois jours sans succès. Foch écrira " l'Allemand est arrêté depuis le 25, le flot expire sur la grève ".


Ludendorf tentera alors de repartir vers Paris du haut du chemin des Dames. Là aussi Foch avait vu juste en lançant, face à l'ennemi lourdement chargé, 321 tanks Renault, nouvelle petite merveille, légère et bondissante sur  terrain escarpé.


C'est encore Foch qui décidera le 24 Juillet, l'assaut concerté et décalé des armées françaises et anglaises. Pour mener cette action difficile sur le terrain, il nomme le Maréchal Douglas  Haig comme supérieur direct de Debeney et Rawlinson. Il s'agit d'une action inédite puisque les chars avanceront avec l'infanterie . Rawlinson part le premier à 4H30 dans la nuit du 8 août avec 400 chars.

A 5H50, Debeney bondit et avance de 4 Kms . Tout à coup, toutes les armées alliées, Australiens, Néo-Zélandais, montent vaillamment à l'abordage des positions d'en face.


Un matériel considérable est saisi. Les Australiens sont particulièrement heureux, ils font 4000 prisonniers en deux jours.


Ludendorff comprendra vite l'ampleur de la catastrophe : " c'est le jour de deuil de l'armée allemande ".  Les pertes seront de 650 pièces d'artillerie et de plusieurs milliers de mitrailleuses. Les pertes humaines seront comptabilisées en annexe.

Il ordonnera le repli.  En une semaine, l'armée franco - anglaise  sera sur la ligne Albert, Chaulnes, Roye, Ribecourt. Le commandement allemand, un peu paniqué, mettra en position la " Grosse Bertha " à Coucy pour pilonner Paris.


Le 28 Août, les Allemands se retrouveront sur leur point de départ: la ligne Hindenburg.

La guerre va encore durer deux mois et demi entre Saint-Quentin et la Capelle.

Vers le 25 septembre, les Anglais sont aux portes de Saint-Quentin et tiennent le nord de la ligne Amiens Péronne. Debeney et la première armée française sont alignés de Athies Ham jusqu'à Coucy ; au delà, Mangin commande la 10ème armée. En face de Debeney, la XVIII armée allemande, commandée par le brillant Von Hutier. Son front ne fait guère plus de trente kilomètres de large. Les Français passent là avec 7 divisions, 90 chars, 600 avions ; trente mille hommes avec en vis à vis près  de vingt mille . Chaque division compte une centaine de canons qui  crachent le feu sans discontinuer, que la troupe avance ou soit postée. Le nombre d'avions surtout est impressionnant. L'Allemand entretient des bases et les Fokker ne se contentent plus de survoler. Deux mitrailleuses ont transformé les guetteurs en oiseaux de proie.

Par chance, il n'y a plus de civil au sol.

Le 7 novembre, les plénipotentiaires allemands passent les lignes françaises à la Capelle. Quatre jours plus tard, en forêt de Compiègne, dans le wagon du commandement de Foch, l'Empire allemand signe l'armistice.


Le Vermandois, vidé, détruit, vernichtet, voit alors en octobre 1918, ses enfants apeurés revenir timidement, certains avaient laissé leurs maisons plus de quatre années auparavant, pour les plus malheureux, l'exil avait été de plus courte durée. Pour tous l'affliction était la même..

Le petit Adolf, âme sensible, en quête d'un père qu'il n'avait pas connu, s'était engagé à fond dans la "Kaiserschlacht". Personne n'était plus sûr que lui de parachever le triomphe du peuple allemand dont il était l'humble serviteur depuis quatre années et de trouver enfin la consécration de bravoure qu'il attendait pour gravir  la première marche de la hiérarchie.<

Au cours d'un des premiers assauts du printemps 18, le malheureux jeune homme sera aveuglé par les gaz de combat et ramené vers l'arrière. Quand il ouvrira les yeux, tout son rêve se sera écroulé. La carrière militaire se fermait comme s'était fermée celle de peintre. Il se décida alors à trouver sa voie dans la politique et de venger ainsi ses blessures et ses rancoeurs, gardant toujours en tête l'image qu'il eut avant que ses yeux ne se ferment momentanément : celle d'un peuple et de son armée dominant le monde, prêts pour l'assaut final sur le plus noble des champs de bataille ; le notre.







L'entre deux guerres.   

 

Le passé méritait, plus que jamais son nom. Chaque brique fut retournée précautionneusement pour déterrer les moindres cartes postales et manuscrits. Malgré l'attention de tous les sens,  la cueillette fut maigre. Il ne restait ni vie, ni trace, ni survivance. Les temps anciens manquaient simplement à l'appel . Ni l'église, ni le château, ni la mairie n'offraient de prise pour les regards.

Les femmes et les enfants n'avaient plus de toit. Les hommes valides qui étaient restés pendant les quatre années, n'avaient plus d'outil de travail et se trouvaient spoliés par le changement de monnaie. Les jeunes conscrits d'avant 1914 avaient l'estime de la patrie et comptaient sur la nation reconnaissante pour vivre mieux, ailleurs.

Une fois l'occupant parti, tous les habitants se demandèrent quel pouvait être l'avenir sur cet amoncellement de débris ?

La communauté juive avait juré de ne retourner qu'auprès d'une seule ville détruite, au début de notre ère, hélas loin d'ici. Le pasteur protestant, très attaché à son temple, n'avait plus assez d'ouailles. Le curé ne retrouva plus les belles cloches d'airain qui avaient été bénites huit années auparavant. Il fallut bien du courage à ceux qui revinrent. Le sort ne donnait de consolation qu'à ceux qui avaient avant la guerre " acheté de la terre " à contre courant de tous les conseils des experts reconnus d'alors..... ou de l'or.


Dès que l'armée de Debeney eut franchi les ponts du nord, l'armistice ne tarda pas. Il fut signé à Rethondes, près de Compiègne le 11 novembre  1918 . Cette cérémonie étrange clôturait un conflit armé où le vainqueur accordait grâce à celui qui rendait les armes. Les officiers reconnaissaient cette pratique comme leurs ancêtres chevaliers l'avaient fait. Le peuple, lui, la rejetait comme il bafouait toutes les obligations héritées des classes minoritaires dirigeantes.  Sous la pression populaire, Foch, le généralissime,  revint dans la célèbre clairière trois années plus tard,  en 1922, pour y inaugurer une stèle commémorant la victoire sur le "Criminel Orgueil ".

 

La marque ambiguë du  confessionnal et du talion  était  gravée dans la pierre. La victoire n'était pas l'arrêt des criminels, elle se voulait la vengeance du méprisé sur le méprisant. L'ordre moral gommait le droit pénal sans l'effacer. La faute était celle décrite dans les premières pages de la Genèse. Adam et Eve étaient chassés du jardin d'Eden,  non pas tant d'avoir enfreint l'interdiction de voler la pomme que d'avoir voulu égaler en connaissance le maître des lieux.

En minimisant l'aspect matériel, seule la notion morale de la réparation de la faute était retenue. Il fallait " faire payer " !

Hélas, dans le débat sur les causes ,  le méprisé prenait le risque d'être méprisable.

 

La politique de la France vis à vis des pays meurtris fut, de ce fait, indigne, comme elle  le fut vis à vis de l'Allemagne. Les préjudices étaient noyés dans un débat théologique sur le prix de la faute, sans pater, ni ave, ni pardon.

 

Clausewitz, dont le nom est attaché à la deuxième armée allemande qui patrouilla près de chez nous, avait déjà clairement énoncé que la diplomatie était la continuation de la guerre par d'autres moyens ( et vice versa). A mille jours de la fin de la guerre, un camouflet à l'honneur d'un pays était fait, alors même que les crimes n'étaient pas jugés et les réparations pas estimées ! 

 

Quelles raisons précipitaient le gouvernement à jouer au coq de basse-cour, alors que le poulailler était encore en ruine ?

 

Clémenceau, le tigre, qui avait sorti Foch de son moteur, était l'âme du radicalisme anticlérical. Poincaré, président de la République, incarnait l'union nationale sans pourchasser les croyants.

 

Les curés s'étaient montrés aux premières lignes du front lors de toutes les boucheries et jouissaient d'un capital de sympathie inégalable. Les accusations de calotins et de diminués sexuels tombaient très très bas devant des hommes qui avaient connu l'humidité des tranchées, la peur au ventre, les gaz mortels, la soupe froide, l'absurdité des ordres, et partagé les derniers instants de milliers de frères de combat.


Le trouble dans les esprits est le pain blanc de la politique des partis. Deschanel remplaça Clémenceau le 18 février 1920.  Très vite, Millerand,  champion de la veste à revers multiples et as du faire-la-manche à gauche comme à droite, prit la suite.


La troisième République, malgré la couleur du vernis,  restait et perpétuait les vieilles recettes qui ressemblaient à de la bonne administration , à défaut d'imagination.

 

Son premier péché  fut l'or, reflet doré de l'orgueil. La France garda la parité de sa monnaie exprimée en or, comme si le sou, qui circulait à  Saint-Quentin, Péronne ou Ham entre la sucrerie, la brasserie, la laiterie et la banque, avait la même valeur que celui qui circulait, après 1918, alors qu'il n' y avait plus rien. Le gouvernement s'épuisa dans son illusion de richesse et, en 1919, la très charitable Banque d'Angleterre coupa ses crédits. Il n'importe !  puisque le vaincu était le coupable !  La France demanda solennellement la réunion d'un tribunal international pour y faire comparaître trois cent trente criminels de guerre dont Guillaume II, Hindenburg, Ludendorff, le Kronprinz.  Satisfaction fut donnée à notre pays mais la comparution des inculpés était contraire au code de la guerre ; les accusés ne se présentèrent pas.

Au chapitre des erreurs, il faut aussi citer le traité de Versailles.Tout fut fait pour établir un  parallélisme entre celui de 1870 et celui de 1918 et satisfaire  l'amoureux de symétrie mais, avaient-ils vraiment quelque chose de commun ? 

L'Alsace et la Lorraine furent restituées, certes, mais devait on rapprocher les deux guerres sur le plan des indemnités ?

Le premier traité avait chiffré à 5 milliards de francs-or la rançon à payer par la France. Le second, qui en préambule y faisait référence, imposa  400 milliards de francs- or de réparations, ce qui dépassait la fortune totale  de l'Allemagne.

 

Les Anglais estimaient la somme raisonnable à 75 milliards. Les Allemands comprirent que le premier traité prévalait sur le second, quant au raisonnable ; aussi, la  France  toucha-t-elle  la somme qu'elle avait versée :  5 milliards de FF,

soit 2 % de sa créance !

 

A quoi peuvent servir des traités, qui ne sont que chiffons de papier, si ce n'est à établir des  références entre les Etats  ?  A notre discrédit, s'ajoute aussi que, dans une négociation de cette importance, la République se présenta avec Clémenceau, le tigre mangeur de curés,  puis Deschanel ,  le promeneur du clair de lune ( il fut retrouvé en pyjama marchant le long d'une voie ferrée ), puis Millerand, le socialiste de droite, franc-maçon. De gauche ou de droite, nos représentants arrivaient avec des arriérés de paiement aux grandes puissances et une fatuité qui gênait les pragmatiques Anglo-saxons. La France théoricienne de la paix voulait une paix multilatérale qui penserait aux Lithuaniens comme aux Monténégrins mais ne voulut pas réclamer à  nos envahisseurs, yeux dans les yeux, point par point, la note à payer.

La  réconciliation ou la reconstruction commune aurait été des ambitions plus justes que la réparation. Le problème moral  faussa complètement  la perspective.  Il y eut, derrière tout cela, une inflation de mots et d'idéaux que nous retrouvons sous chaque préau d'école lors des élections. Nos gouvernements pacifistes et idéologues exigeront finalement trop, au point que les Anglais et les Américains eux-mêmes se lasseront des rodomontades et des propos enflés de nos diplomates, alors qu'un inventaire objectif n'avait même pas été fait. Nos bourgeois de représentants tenaient, de plus,  absolument à ce que les prix de construction de 1914 soient maintenus pour plaire à la veuve de Carpentras° mais sans souci des besoins immédiats des sans-abris de chez nous. L'inflation des mots allait agir comme une  levure sémantique et entraîner, dans le domaine des relations économiques,  la hausse des prix. Ce que nos économistes appelaient enchérissement, se commua en  inflation.

Puisque nos propres alliés ne considéraient plus le franc comme de l'or et mesuraient leurs crédits, il n'y avait que deux issues : ou réduire les avances et confirmer ainsi la valeur de la monnaie ou laisser courir. La France, pays vainqueur, devint mauvaise payeuse, au moins autant, sinon plus, que sa voisine vaincue.

Fille de la démagogie, la haine déchira le tissu social, valeur par valeur, village par village, usine par usine, pays par pays. Les historiens mettent aujourd'hui beaucoup l'accent sur les forces  sociales centripètes pour expliquer que les classes prenaient conscience de leurs forces dans la course au pouvoir. Cette idée sera même élevé au rang d'explication ultime de l'histoire ; l'homme, ouvrier de l'histoire,  ne serait pas son propre patron ! Tous ses actes s'inscriraient dans un processus logique déterminé par les " mouvements sociaux ", comme la marche à pied le vendredi veille de week-end, le défilé sous banderoles, la " manif " , la prise en otage des consommateurs !

Parmi les actes moins visibles, le sabotage industriel, le toujours-plus, la parole non tenue, l'esprit de parti, les riches mis à l' encan, les valeurs de paix sociale assimilées à de l'exploitation bourgeoise  !

Les élucubrations trouvaient de plus en plus d'adeptes occasionnels en juste proportion de l'obstination des  gouvernements à maintenir les valeurs passées dans un monde à reconstruire.

Les plus audacieux de nos compatriotes qui entamèrent les demandes de " Dommages de Guerre" comprirent vite le double langage d'une administration politique qui n'avait qu'une idée en tête : la pêche aux voix. L'administration promettait la réparation et montrait avec fierté le nouveau bâtiment de la poste, copie conforme de celle d'avant, la mairie et les écoles, entourées d'échafaudages. Confiants, nos concitoyens recommencèrent à payer l'impôt, puis déposèrent leurs dossiers. Ceux-ci mirent dix ans pour cheminer !  Il fallait des rapports d'architecte, des estimatifs, et encore d'autres pièces.

A celui-là, qui avait perdu plusieurs maisons locatives et une entreprise de construction, on fit part qu'il était de nationalité belge, son cas n'avait évidemment pas été envisagé par le traité. Cette jeune fille héritait d'une belle maison de ses oncles et tantes décédés tous les deux, il fallait soumettre un dossier un peu plus circonstancié.


L'administration ne sera d'aucune aide, bien au contraire. Suspectée dès le départ,  l'héritière ne surmontra pas les obstacles à temps, la construction ne sortira pas de terre et le bien deviendra vacant . Il y eut foule de cas de cet ordre qui lésèrent nombre de familles. Puis, il y eut ceux qui blessèrent le visage même de la France. Tous ses enfants, pour mille générations, devenaient orphelins !  

Le château de Moy, de Savriennois comme les donjons de Coucy et de Ham  auraient dû figurer en première ligne des réparations, car l'assimilation à des objectifs stratégiques était, à l'époque de l'artillerie lourde,  parfaitement abusive ; là encore,  personne n'avait pensé au patrimoine historique qui était autant à la France qu'à l'Europe et à notre civilisation !

 

La honte !

 

Au firmament des symboles, la poste, les voies ferrées qui furent vites reconstruites par une brigade de vietnamiens, les mairies, et les murs des hospices étaient propulsés loin devant les monuments propres à l'histoire de la région et hors de portée des  biens privés. Un fossé se creusait  entre le parti qui tenait le haut du pavé et le peuple démoralisé. Il s'agrandira avec la suppression du concordat en Alsace-Lorraine, l'impôt sur le capital, l'irresponsabilité présidentielle de 24 à 27, s'agrandira encore  avec le franc dévalué, la scission des radicaux de l'union nationale. Après le jeudi noir, la crise de 29 mettra un point final à l'esprit de fraternité et de solidarité qui s'effilochait irrémédiablement .


Le député de Laon, Paul Doumer, devient Président de la République en 1931. Notre région détruite se fiera à ce méridional, sans conteste vaillant, puisqu'orphelin jeune, radical et  bon écrivain. Rien ne permettait de penser qu'il aurait pourtant  la moindre efficacité contre la crise. Les Français polémiquaient et Doumer excellait dans ce domaine. Professeur et journaliste, c'était l'archétype de l'ignare en matière économique. Mais, nos concitoyens ne souhaitaient qu'une chose de leur élu : qu'il fasse avancer ces dossiers de réparations qui tardaient et tardaient par le fait de gens du même acabit que ce député  et qui tenaient le même langage .

Doumer, le sort s'acharnant depuis  toujours sur notre région, ne put guère accélérer le traitement des dossiers. Il fut assassiné par un émigré russe dont les motivations étaient plus teintées d'intégrisme religieux que de calcul politicien.

Son successeur, promu par Polytechnique et  une gauche plus modérée, arrivait trop tard pour infléchir la crise profonde du pays. M Lebrun, étant ingénieur, avait pourtant des capacités pour comprendre l'économie du pays, mais la  malade devait être profondément incurable. Pour sauver la France, il reviendra à  Lebrun l'insigne honneur d'appeler le Maréchal Pétain , après que la III République eut déposé son bilan.

Les Allemands de la seconde guerre mondiale se souviendront de Foch et de sa stèle peu diplomatique et, par dérision, déporteront Lebrun au " Bloc d'honneur", marque d'un respect de façade pour des valeurs qui avaient perdu toute signification des deux côtés du Rhin, voire de l'Atlantique à l'Oural . . >

L'inventaire de ces deux décennies ne ressemble à un film néo-réaliste que parce que ce style était l'expression vraie du temps. Il serait incomplet s'il manquait l'image d'une vue réconfortante : l'ouvrier retrouvant son vélo, l'enfant blessé qui reçoit  un bonbon. Notre raison d'espérer, ce fut la survivance à travers l'enfer des orféons du village. L'école de musique était une oeuvre dont personne ne se souvenait des origines.


Les cuivres et tambours appartenaient à la commune mais servaient indifféremment aux fêtes patriotiques, sportives, religieuses et même aux bals. Après la guerre, une liste complète fut faite des disparitions, vols et dégradations et des instruments neufs réapparurent. Le bénévolat fit le reste et la clique ressuscita.

Jamais, aucun critique musicologue ne s'est déplacé pour auditionner les troupes. Elles sont pourtant ici, grâce à leurs flon flons et sa cohorte de canards, indispensable. Leur présence porte témoignage, en effet, que Dieu donne, pour l'éternité aux hommes de bonne volonté,   des preuves que l' " Harmonie " existe . Pour cela, il suffit de peu : un tambour fébrile,  un clairon emprunté et une trompette couinante et le village ouvre ses fenêtres, chante et court vers la place !


Une autre musique vint habiter aussi chez nous, à cette époque. Elle meugle chaque début de mois régulièrement, en nous obligeant à nous rappeler où nous avons posé la trousse contenant le masque à gaz .

 

Cette machinerie remplaçait les dispositifs d'alerte des buttes avec efficacité,

 ....... une guerre trop tard !  


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°La veuve de Carpentras est cette dame riche du sud qui possède toute l'épargne monétaire du pays. Veuve de guerre, pensionnée autant qu'on peut l'être, elle n'a jamais admis que son mari soit mort, dans nos contrées, pour la France et entretient, depuis, vis-à-vis de la Nation des rapports d'exploiteuse revancharde ! 



DANTZIG, MUNICH

 

On ne peut vivre longtemps dans l'abattement et le découragement.

Le printemps, chaque année, repeint complètement le paysage et la nature, en imposant sa loi,  redonne vigueur et courage pour les moissons et la dure récolte des betteraves. Ainsi les bourgs, alentour, échappèrent au sort des villes fantômes de l'ouest américain, où les sols sont  ingrats et l'humus, fruit du travail des hommes, chiche voire absent. Ce n'était plus un un comté-pair de France, ni même un baillage, ni un lieu de rendez-vous de roi, néanmoins les villages à dominante agricole perduraient. La population, lointaine descendante de forgerons et de tisserands,   gardait, toutefois, un fond de mentalité artisanale et ouvrière. Comme les grands axes routiers, fluviaux et le chemin de fer passaient par ici, la région retrouva des activités de service, souvent difficiles. Celles ci  firent grossir le parti des mécontents qui, à chaque déplacement, constataient l'injustice et l'affront commis envers les habitants de chaque village.

 

Doumer assassiné, les espoirs mis dans les promesses de réparations, s'évanouirent à jamais. Avec le traité de Lausanne en 1932, sous la pression des Américains, le trait fut tiré. Depuis 29, l'inconduite de la France avait provoqué  la perception par les seuls Américains de la dette interalliée. Dès que ceux-ci comprirent que l'issue de cette opération était compromise, ils l'arrêtèrent tout en continuant de réclamer directement le paiement de leur créance. La France, elle, parlait de paix universelle, de désarmement, de foi dans l'homme et d'une Société des Nations sans but lucratif et à objet culturel exclusivement.

Elle pensait trop pour compter.

 

De plus, le monde avait été redécoupé, à la perfection,  lors du traité de Versailles. Un couloir avait été disposé entre l'Allemagne et la Ville de Dantzig pour donner aux petits pays du centre de l'Europe un accès à la mer du Nord. L'Empire austro- hongrois, qui avait assuré pendant des siècles la paix entre les tribus des Balkans, était démantelé et chaque tribu reçut le droit de fonder une armée. Le contour de la Tchéchoslovaquie semblait dessiné par un artiste. La Russie avait perdu son petit paradis de Finlande mais c'était sans importance puisqu'un pouvoir rouge s'était installé dans les steppes.

La Russie des Soviets sous la houlette ( outil de berger qui fait office de faucille et de marteau ) de Lénine et de Staline donnait des inquiétudes à ses voisins. L'Allemagne le fut par l'écho de l'aristocratie pourchassée et massacrée et  des pogroms. La cible était clairement  désignée. Les grands propriétaires terriens affichaient leur parenté même éloignée avec ceux  d'Allemagne comme un gage de culture européenne. Les juifs étaient là comme ailleurs des victimes expiatoires du malaise généralisé.

L'envoûtement de la Révolution d'Octobre sur les extrêmistes de la troisième République, lui, commençait à s'estomper du fait de l'attitude de plus en plus proclamée de ne pas rembourser les emprunts russes même souscrits en or.

C'était préoccupant pour des politiciens qui prônaient l'or comme valeur suprême et n'avaient plus de crédit en Occident.

Lénine déclarait à chaque visite de ministres plénipotentiaires que la Russie des Soviets était la fille de la Révolution française et une véritable République laïque et démocratique. Cela suffisait pour renvoyer au placard l'épais dossier des emprunts russes. Quant  aux rumeurs de guerre civile et d'exterminations, elles étaient exagérées par les agents de l'étranger !

Un univers de mensonges prenait place sur le continent derrière des frontières hypocrites.


Les cartes du moyen âge et des époques récentes présentaient des dentelures et des confetti plus nombreux que celle sortie du traité de Versailles et offraient  paradoxalement un cadre de vie plus humain et  plus sûr. Les Etats n'étaient pas encore  devenus ces monstres froids et tâtillons. L'individu n'avait pas de nationalité et voyageait en parfait caméléon. Il avait fait allégeance à son seigneur et reconnaissait pleinement le droit de juridiction au seigneur du canton qu'il traversait. Il était sujet, mais il pouvait voyager sans crainte excessive au travers d'une grande Europe, qui confiait son âme à Dieu seul.

Il n'en serait plus jamais ainsi ! Certains citoyens avaient droit à la protection de la canonnière, d'autres risquaient surtout de ne pouvoir revenir chez eux s'ils partaient. La nationalité était devenue le point crucial de l'existence humaine.

C'était une folie de plus, inventée par  les promoteurs des écoles  nationales d'administration qui formaient l'élite des nations. L'homme sans papier n'égalait même pas le chien tatoué ;  malheur aux déportés et aux exilés !


 Partout, après les grands mouvements de population dus aux dépeuplements, le moyen rapide

d'obtenir une existence légale se résuma dans la participation au service national . C'était le triomphe de Machiavel qui comptait la puissance des Etats en hommes en armes.

A ce jeu, l'URSS et l'Allemagne figuraient dans la première division. La France était sur ce terrain de sport, comme d'habitude, peu motivée par une  volonté de vaincre. Cet état d'esprit était arrivé à un tel  paroxysme que Staline, qui a eu sa plaque longtemps dans plusieurs de nos villages, demanda avec mépris, un jour, à une personne qui l'informait de la parution d'une encyclique, en mars 1937, contre le communisme " Divini Redemptoris " , " Le Vatican, combien de divisions ? " .

 

Hitler, lui fut le fils légitimé de Hindenburg et Ludendorff, avec l'athéisme et le totalitarisme en plus. Toutes les valeurs de la stupidité humaine étaient liées en gerbe : la vanité de la couleur de la peau, la soumission totale au chef, l'oubli de Dieu et de la faute, le mensonge autorisé pour les membres du parti dirigeant au nom de la raison d'Etat.

Le fascisme s'appelait, ici, National-Socialisme. Il débuta, comme une horde de brigands teutoniques, sans foi ni loi et avança par coups de poing, coups de force et coups d'Etat.  A chaque fois, les nations voisines et même la papauté fermèrent les yeux.

Dans la relation de  la guerre civile espagnole, les communiqués  de presse soulignèrent les actions de l' Internationale ouvrière et les  assauts des républicains contre les conservateurs-monarchistes mais ne prêtèrent pas d'attention à la légion germanique qui vint là s'exercer. Ce qui aurait dû être traité à chaud, ne provoquera aucune réaction de la part du Front Populaire français qui était au gouvernement.

 

Hitler se déclarait socialiste, c'était beau comme le Credo. Aucune entrave à son ascension ne fut faite de 36 à 38. Pour l'invasion des Sudètes, l'Angleterre et la France donnèrent leur accord à Hitler. La Chambre française ratifiera même cette ignominie par 535 voix contre 75 ; ( 73 communistes courageux  et 2 courageux non communistes :  M Boubey et M de Kérilis  ).

 

Des renoncements suivants  et de la débâcle de l'armée française, rien n'était à attendre d'autre !  Une assemblée qui ratifie l'invasion d'un pays ami par les armes avec une si forte majorité ouvre la porte à sa propre invasion. Ce fut le Blitzkrieg, la guerre éclair. Une promenade pour les soldats allemands dans un pays démoralisé, amorphe, complètement létal.


La suite fut l'affaire d'une poignée d'hommes qui forma l'armée de l'ombre ou quitta volontairement le sol national.

Outre le capitaine de Gaulle qui, à la tête de ses blindés, à Montcornet aurait pu inverser le cours de la bataille si le commandement avait cru dans son offensive, le plus vaillant français de cette époque fut le capitaine Leclerc de Hautecloque.

Il descendait d'une vieille famille picarde et avait passé son enfance sur les rives de la Somme. Fait prisonnier par l'ennemi, du côté de Bellicourt,  qui, doté d'engins motorisés, encercla rapidement son régiment qui, selon les ordres, repliait, il s'évada début juin 40, marcha plusieurs nuits, habillé en marinier, et traversa, dans l'obscurité et la crainte, notre plateau central, puis le canal Croizat  et les marais de la Somme. La première maison, au delà de la ligne militaire, où il put s'arrêter, se restaurer, dormir vraiment puis  immédiatement repartir, est un toit de Flavy-le-Martel.

La guerre ne diffère du parcours du combattant que par le changement de l'état de paix en l'état de conflit armé. Parce que c'est chez nous qu'il commença son épopée, Leclerc souhaita la stèle qui marque son passage. A l'échelle du monde, c'est bien le premier jalon d'une croisade prodigieuse qui fait du nom du général Leclerc et de celui de la deuxième Division Blindée un point de repère stimulant pour ceux qui pérégrinent à Douala, au Tchad, en Centrafrique, en Lybie, en Italie, puis en France jusqu'à la cathédrale de Strasbourg et même au delà dans la verdoyante Bavière.

Leclerc a, certes,  traversé notre région en fuyard, de nuit et bien avant d'être connu. Pourtant, ce n'est pas faire appel à un grand effort que d'imaginer ce que le nom du Vermandois pouvait rappeler chaque jour à ce grand soldat ; il y avait connu la faim, la crainte et la première  nuit de sommeil et de paix. Tout ceci valait tous les combats et justifiait  la poursuite du combat jusqu'à la victoire !

 

Dans l'armée des ombres, beaucoup y restèrent. Les archives militaires étant indisponibles pendant cinquante ans, les combats véritables  ne seront valablement   connus qu'à partir de maintenant . Comme pour la première guerre, les découvertes seront, en toute vraisemblance, maigres .


Pourtant les moindres faits  devront être, avec opiniâtreté, recherchés, car, si les ignominies furent nombreuses, les actes de bravoure  les plus humbles doivent ressusciter, ne serait-ce que pour remplacer  quelques plaques de rue !

 

Dans cette drôle de guerre, le Vermandois tint  une place honorable, bien qu'il ne puisse lui être reprochée de ne pas avoir égalé d'autres maquis célèbres ; son piteux état humain ne permettait que des actes de bravoure très limités.

 

L'armée allemande gardait le souvenir ému de son long séjour de quatre années et plaça sans attendre notre région dans un périmètre dit de " Zone Interdite ". La large frange située le long de la frontière nord, comprenant  la Flandre, les Ardennes, l'Argonne,  fut considérée comme promise à une annexion au Reich. Le Santerre, l'Artois, le Vermandois, le Laonnois n'étaient pas encore aptes à l'Anschluss mais méritaient mieux que de rester sous l'autorité d'un gouvernement français, même de pacotille. L'administration fut entièrement sous la coupe de l'armée allemande.

Nos concitoyens, dans ce camp de barbelés, rentrèrent la tête dans les épaules et retrouvèrent les atouts du patois et du langage codé. La résistance était dans les coeurs mais manquait de relais. Par les premières déportations, l'indignation secrète  trouvera des  échos dans le plus banal mot échangé. Les communistes avaient été instruits par la guerre civile espagnole et furent, dès le départ, des opposants déclarés. Ils furent souvent les premières victimes avec les officiers obstinés.

Tous les déportés ne sont pas morts dans les camps d'extermination mais leurs départs corroborèrent l'inhumanité d'une armée d'occupation qui  mentait, cachait et ne croyait que dans la force de la violence. Après le départ des premiers déportés, tout le monde savait  !

Peu d'actes insensés furent commis, avant que radio Londres ne diffuse des messages sybillins.

Pourtant, sous le couvert de la forêt, sous les manteaux, à la vue de personne mais au su de tous ceux qui vivaient dans la communauté, la libération se préparait !

Le secteur fut couvert par plusieurs compagnies des Forces Françaises de l'Intérieur (FFI). Les messages de Londres ;" Je pense à vous,

                                                           que la vie est dure,

                                                           nous aurons trois enfants, "

annoncèrent un largage d'armes  sur la côte 71 à Cugny  . (Le balisage fut mal fait, pas de largage ! ).

Pour une opération de même type vers  Villequier Aumont, Londres avertit " la chambre de la mitrailleuse est trouée ".

Quelque part, une bicyclette se mit en route après ce message : " à la fin de l' année, je touche ."

Peu avant le débarquement de Normandie, le 31/5/44, " la sirène a les cheveux décolorés "  annonçait certainement quelque chose de précis, que nous connaîtrons bientôt puisque les sens de ces messages ne seront bientôt plus couverts par le secret militaire .

L'information n'existait plus, l'ordre avait perdu son ton braillard et menaçant, ce qui comptait, c'était simplement le message, quelques mots jetés sur les ondes, sans queue ni tête.

Le 23/6/44 , ces messages anodins firent la première victime : un jeune agent de liaison, Maurice Moreau, âgé de 20 ans, fut tué par la soldatesque allemande.

 

Le débarquement allié  réalisé, les FFI se trouveront en position opérationnelle et les actes de courage vont, de ce fait, se multiplier. Le 9/6/44, déjà, les maquisards attaquent à Beaumont en Beine. La zone est, en effet, propice. Un débarquement aérien anglais se passe mal le 9/8/44 dans la zone et l'avion Halifax s'écrase.

Sept officiers anglais mourront brûlés dans l'accident et une stèle commémorative célèbre leur courage le long de la route de Cugny à Beaumont.

Le 20/ 7/44, le pont de Jussy saute. Le maquis ne visait pas le pont routier mais la voie ferrée qui conduit directement vers Cologne et la Ruhr  Par cet acte obscur,  Paris était sauvé. Le sabotage des voies avait montré sa terrible efficacité lors du rappel de la division Waffen SS qui stationnait près de Montauban lors du débarquement de Normandie. Au lieu de deux  jours, la division mit trois semaines. Hitler eut beau donner l'ordre de faire sauter Paris. L'effondrement du pont de Jussy rendait le retour problématique, l'opération fut considérée trop risquée. La poudre manquait, les hommes aussi et le repli était déjà impossible. Le général allemand n'eut pas le courage de Moltke en invoquant l'impossibilité matérielle, il mentit à son Führer mais sauva la ville-lumière.

Le sud  fut libéré par les FFI avant l'arrivée triomphale des troupes régulières. C'était un soulagement  bien que le conflit eût été un lit de roses à côté du premier.

 

La visite des Allemands  laissait, chez nous, peu de traces. Les voies de chemin de fer avaient été sabotées et aussitôt réparées. Des avions s'étaient écrasés sur la plaine, autant d'alliés que d'engins frappés de la croix de fer.

Notre secteur fut, en effet, confirmé dans sa vocation aérienne. Une superbe piste bétonnée fut coulée en son coeur. L'administration stupide l'a classée en zone militaire, ce qui la rend peu visitable. Elle constitue, pourtant, un ouvrage intéressant  comme l'est le camp de Margival, à côté de Soissons où Hitler séjourna. En organisant, tant soit peu, la visite de ces monuments, l'administation créerait des recettes dont l'affectation légitime serait la reconstruction de nos monuments militaires.

Le béton des casemates financerait la reconstruction des  moellons des donjons !

 

Hommage du vice à la vertu !

 

 

 

 






 

 

 AUJOUR'HUI ET DEMAIN.

 

 

La seconde ne planta pas autant de croix sur les collines que la première.

L'horreur fut épargnée à nos concitoyens. Il faut pourtant ici avoir une pensée pour nos frères juifs qui avaient quitté la région pour Paris et le Sud et que l'abomination Nazi rattrapa.

Avec la libération, la France retrouva ses vieux démons.

De Gaulle fut vite renvoyé à Colombey et Leclerc sur les terrains d'opérations extérieures. La politique reprit le chemin des préaux d'école et s'occupa de mettre à jour la liste des héros.

La troisième République avait fait l'objet d'une contre-propagande en règle sur les antennes de Radio Vichy qui usait du terme Ploutocratie à toutes les radiodiffusions. Les élus de la troisième l'ayant finalement sabordée,  il fut convenu d'écrire une nouvelle constitution : la IVème. Comme beaucoup d'anciens députés s'étaient habilement placés du bon côté, au bon moment, elle reprit les tares de la précédente, en diminuant encore l'exécutif. Les gouvernements jouaient à la table tournante et à esprit-es-tu là ?  pendant que les assemblées paradaient avec leurs immunités et leurs diatribes.

Au lieu d'utiliser les fonds de relance du plan Marshall, pas un sou ne resta au pays. Au lieu de favoriser le développement économique, c'est  la sidérurgie, les mines de fer et de charbon,  et la SNCF qui reçurent le soutien des fonctionnaires et l'argent des contribuables. L'Electricité de France honorait le premier commandement de Lénine : le communisme, c'est les Soviets et l'électricité . Elle fit l'objet de toutes les attentions, comme Renault ;" il ne faut pas désespérer Billancourt", et l'Education nationale, qui devint la plus importante organisation du monde après l'armée rouge.

La quatrième République cumula tous les mauvais choix et pourtant ne causa pas trop de tort au pays, car il était posé en filigrane que l'Etat devait être ingérable pour assurer de longs mandats aux députés et laisser la population en paix.

La politique confirma alors la coloration mesquine qui attribuait beaucoup d'importance aux noms des rues. Les villages, juste reconstruits, furent  " relookés", en imprimant de nouveaux noms sur des plaques de rue avec le même esprit partisan et revanchard qu'auparavant. Ce qui aurait pu être un trait humoristique ou de la facétie se drapa d'idéologie et arriva à l'effet  contraire de celui recherché lorsque, quelques années après, la vraie personnalité des héros fut connue. Les rues Staline, Pouchkine, Engel,  et plus récemment Allende trouvèrent ainsi domicile en Vermandois. L'idée traduisait complètement des intentions de propagande  forcée, fortement colorée de culte de la personnalité.. Il fallait des hérauts à des personnages douteux et lointains !, alors que tant de nos ancêtres méritaient tout autant d'intérêt ! .

 

Pourtant, après la construction du mur de Berlin, l'écrasement du Printemps de Prague, des doutes fissurèrent la foi en  l'idéologie communiste. Staline faisait l'objet d' une campagne de dénigrement sournoise. La littérature du Goulag commençait à passer en occident. Soljenitsine et d'autres révélèrent la partie visible de l'iceberg. Staline avait tué plus qu'Hitler et presqu'aussi cruellement !

 

La déstalinisation commenca sous l'initiative même de ceux qui, par miracle, avaient pu échapper aux purges. Stalingrad fut rebaptisée ainsi que toutes les rues Staline du monde, sauf dans notre région où le processus fut beaucoup plus lent qu'ailleurs. 

Les sympathisants et les membres déclarés du parti communiste s'affirmaient majoritaires, les conseils décidèrent d'attendre la renaissance du phénix.

Dans certaines communes, astucieusement, le maire demanda aux riverains des rues mal-baptisées de se dénoncer eux-mêmes.  Les commerçants, artisans, boutiquiers des ruelles, craignaient on-ne-sait-quoi et se comportèrent comme des citoyens de la troisième République. Il ne fallait,  ni penser, ni juger, ni exprimer d'idée personnelle. Beaucoup de communes restèrent ainsi, longtemps, dans le sillage du drapeau rouge qui proclamait le communisme soviétique comme "globalement positif", en omettant de dire tout ce que celui-ci devait à Babeuf, Condorcet, Gaudin et tant d'autres qui n'avaient aucune leçon à recevoir de commis mandatés.

 

Le temps passant, l'anomalie devint si criante que des plaques disparurent quelques jours avant l'effondrement du mur de Berlin et du communisme. Il en reste pourtant encore. Stalingrad n'est pas encore oubliée chez nous, pourtant  pays des troubles de mémoires allant jusqu'à l'amnésie.

Ces anecdotes, trop nombreuses pour être narrées par le détail, ne clôturent pas l'histoire nos villages millénaires car à chaque instant, même au plus profond du sommeil, la vie continue.

Certains penseurs ont imaginé un sens à l'histoire. Sous cet angle, le Vermandois cumule tous les handicaps. L'investisseur et  le touriste ne trouvent, ici, que peu d'accueil et de compréhension !  L'administration centrale y envoie, depuis de trop nombreuses décennies, des baillis zélés et carriéristes qui s'efforcent, en appuyant vers le bas les têtes qui émergent au-dessus du fil de l'eau,  de faire rentrer l'argent du panier comme depuis les débuts de l'histoire comme si rien ne s'était passé depuis la venue des puissances tutélaires.

La maladie, instillée par nos fonctionnaires, largement soutenus par les politiciens idéologues de la quatrième République et des débuts de la cinquième, a eu raison de toutes ces P.M.E et P.M.I qui faisaient vivre des milliers de ménages jusqu'aux années 70. La phase de récession, ouvrant béante la spirale de l' enfoncement, mena le pays à un découragement profond et à des records d'aides sociales diverses.

 

Cette partie de France, si merveilleusement installée dans un landau au matelas douillet et riche saura-t-elle, un jour, faire face à ses prédateurs, et remonter la pente?

 

Deux mille années d'histoire ne démontrent que cela ! Le sommet cache l'abîme, la guerre précède la paix et jamais rien ne s'arrête !

Il faut seulement  garder en mémoire l'extraordinaire richesse de notre terroir, les destinées prodigieuses de tous ceux, cités et oubliés dans ces pages (*), et rêver de châteaux reconstruits et de villages plus confraternels, où l'harmonie municipale viendrait accueillir tous les Européens intéressés par un voyage au coeur du pays qui a fait les rois, la France, l'Europe même, et qui a payé, plus que tout autre, le prix de cette grâce !

                                                                                          *******/span>

 

 

A Saint Quentin, à  Saint Médard, à Saint Rémi, nos Saints Patrons,

A tous les Saints dont on a perdu le nom,

Aux Jeanne d'Arc et d'Albret,

A Norbert, Abélard,

A Charlemagne,

Aux Sires de Ham et Coucy, Merci.

 

                     Et que les serments de Quierzy, d'Henri IV, de Grégoire le Grand

                      et  de celui de Leclerc à Koufra

                      veillent sur les générations futures,

Qui, en voyant le canal, les buttes et la collégiale croiront,

même sans lire,  en l'homme et en son avenir.

 

A Gracchus aussi, Condorcet et Saint Just,

A Crozat , Debeney , Badinguet,

et peut être même à Staline

à condition que ce soit en sourdine !

 

A nos agriculteurs, forgerons, travailleurs,

peintres et musiciens,

à nos chasseurs et pêcheurs,

qu'ils maintiennent la vraie foi

dans ce pays de joies et de pleurs

que j'appelle avec vigueur :

Vermandois !

 

                                                                                          *******                                                                         

(*) que Saint Gilbert, natif du Vermandois, qui porta l'évêché de Meaux aux premières places des grandes paroisses de France, intercède en ma faveur pour tous mes oublis ! Il ne connaîtra pas ce sort injuste, in extremis !

                                                                                     "L'histoire est   le témoin des âges,

                                                                                       la lumière de la vérité,

                                                                                       le trésor de la mémoire,

                                                                                       l'école de la vie,

                                                                                       la messagère du passé."            CICERON