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Raoul le Grand.


Pour certains , l'entrée dans le douzième siècle est à marquer d' une pierre blanche car apparaît pour la première fois la mention de " nation picarde".Les provincialistes extrapolent par analogie l'existence d'un peuple unifié par l'histoire et la culture et prêt pour le sacrifice suprême. Ce peuple serait celui qui nous connaissons aujourd'hui par son parler et sa région. La réalité s'avère,elle, fort éloignée car dépendaient de cette nation les ressortissants de Liège, Maastricht, Amiens, Saint-Quentin, Noyon, Laon, Arras, Tournai mais non les Lillois, ni les Compiégnois, ni les habitants de Beauvais. Elle mérite toutefois considération car c'est le haut degré de civilisation de ce périmètre qui se trouve honoré.

La diffusion de la charrue à socs asymétriques, le collier de trait pour les chevaux, l'assolement triennal ont sculpté nos terroirs et rythmé les années depuis cette date et sans grande modification jusqu' aux années cinquante du vingtième siècle. Les abbayes de la région imprégnées du souvenir des moines irlandais et des exploits carolingiens garderont mémoire de récits légendaires et imaginaires de personnages qui sont souvent présentés comme issus de Haute Bretagne, voire de Grande Bretagne. Tristan et Yseut, le roi Arthur, Lancelot du Lac et la saga du Graal doivent leur merveilleuse existence à un moine érudit de l'abbaye de Saint-Quentin qui rassembla et fit la première rédaction de l'épopée. Ceci n'est guère pour étonner quand on entend le nom même des héros. Ils sont français ou à tout le moins françisés de longue date.
Ces deux composantes de la vie du comté alors qur notre récit n'atteint que la fin des années mille, soulignent la faible distance qui nous séparent de ces temps. L'agriculture est toujours notre richesse et retient par son humus millénaire plus de corbeaux que nulle part ailleurs. Les récits de l'épopée celte inondent nos téléviseurs comme tout les écrans de la terre et nos enfants croient confusément en l'existence de héros dont rares sont ceux qui savent qu'ils sont aussi issus de chez nous. Deux personnages très modernes vont aussi passer prés de chez nous en ces temps : l'un est mal connu bien que fondateur de l'Abbaye de Prémontré et l'autre plus puisqu'il forma avec Héloïse un des premiers couples mythiques : le philosophe Abélard .
Laon, ancienne capitale d'Empire abritait à l'ombre de son évêché une école épiscopale dont les origines remontaient à Charlemagne et qui avait connu des fortunes diverses. Parce que sa librairie, pillée autant que faire se peut par l'administration parisienne, fut absolument prodigieuse, plusieurs ouvrages attestent de l'éclat de l'école : le zéro y apparaît, la musique y est pour la première fois écrite( écriture messine de l'époque de l'évêque Drogon de Metz) bien avant l'écriture grégorienne. Aux alentours de 1100, un de ses écolâtres ( la distinction élèves/enseignants dénaturera l'école plus tard) du nom d'Anselme de Laon fut l'inventeur du zéro et se lança dans un débat qui divisa les "penseurs": la querelle est connue sous le nom de querelle des nominalistes et des réalistes : comme le zéro, une idée est un concept qui peut n'exister que dans l'esprit........
La pensée pouvait traiter de choses imperceptibles et virtuelles. Anselme l'avait pressenti et plus tard Abelard l'amoureux osera défendre l'affirmation . La thèse de ce dernier complète celle d'Anselme et est connue sous le nom de conceptualisme : les idées générales existent comme des conceptions de l'esprit mais ne font pas partie du monde réel. Ce merveilleux philosophe et théologien, après les martyrs de la chrétienté, fut un des premiers persécutés de la science. En 1121 à Soissons , il fut condamné et excommunié pour la première fois. En 1140, à nouveau, le synode auquel participa Saint Bernard de Citeaux le condamna et l'excommunia pour une seconde fois. On sait parce qu'il a écrit lui même sa vie, que son existence fut difficile et pourtant Abélard trouva des protecteurs pendant ses vingt années de galère. Ce monde n'était pas monolithique car les Universités étaient nées. Regrettons à nouveau que la terre picarde n'en hébergeât pas. La "nation picarde" n'existait, en effet, qu'au sein de ces nouvelles entités qui regroupaient en nations les étudiants de chaque grande région.
L'école de Laon manqua donc l'occasion de se muer en Université, alors qu'elle était célèbre pour les matières enseignées : le grec, la musique, la médecine, les mathématiques et quand Abélard y séjourna, la théologie. Elle assurait à l'évêque une réputation d'ouverture intellectuelle et attirait les esprits audacieux. Parmi ceux ci, Norbert était un visionnaire, il s'était violemment opposé aux vélléités de l'empereur germanique Henri II depuis Canossa jusqu' au concile de Worms . Là même, il sera encore plus papiste que ses confrères. Il fut préférable qu'il s'éloignât un peu. Parce qu'il connaissait la réputation de notre évêque Barthélémy, il le sollicita pour venir installer une abbaye et fonder une communauté sur les terres épiscopales. C'est ainsi qu'il fonda l'abbaye et l'ordre de Prémontré en 1121. Là, formé sous la règle de Saint Benoît, de jeunes ecclésiastiques, vont être préparés à l'apostolat dit paroissial. En équipe de deux, ces missionnaires seront affectés aux petites communes rurales et dans les bas quartiers des villes naissantes.
L'ordre des Prémontrés existe toujours et a survécu aux siècles.
Il innovait par le respect des vertus de l'Eglise et l'ardeur missionnaire. Ces principes mettaient en péril les rentes des abbés ; l'abbaye fut plus tard récupéré par les managers et le recrutement de défenseurs du bas peuple freiné. L'idée dut s'exiler . Pourtant, quand, un dimanche matin, viendront sonner à votre porte deux jeunes Mormons à vélo, en cravate et chemise blanche , repensez à Norbert de Prémontré !
Cette époque de diffusion profonde de la foi a laissé pour la postérité un témoignage indiscutable. Aux sources de l'Escaut, se trouve aujourd'hui le village de Bony. Alors que tous nos villages étaient fichés, ce n'était encore qu'une terre en friche qu'un serviteur du mayeur de Saint-Quentin demanda pour s'y retirer du monde et s'y livrer à une vie de retraite religieuse. Garemberg vécut là en état d'absolue pauvreté mais accueillant tous les errants et les malheureux voulant se joindre à lui. Sa communauté devint vite importante mais n'avait pas de prêtre. Parmi les premiers sortis de Prémontré, un jeune prêtre accepta de vivre avec cette communauté misérable. Un village naquit ainsi, avec la charité de nos seigneurs qui n'imposèrent qu' un cens de 12 sous par an pour toutes les terres occupées. Les terres furent labourées, une église construite, une maison de religieuses qui fut transférée plus tard à Macquincourt, Bony devenait pierre vivante. Garembert ne prétendait pas à l'état de clerc défini par le pape Grégoire et par le concile de Latran, et ne fut pas admissible à la canonisation mais fut reconnu bienheureux. Comme Abélard et comme Norbert, Garembert préfigurait une nouvelle race d'hommes, celle d'individus qui seuls, par l' effet de leur seule volonté et action, concrétiseront des idées nouvelles. Dans ce monde, où la spiritualité commençait à agir, et où les communes se constituaient, justement pour pouvoir agir, c'est-à-dire ester comme dit toujours le langage juridique aujourd'hui, Raoul-le-Grand ou le Borgne chercha à servir au mieux son sol et donc, ce qui revenait au même, son image et sa gloire.
Il était fort et bien mis de sa personne et cousin de Louis le Gros, lui aussi de bonne mine, et roi de France. La distinction de Roi était passablement écornée. Philippe Ier avait expérimenté que son onction ne lui évitait pas l'excommunication alors que ses frasques n'étaient pas que dictées par l'amour des belles. Godefroy de Bouillon qui en 1099 avait pris Jérusalem s'était vu proposé le titre de Roi de Jérusalem , l'avait refusé, au grand soulagement des barons et des évêques, se contentant de titre de protecteur du Saint Sépulcre. Etre Roi n'ouvrait plus de crédit et Louis n'était qu'un seigneur d'une principauté très réduite de Senlis à Orléans et coincée de toutes parts, mais c'était sans compter sur Raoul du Vermandois, Capétien par son père et Carolingien par sa mère, dont le domaine était beaucoup plus vaste, comprenant Crépy en Valois, Noyon, Péronne, Saint-Quentin et jusqu'aux terres d'empire du Nord .
En 1111, un vassal du roi de France, Hugues le beau, seigneur de Puiset et lointain cousin de la mère de Raoul du Vermandois se met à rançonner le comté de Chartres. Raoul n'est encore qu'un jeune homme de vingt ans et, avec ses troupes, participe aux escarmouches. A la prise du château de Livry qui verrouille le contournement de Paris, il perd un oeil mais est vainqueur. Hugues sera fait prisonnier et le premier récalcitrant sera éliminé.Le service que venait de rendre le Vermandois à la France méritait une contrepartie. Le départ des croisés laissait des fiefs en certaines mains peu scrupuleuses. Ainsi Enguerrand de Boves devint Seigneur de Coucy en l'usurpant à son seigneur Albéric, puis épousa Alde, qui lui apporta Marle . De Marle à Coucy en passant par La Fère, Laon et les forêts de Saint-Gobain, le domaine formait une pénétrante dans l'axe Saint-Quentin, Péronne et Meaux, Orléans . Thomas dit de Marle car le château de Coucy n'existait pas encore et parce que c'est au château de sa mère qu'il fut élevé, fit partie de la première croisade de 1096 qui après Byzance et Antioche reprit Jérusalem, la ville sainte. Comme Hugues du Vermandois, il revint au pays frustré de ne pas avoir reçu de principauté et déçu du peu de profits d'une si longue expédition. A son retour, il commencera par " tuer " son père et attaqua une terre d'église de l'évêque d'Amiens vers Roye sur Matz. En cette "occasion", il fit périr trente hommes . Comme en cette même époque , Simon du Vermandois, évêque de Noyon commençait l'édification d'Ourscamps confié à l'ordre de Citeaux, il fallait que cette cruauté cesse au plus vite . En 1114, il sera excommunié par un concile de Beauvais et toutes ses terres sur le comté d'Amiens lui seront confisquées. Dans ce climat de compétition vers les bonnes places et en raison des ponctions monétaires occasionnées par les croisades, l'arbitre suprême, la majesté royale manquait terriblement de moyens et ses plus proches soutiens les évêques lui accordèrent un très important coup de main. En 1111, fut instituée la " communauté populaire", rassemblant en milices armées, les serfs d'église, les curés et les clercs sous les bannières paroissiales. La piétaille n'avait pas l'élégance et la technique des chevaliers mais les forgerons, bénis par le clergé, adapteront les lances, les casques et allègeront les épées pour ces soldats d'un nouveau type. C'était une pierre de plus dans le jardin des grands féodaux insoumis et orgueilleux.
Thomas de Marle, mis au ban de l'église et de la chevalerie, chercha appui et finance. Laon, cité phare de l'Occident, n'était pas qu'un temple de connaissances et de lumières. Les conflits d'idées s'exprimaient comme ailleurs. La simonie qui perturbait l'église avait, en la personne de l'évêque de Laon, Gaudry, successeur de Barthélémy, un partisan acharné. C'était un allié tout trouvé. De plus, les habitants de la ville n'étaient pas insensibles aux propos audacieux des nouveaux intellectuels. Ils se révoltèrent, une première fois, en 1115, contre tous les grands : seigneur cruel, évêque simoniaque, prévôt corrompu. Le roi et les communautés populaires vinrent mettre de l'ordre, mais il fallu attendre 1117 pour que le pouvoir concède une charte de libertés aux habitants. Cette paix était nécessaire car Louis le Gros voulait consolider de manière magistrale son pouvoir royal. L'empereur germanique Henri V exerçait une pression intolérable sur la France minuscule où son roi vivait prisonnier. Il n'avait même pas pu être couronné à Reims et l'empereur venait de rappeler ostensiblement son pouvoir sur la Champagne. Le roi convoqua ses fidèles dont Raoul du Vermandois comptait parmi les meilleurs et les milices populaires à Saint- Denis . Avec l'oriflamme de Saint-Denis et les bannières provinciales, la troupe attaqua l'Empereur sur les coteaux de Champagne au cri de "Mont-Joie-Saint-Denis" exprimant en raccourci, la direction à suivre, la conduite à tenir et le signe de ralliement. La victoire sur l'empereur consacra le cri qui devint une formule magique pour les soldats combattants sous la bannière fleur de lysée.
Thomas de Marle, réfugié dans son château de Coucy, restait à éliminer pour éradiquer les vassaux insoumis. La bataille eut lieu en 1130. Les troupes royales, Raoul du Vermandois, Odon II de Ham dit Pied-de-loup entreprirent le siège. On dit que c'est Raoul qui blessa gravement Thomas. La charité imposait de ne pas achever un chevalier, il fut fait prisonnier et acheminé à l'école de médecine de Laon. La médecine du temps se chargea d'abréger sa survie.
Le seigneur du Vermandois, qui résidait le plus souvent à Péronne et souvent à Crépy en Valois, n'avait plus grand chose à craindre et son roi non plus. Les normands, les Flamands, et beaucoup d'autres puissances attendaient sans doute leur heure mais Louis avait nommé Raoul comme sénéchal de France et les autres avaient vite compris qu'il valait mieux se tenir coi.
L' aura royale reprenait des couleurs. Louis fit venir le pape Innocent II pour sacrer son fils Louis VII le jeune. Innocent II séjourna à Crépy au château de Raoul. Il y rencontra donc l'épouse de notre seigneur, du moins sa dernière Adélaide de Guyenne qui était la propre soeur du Roi. Le Vermandois était bien alors l'ainée des filles de France et lorsque le roi repartit en croisade, il confia son armée à Raoul, c'était bien la plus grande marque de confiance qu'il pouvait donner à celui qui avait perdu un oeil pour lui.
Raoul et le roi Louis VI sont peu évoqués dans l'histoire officielle qui se contente d'insister sur la faiblesse de la France face aux puissances montantes que sont l'Angleterre, l'Allemagne et l'Espagne. Mais s'appuyant sur une population cultivée, des milices populaires et une grande confiance dans la vaillance physique de ses chefs, la monarchie et la France n'étaient pas affaiblies. Innocent II, qui n'était pas naïf , l'avait pressenti . La France savait, comme le Phénix, renaître de ses cendres.




Raoul II et Philippe d'Alsace.



Deux siècles après l'époque héroïque où Herbert II, sire du Vermandois séquestrait l'empereur Charles III, la famille avait des liens avec les plus grandes lignées de l'Europe. Les fils de ce seigneur avaient recueilli des terres proches , Troyes, Meaux, Châlons, Beaune, Amiens et Hugues, l'évêché de Reims. Ce prolifique seigneur, me direz-vous, devait avoir aussi des filles ?.
Deux, en effet, vécurent. Alix épousa Arnoul Ier le Grand, Comte des Flandres qui gouverna cette importante province voisine de 918 à 964 et fut l'une des mères de cette importante lignée. La seconde fille ne se maria pas au loin, non plus, mais opta pour les rives ensoleillées de la Loire. Elle épousa Thibaud Ier, comte de Tours, Blois et Chartres. Sa descendance dut garder une nostalgie des provinces du septentrion et s'employa à remonter vers la Champagne au grand déplaisir du roi de France. Quoi qu'il en soit, son arrière petit fils Thibaud III récupéra la Champagne, tout en mariant son fils à la fille de Guillaume le conquérant. Leutrade figurait comme ancêtre vénérable pour la Champagne et l'Angleterre. En regardant la carte, apparaît une géopolitique d'alliances complexes déjà très raffinée et assez équilibrée. La puissance de la Champagne, ses liens avec l'Angleterre et plus tard avec la Navarre confirmaient une richesse bien connue de nos prédécesseurs. Plus nouvelle était celle des Flandres. Cette province humide, fangeuse et venteuse semblait profiter avec retard des premières abbayes riches de Saint-Riquier, Therouanne et Saint-Omer et commençait seulement à développer de manière intensive, l'élevage du mouton et de l'orge à bière. Ces productions de pays pauvre trouvèrent un socle propice lorsque, après Hastings et la conquête de l'Angleterre, les grandes voies commerciales se mirent à traverser ce plat pays.
Pour réussir le décollage économique, les comtes des Flandres s'appuyèrent sur l'église, le commerce et l'artisanat. Le plus fameux de ces comtes fut Baudouin V de Lille. La métropole du Nord, capitale des Flandres pendant un millénaire fut , en effet, sa création. Il s'était rendu compte que son pays, tiré vers le Vermandois riche au sud-est, l'était aussi au nord-ouest par ses échanges vers l'Angleterre. Il craignait, à terme, la bipolarisation et imagina de construire sa capitale à mi chemin de ces deux aimants. Lille n'était qu'un marécage et Baudouin en fit don à une communauté ecclésiastique avec charge d'installer un lieu de culte et une zone quasiment franche pour les négociants et artisans qui voudraient s'implanter. L'idée, on le sait, réussira et la province en sortira renforcée. Il y a même fort à parier que ce libéralisme d'entrepreneur d'état ait marqué de manière indélébile les populations flamandes au plan de l'audace commerciale et de l'esprit d'entreprise. Les grands, dans le Vermandois, comme en Flandres, n'étaient pas que des vassaux insoumis et rebelles à l'autorité royale comme cherche à le faire croire l'histoire de France. Ce furent aussi des administrateurs attentifs et inspirés, souvent très appréciés du peuple. Le visionnaire Baudouin de Lille eut deux enfants : l'aîné hérita du Hainaut et du prénom qui sera porté six générations de suite et est devenu le prénom de prédilection de la monarchie belge, le cadet eut la Flandre et la Frise , cette province riveraine du "Vater Rhein" dont la partie la plus originale traverse la plaine d'Alsace.
La liaison fluviale deviendra aussi familiale lorsque Robert Ier mariera sa fille Gertrude à Thierry d'Alsace qui deviendra comte des Flandres en 1128. La famille d'Alsace comptait parmi les grandes références de la Chrétienté : Sainte Odile avait déjà son pélerinage et était invoquée pour toutes les maladies des Yeux , Saint Bruno, vers l'an mille, canonisé avait été pape sous le nom de Léon. Aussi Gertrude se confia à son mari en bonne chrétienne, sûre de la foi de son époux. Celui-ci fut, en effet, un époux modèle et le couple eut deux enfants: Philippe Ier dit d'Alsace et Marguerite d'Alsace.
Philippe , superbe parti, épousera la fille aînée de Raoul-le-Grand, sénéchal du royaume, chef de l'armée. Le mariage eut certainement lieu à Péronne ou à Noyon et les réjouissances furent certainement nombreuses, même pour le petit peuple qui n'était jamais oublié dans les sacrements chrétiens. Une ombre, cependant, obligea toute l'assistance à un peu de retenue, et la raison du peu de relation de l'évènement vient sans doute de là. Lors de son mariage, Elisabeth, bien que l'aînée ne pouvait que souffrir en silence de la maladie de son frère Raoul II. Affligé d'une maladie depuis son jeune âge, il végéta et mourut à 17 ans. L'historien Henri Martin, fils de Saint-Quentin rapporte que la ferme de Saint-Ladre, située au foubourg d'Isle est sise sur l'emplacement d'une léproserie, fondée vers l'époque de Raoul. La lèpre faisait sa première apparition dans notre histoire peu marquée par les maladies jusque là. Les vieux dictionnaires prétendent qu'elle fit son apparition en France avec l'invasion romaine. La Gaule de l'époque était un vaste territoire que seuls des soldats de constitution robuste parvenaient à traverser au pas du légionnaire de ses régions sud jusqu'aux nôtres, aussi le fléau s'éteignit de lui-même sous les rigueurs du climat. Les croisades avaient été beaucoup plus perfides car les hommes et les chevaux ignoraient tout des risques des voyages lointains et parce qu'il ressortait du devoir de la chevalerie de ramener un malade, même agonisant, jusqu'à sa terre natale, la lèpre tuberculeuse arriva tout soudain sur les citoyens du 12ème siècle alors que le soldat romain, qui subissait les premières faiblesses, était laissé au bord du chemin avec un viatique pour revoir le soleil et y mourir. Plusieurs sites à La Fère, Péronne, Noyon, Saint-Quentin, et même dans de petits villages remémorent ce terrible fléau qui frappa fortement les populations et instilla dans les esprits que la terre sainte n'était pas si saine que cela. Un mouvement de solidarité naquit à la suite de cet avant-goût de peste qui avec l'épidémie terrible marqua un tournant dans l'histoire du monde. L'expression de " tournant de l'histoire" ne peut être utilisée qu' avec parcimonie car son contenu relève du subjectif, pourtant, dans cette avancée de l'humanité qui habitait dans nos maisons et chassait sur nos terres, un paramètre va changer : les purs peuvent revenir impurs, les francs rentrer souillés et affaiblis, nos bannières devenir des linceuls.
Le Roi Renaud de guerre revint..........
Alors que l'épopée carolingienne assimile la défaite de Roncevaux avec panache, aucun texte épique ne parlera d'Antioche et de Jérusalem.
Seule, la nation juive continuera à souhaiter chaque année de se revoir à Sion. Les Chrétiens d'ici verront chaque jour les lépreux et se mettront bien en tête de passer au loin .... le plus possible.
Une très petite minorité, malgré la laideur, la puanteur et le péché, combattra le devoir d'exclusion de ces ci-devant croisés mis en croix par eux mêmes. Cette charité semblera se mettre en place très lentement. Et pourtant, dans les régions reculées du monde d'aujourd'hui où sévit encore cette maladie aisément guérissable, l'organisation la mieux structurée et la plus présente est bien l'Ordre des Chevaliers de Malte.
Les premières léproseries s'avèreront des mouroirs pour beaucoup de détracteurs pendant de longs siècles d'obscurantisme. On peut aussi avoir une vision positive de ces premières tentatives de gestion de ce qu' il faut bien qualifier de vrai défi aux religions, aux sociétés, à tous et trouver admirable que la solidarité ouvrait spontanément des restos du coeur avec toit pour la nuit, à des époques que nos écoliers croient caractérisées par l'exploitation de seigneurs riches et en bonne santé sur des serfs, endettés et malades. Raoul II ne décéda pas au terme d'une longue vie, d'excès et de méchancetés, il eut en partage la léproserie et connut la réclusion pour mourir à 17 ans.
C'est sa soeur ainée Elisabeth, qui récupéra la seigneurie de Péronne et du Vermandois et, étant marié au Flamand Philippe d'Alsace, ce dernier devint le chef de nos cités, terres et forêts, de nos églises et de nos châteaux. Cette transition s'effectuait en l'an 1167. Elisabeth n'aura pas d'enfant et à sa mort, le fief revint à sa soeur Eléonore. Celle-ci sera aussi sans descendance, si bien que les descendants de Philippe d'Alsace revendiquèrent le Vermandois. Dans cette requête légitime, le propre filleul de Philippe d'Alsace avait des prétentions. Après tout, il tenait de son parrain son prénom Philippe et de l'origine de Saint-Quentin, son surnom, Auguste.
     

Philippe Auguste troublera un peu la dévolution entre les familles directes, en bafouant sans doute le respect qu'il devait à celui qui fut, pendant son enfance, son tuteur moral, mais il avait assimilé une leçon : le Roi a d'abord besoin d'une assise sûre, de soldats, d'agriculteurs, de chevaux, de blés, d'épées et des forteresses existantes. En annexant le Vermandois aux terres royales d'Ile de France, le roi commettait une fellonie mais il n'aimait guère ses cousins flamands, ni personne et Philippe était de la trempe de Jules César, calculateur et politique. Il achetait une région prospère en promettant simplement de maintenir les droits et privilèges des communes et communautés. La frontière avec les terres d'Empire, le fort de Péronne, celui d'Athies, les abbayes et le fisc annuel comportaient quelques atouts. La France assimilait notre comté qui devenait terre du Royaume et nous, ses habitants, prenions la nationalité françoise . Jusqu'à la Révolution, les rois de France respecteront les écrits d'avant. Six siècles durant, le charte de Saint-Quentin sera l'écrit constitutif des habitants de la commune, relisons-le ici dans sa version confirmative de Philippe Auguste :

I:- Sachent ceux présents et à venir que nous avons accordé et fait jurer en notre nom de garder et de maintenir inviolablement dès que le comté du Vermandois sera en notre possession, les us et coutumes dont les habitants de Saint-Quentin jouissaient du temps de Raoul et de ses prédécesseurs sans préjudice néanmoins de l'obéissance et délité qui nous est due comme souverain et du respect qui est dû à l'Eglise de Saint-Quentin comme épiscopale et à cause de sa juridiction de chrétienté.

II:-De même tous les pairs du Vermandois et grands personnages du Comté ont juré de l'observer, les clercs, sauf le privilège de leur ordre, les chevaliers, sauf le fidélité due au comte comme souverain.

III:- Les habitants de la commune ont la liberté de leurs biens ; aucune réclamation ne peut être faite si ce n'est par jugement des échevins...

VI:-La commune ne pourra exercer la justice hors de la banlieue, mais dans ses limites, elle l'exercera telle qu'elle le devra...

VII:- Si un étranger ayant commis un meurtre, un vol ou un rapt, se réfugie dans la ville, il pourra être arrêté par notre officier de justice en quelque lieu de la ville qu'il soit.

VIII:- Un étranger peut se faire incorporer dans la commune à moins qu'il ne soit de nos hommes ou serfs.

IX:- Nos francs hommes pourront s'établir dans la commune, sauf à payer, au seigneur abandonné, le droit personnel, ou par ceux qui ne sont pas attachés à la glèbe.

XI:- Un délit constaté et dont la plainte est faite en présence des mayeurs et jurés, entraîne la démolition de la maison du malfaiteur ou le rachat si les mayeurs et les échevins le veulent ; la rançon est employée à entretenir les fortifications de la ville.

XIV:- Si quelqu'un forfait à la commune, le mayeur peut le sommer de paraître en justice ; s'il ne se présente pas, il peut être banni ; et sa maison démolie, même dans la banlieue par les mayeurs et les gens de la ville.

XV:- Tout habitant peut être cité partout où il est rencontré seulement de jour. Si quelqu'un meurt, possédant quelque tenure, le mayeur et les jurés doivent mettre aussitôt les héritiers en possession ; ensuite, s'il y a procès, la cause sera débattue.

XVI:- Tous les procès doivent se terminer dans l'enceinte de la ville de Saint Quentin.

XXIV:-Il sera payé pour l'entretien des chaussées de la ville, une obole par voiture de 2 chevaux non ferrés, et un denier quand ils seront ferrés; le double pour une voiture de quatre chevaux.

XXV:- Un homme étranger est sauf de ce qu'il apporte; mais ce qu'il laisse appartient au seigneur délaissé pourvu qu'il en ait disposé comme il doit à son seigneur...

XXXVIII:- Au premier ordre, la commune se rendra à notre armée; ceux en armes ne seront tenus de comparaître en justice depuis l'ordre donné.

XlV:- Nous ne pouvons ordonner la refonte des monnaies sans le consentement du mayeur et des jurés.

LVII:-Nous ne pouvons mettre ni bans, ni assises de deniers sur les propriétés des bourgeois.

LIX:-Les gens de la ville peuvent moudre leur blé et cuire le pain où ils le veulent.

LX:-Le mayeur et les jurés peuvent, s'ils ont besoin d'argent pour la ville, lever un impôt sur les héritages et l'avoir des bourgeois et sur toutes les ventes et profits en ville.


Ce texte anticipe toutes les chartes qui fleuriront alentour : Reims en 1139, Amiens, Compiègne, Noyon et le Vermandois, dont la commune de Saint-Quentin devenait le phare en inaugurant l'ère nouvelle. Celle-ci a produit les cathédrales gothiques, les forts et châteaux et les joyaux de notre civilisation. Dans l'arrière plan de cette réussite, travaillaient les paysans depuis toujours, les clercs, maintenant astreints au célibat et à la pauvreté, des villageois soucieux de respect, des étrangers nombreux dont notre charte rappelle l'existence. L'homme n'accède pas, comme dans le mécanisme révolutionnaire, au pouvoir. Il offre sa force de travail, se voit reconnaître les droits sur les fruits de ses entreprises et donne en gage, pour ses actions, sa maison. Ce contrat qui donnait comme sécurité, pour tous, les propres biens de nos parents aura une singulière destinée puisque toutes les pierres dressées du pays seront jetées au sol autant par des envahisseurs que par des alliés. Nos pères admettaient cette sanction au nom de la justice.........
L'auraient-ils supportée de causes injustes ?





Bouvines, le XIIème Siècle.



S'étirant sur près d'un millénaire, le moyen-âge demeure toujours une pomme de discorde au sein de la communauté nationale. Encore aujourd'hui, le clivage politique se trace entre ceux qui, héritiers de Jules Ferry, considèrent cette époque comme un long calvaire et les héritiers de Michelet qui y voit notre âge d'or. Quelque chose de notre culture baigne dans une appréciation inconsciente et déterminante, déchirant, à tout jamais, notre communauté en deux. L'ignorance, comme le disait déjà Pascal, est la chose la mieux partagée car cette longue période recèle autant de sublime que d'infâme, autant d'admirable que de détestable et pourtant les présentations les plus objectives ne rallieront jamais les opinions des adeptes des deux camps. L'idéologie, qui est une manière dogmatique de parler de l'histoire semble, aussi, être née en ces temps obscurs et y avoir laissé son empreinte.
"Bon fut le siècle, au temps des anciens,
on y trouvait foi, justice et amour
croyance aussi, dont il reste bien peu ;
et si changé, perdu a sa valeur.......
De tout en tout se vont affaiblissant;
la foi du siècle va tout défaillant ;
Frêle est la vie, ne durera longtemps. "


Les premiers poèmes de la langue française portent aussi le sceau d'une certaine nostalgie historique. En ce milieu du douzième, ce texte annonce déjà cette sinistrose que certains croient être un mal moderne et hexagonal. Il porte le poinçon de ce fond de morosité que les Celtes ont, paraît-il, légué aux habitants de notre pays mais révèle des préoccupations nouvelles. Le consensus va s'étiolant et la coupure se dessine. Les chevaliers, seigneurs, chrétiens d'observance et de façade, recherchent dans les querelles une justification à leur privilège de porter les armes. Les serfs accèdent au statut de manant qui n'est que la liberté de fuir, si les choses tournent mal. Rien de plus ne leur sera alloué par la religion du salut. L'Eglise, dans ce monde qui va construire le Mont-Saint-Michel, les cathédrales d'Amiens, Reims, Noyon, Soissons, Beauvais, Paris, Chartres, devient malade. La vision du monde ne sera plus unanimiste. Le Gaulois, robuste, franc et paillard donnera une progéniture faite de pessimistes, frileux, épargnants, administrés et aussi de sceptiques, pragmatiques, rebelles. Heureusement, l'héritage était colossal et les trois cents fromages existaient déjà....... rendant le Français, à tout jamais, difficile à comprendre pour un étranger.
La France, n'existait pas encore, me direz-vous !
Le domaine royal, hérité par Louis VII, n'était qu'une langue étroite de terres allant de Noyon à Orléans, surnageant au dessus de domaines beaucoup plus étendus à la manière d'une île. Son père avait ferraillé ferme avec l'appui du comte du Vermandois, pour éloigner Marle et Puiset qui menaçaient Laon et Troyes. Louis VII, parce que l'Angleterre, la Normandie, l'Aquitaine sont devenues les provinces riches, est marié avant la mort de son père à Aliénor d'Aquitaine. Pour la jeune fille, c'est presqu'une mésalliance. Le roi de France est un rustaud marié à une bordelaise. Paris est un cloaque alors que Saint-Emilion a été chanté par le poète latin Ausone, et fournit le meilleur vin du monde et les esprits les plus subtils.
Ce sera le début tragique d'une saga infernale. Le mariage durera de 1137 à 1152, années pendant lesquelles le jeune roi aura plus à faire qu'à s'occuper de sa diablesse de femme. Mais Louis est un pieux, prompt à l'assaut mais pas bon au lit. Il combattra d'abord Etienne de Blois qui était le successeur de la couronne anglaise pour remettre la Normandie au duc d'Anjou, Henri Plantagenêts d'Angers. Puis, sur l'insistance de saint Bernard, il rejoindra la grande Croisade avec Conrad d'Allemagne. Ce qui aurait dû être une promenade en pays conquis, butera sur la perfidie des Grecs, pourtant chrétiens, et sur le constat d'adultère d'Aliénor, sans doute les chaleurs d'Orient ! Louis sera trop bon, car au concile de Beaugency sur Loire, il est pressé d'en finir avec cette galante et pour faire annuler son mariage plus rapidement, il accepte de restituer à la dame de Bordeaux ses comtés de Guyenne et Poitou, un bon quart du pays en somme. Ce divorce à l'amiable fut, vraisemblablement, forcé car la dame placera son existence postérieure sous le signe de la vengeance et de la haine féminine.
Elle épousera Henri II Plantagenêts et le servira fidèlement comme souveraine d'Angleterre toutes les fois qu'il faudra pour rabaisser le roitelet naïf. Dans cette lutte, ses propres enfants seront aussi retors qu'elle, ce qui fera la matière de nombreux romans anglais qui aiment, par dessus tout, les intrigues fourbes et perfides et du théâtre shakespearien dont l'objectif sera de démontrer la suprématie des Anglais sur leurs ennemis, quels que soient les moyens. Louis aura finalement un fils d'Adèle de Champagne dont le parrain sera le seigneur du Vermandois. Philippe Auguste, à quinze ans, contre l'avis de sa mère, épouse une certaine Isabeau du Hainault, âgée de treize ans . Philippe d'Alsace, son parrain, avait-il manigancé l'affaire ? Certainement, mais le filleul lié par tous les liens possibles ne sera pas docile longtemps. Philippe Auguste, selon une disposition fréquente, n'imitera pas son père et s'inspirera du souvenir de son aïeul : Louis le Gros. Comme lui, il partira petit et n'aura aucun des gestes charitables de son père. Le peut-il, pris dans sa souricière, et pressé par le clergé à faire comme les autres un tour à Jérusalem ?
Son action sera toute pragmatique mais sans état d'âme. Le parrain, comte du Vermandois, est aussi son tuteur et le chef des armées..Pareille tutelle risquait de briser l'échine de la monarchie. Le Capétien connaît le talon d'Achille de Philippe d'Alsace : comte-pair de France, sans descendance. Vite, Philippe Auguste revendique le Vermandois et l'Artois et mobilise son ost, les milices religieuses et les communes, c'est que son assise militaire est large. Il encercle Paris avec toutes ses troupes. La manoeuvre est d'essence politique car Paris n'est pas hostile au roi mais les observateurs voient bien l' ultima ratio. La commune de Paris va tomber dans les mains du roi et grossir considérablement les effectifs armés. Aucun des féodaux alentour ne pourrait contrer la marée de la piétaille et Philippe, l'Alsacien des Flandres, est trop proche du suzerain, de plus, il meurt opportunément en Palestine en 1191. Pour plier honorablement, une médiation menée par le roi d'Angleterre, Henri II Plantagenêts et le légat du pape reconnaît Bohain, Saint-Quentin et Péronne et Ham au roi, son vivant durant. Mais, notre sire, Eléonore, dernière fille de Raoul mourra en 1214 sans enfant. Philippe Auguste annexera à cette date notre région au domaine royal sous administration d'un bailli. La terre à fisc tombait depuis 1191 à pic car notre petit roi voulait faire honneur à son rang. Faire la troisième croisade avec Richard coeur de Lion et Frédéric Barberousse était un challenge ruineux, bien qu'il ait fait précéder l'enrôlement d'un nouvel impôt : la dîme sarrazine. Le roi de France se sortira honorablement de la confrontation mais tirera mieux la leçon: les croisades ne servent à rien ; les Anglais comme les Allemands sont des fastueux alors que lui n'a que le moyen d'être vertueux et habile.
En butte avec Richard au coeur de Lion, avec Jean sans terre, Baudouin des Flandres, l'empereur, tous seigneurs de larges contrées, l'art du roi de France sera de lutter sans arrêt mais sans provoquer la coalition des ennemis-confrères et de s'appuyer non sur ses vassaux mais principalement sur les milices religieuses et des cités libres.
La multiplication des chartes a aussi ce petit côté pratique. La vertu pratiquée préfigure la " raison d'Etat " et l' exercice de la monarchie au sens plein. Les tours du château de Péronne seront multipliées, la dîme très scrupuleusement perçue, les évêques français respectés. Lorsque Baudouin des Flandres envahira l'Artois, Philippe contre-attaquera mais comprendra vite qu'il vaut mieux céder et pactiser. La seule vertu que ce roi n'aura pas, montre à quel point la tutelle de Rome importait dans ces temps. En 1199, Philippe II épouse Agnès, la fille du Duc de Moravie, après avoir répudié Gelberge, soeur du roi du Danemark. Fait sans respect des formes et des usages, le pape n'autorise pas le mariage et jette l'interdit sur le domaine royal. Tous les clercs se trouvent, dès lors, en situation d'insoumission: ni prière, ni dîme, ni messe, le roi est nu. La situation durera 8 mois et finalement, est-ce la raison ou le démon de midi ?, Philippe rappellera Gelberge à ses fonctions. L'anguille royale saura aussi faire de l'extorsion de fonds sur la communauté juive, des marchandages avec les grands, mille petites et grandes vilenies et restera pourtant pour toujours le vainqueur de Bouvines. A force de lutter contre tous séparément et de se mettre à dos l'arbitre suprême en robe papale blanche, Philippe le combattant attisera l'union sacrée de ses ennemis. Ainsi Jean Sans Terre coalisera l'Empereur germanique Othon, le Comte de Boulogne, les Anglais et toutes les troupes fidèles aux Plantagenêts pour aider Baudouin des Flandres que le roi de France déteste cordialement pour avoir échoué contre lui dans sa première tentative en Artois. L'affrontement eut lieu à Bouvines en 1214.
La victoire, indécise jusqu'à la fin, et lieu de faits d'armes légendaires puisque l'étendard allemand y fut volé par les Français, constitue pour l'ensemble des historiens l'acte de naissance de la nation française. Les troupes royales rassembleront les seigneurs et leurs troupes mais surtout les milices communales et c'est bien d'elles que jaillira la force du triomphe. Or, les communes et les grandes abbayes disposant d'une troupe ne sont guère nombreuses dans le pays étriqué d'île de France. Orléans, Paris, Meaux, Rouen et une partie de la Normandie qui viennent de rallier depuis peu le domaine, et dans cette liste pèseront , encore une fois, lourds Compiègne,Soissons, Laon, Reims et tout le Vermandois. Pour les habitants proches du lieu de bataille, la motivation était double: Philippe était leur seigneur, les coalisés se réclamaient de Charlemagne et de l'église de Rome mais oubliaient l' histoire.
La milice de Saint-Quentin comprenait Gérard de la Truie, qui perça le cheval de l'empereur et Wallon de Montigny à qui fut confié l'oriflamme de Saint-Denis. Bouvines n'aurait pas été possible sans cette foi inexplicable d'un peuple qui portait une espérance. Le roi récompensa la région en y mettant en prison le comte de Salisbury, frère du roi d'Angleterre, ce qui revenait à promettre à la ville et à son clergé, le revenu de la rançon attendue.
Le règne de Philippe Auguste ne finira pas avec la victoire de Bouvines mais nous ferons une halte en cette année 1214, après 34 années de règne et presqu'autant d'incorporation du Vermandois dans le domaine royal. L'inventaire de ces quelques décennies confond tous les économistes et les analystes: les cathédrales gothiques se mettront à pousser avec leurs clochers vertigineux et leurs rosaces admirables, un peu en contrebas, des beffrois symboliseront une structure nouvelle, à l'écart, les seigneurs soucieux d'efficacité seront moins audacieux en architecture mais placeront sur chaque butte un fort plus ou moins grossier mais toujours imprenable.
La littérature et la musique laisseront moins de traces visibles et pourtant formeront le véritable terreau de notre culture. Cette évocation dithyrambique oublie qu'il a fallu parfois plus d'un siècle pour finir les gargouilles, les mâchicoulis, et les carillons des campaniles et que la France, à la disparition de Philippe Auguste, ne comptait que peu des monuments que nous admirons aujourd'hui, le dénombrement pourtant nous le prouve :la majorité de ces oeuvres admirables germeront dans les esprits et se préfigureront dans la pierre en quelques courtes années.
Avec des croisades multiples, des batailles parfois féroces des grands, des problèmes insolubles de dévolution, les Francs vont devenir maçons et construire des merveilles, comme si tous les troubles du monde n'étaient rien que des motifs risibles à caricaturer dans les voussures de pierre et que la vie humaine au service de l'esprit donnait un sens à tout, jusqu'à la matière. Il faut regarder les cathédrales en oubliant toutes les balivernes que les éducateurs et même les curés diffusent et toujours considérer le travail des bâtisseurs et le rôle de la pierre d'angle. La plus profonde sagesse réside dans la boutade du graveur de pierre à qui l'on demandait ce qu'il faisait.
L'un répondit qu'il travaillait la pierre, l'autre, qu'il gagnait son pain et le dernier dit qu'il construisait une cathédrale !
Toutes nos vies hésitent entre ces trois options. Nos prédécesseurs nous donnent une réponse éclatante: ni le travail, ni l'argent ne sont des fins, jamais, nulle part !






Les croisades, les Cathédrales, les écrivains, les sciences .


Notre cheminement dans l'histoire est un exercice littéraire que le cinéma et l'imagerie virtuelle enrichissent pour peu que le lecteur fasse la plongée dans la re-création du passé. En arrière-plan, les lignes du paysage sont les mêmes que celles que nous voyons tous les jours. Au premier-plan, à l'exception des silos, ce sont les églises qui invitent à l'entrée concrète dans les 12 et 13 èmes siècles. La majorité de ces bâtiments sont de reconstruction récente mais les volumes sont proches de ceux des bâtisses des siècles anciens. Rares sont les hommes qui justifient et défendent de tels édifices pour la société contemporaine ! Ce doit être un pied de nez d' ancêtres espiègles, car, comme Nostradamus fera des prédictions ésotériques jusqu'à nos années de fin du 20ème siècle, les églises ne peuvent pas avoir été érigées pour un autre but que de nous intriguer encore et toujours.
A la basilique de Saint-Quentin, sur le sol, un labyrinthe force l'oeil à chercher l'issue d'un entrelacs inextricable. Les rosaces ne se retrouvent nulle part sur les façades des maisons à colombages, sur les beffrois et sur aucun palais latin ou grec. L'aventure de l'architecture est indissociable des croisades car elle donne à la spiritualité de l'époque une dimension verticale en compensation d'une dimension horizontale entravée.
Après la première croisade de Bernard l'Ermite, notre concitoyen picard, la seconde rassembla en 1147 le roi de France et l'empereur d'Allemagne. La troisième conduisit notre sire Philippe Auguste, Richard Coeur de Lion et Frédéric Barberousse , certes, à Jérusalem, mais aussi à se détester dès le retour.. En 1202, l'Empereur d'Allemagne partira avec ses seigneurs sous la pressante recommandation du pape qui veut éloigner Henri IV des tentations des investitures . En 1212, l'Europe centrale fraîchement christianisée se joindra au convoi.
Cette même année, partira de la Somme ou de l'Oise la croisade des enfants. Les légendes racontent que des enfants partirent en bandes vers la terre sainte et furent pris par les barbaresques et vendus comme esclaves. Certains pensent que la cohorte se disloqua bien avant d'atteindre les côtes de la Méditerranée. La fin de cette pieuse aventure dut toutefois toucher les esprits car les énergies se démultiplieront sur notre sol non plus pour partir mais bien pour fixer Dieu chez nous.
Et Dieu est lumière...
Pour que les églises cessent d'être des forts obscurs, la lumière devra traverser la pierre et transpercer la muraille. La rosace s'imposait à l'architecte et petit à petit va entraîner un formidable pas en avant des bâtisseurs. La première rosace apparut sur la basilique des rois à Saint Denis vers 1144. L'arc était encore en plein cintre, roman. Saint Rémi de Reims aura la sienne en 1162. A Noyon, la rosace apparaîtra en 1186, à Laon en 1223, enfin à Notre Dame de Paris en 1245. La rosace ne figurait au départ que sur la façade mais l'effet magique l'attirera vite près du transept, de même qu'il faudra la placer toujours plus haut. L'histoire des cathédrales gothiques est bien celle d'un pari fou qui s'achèvera à Beauvais et à Strasbourg. Pour monter, la voûte deviendra ogive et l'arc gothique sera de plus en plus pointu.
Les cathédrales de France naîtront ainsi de l'exaltation des évêques, de la richesse des trésoreries des chapitres, et des risques du pèlerinage lointain. L'épopée du gothique à arc brisé commence à Chartres, Reims, Saint-Quentin , Amiens vers les années 1210. Les constructions dureront de 20 à 50 années. Celle de Beauvais sera achevée en 1272, mais les parties hautes s'effondreront peu après ( 1284).
L' avertissement fut sévère et bien d'autres inquiétudes occupaient le monde et les évêchés. La dynastie capétienne directe vivait ses dernières années et l'Eglise était atteinte d'un mal terrible, qui va la discréditer, depuis l'institution de l'inquisition en 1194.Pourtant de ce siècle, commencé par le triomphe de nos milices à Bouvines et qui fera sortir de terre la basilique de Saint-Quentin, nous retiendrons cette journée de 1257, où Saint Louis viendra à Saint-Quentin inaugurer la collégiale que nous voyons encore aujourd'hui de toutes les buttes dominantes de la région. On dit qu'il séjourna plusieurs jours, heureux de pouvoir prier son saint patron. Mais quel était donc le saint patron d'un saint lui-même : Quentin, Clovis, Cassien ou Victorice ? Ces deux derniers furent transportés dans la crypte de la cathédrale, ce même jour. Clovis n'accéda pas à la canonisation qui fut accordée à Clotilde mais pour les rois de France, il était bien le saint patron et Saint- Quentin était le lieu mythique de la terre de France où ce fondateur, en passant, avait changé le monde avec l'aide de saint Médard et de saint Rémi.
Les rois n'entretenaient pas une vénération du passé en marge des bulles du Pape pour rien : la foi dans ses propres convictions est, plus que tout autre, l'apanage des peuples libres et des monarques éclairés. La course au gigantisme qui élèvera la voûte de 35 m à Paris, à 37.95 à Reims, 42.30 à Amiens et 48 à Beauvais gratifiera le Vermandois d'un très honorable 43 m, mais quels furent les vestiges des croisades, me direz-vous ?
Aujourd' hui encore, le pèlerinage du diocèse est à Liesse. On y vénère une statuette de vierge mauresque à l'origine douteuse. Sans mettre en question la foi des pèlerins, cette vénération ne s'explique que par le traumatisme subi par les chrétiens du temps et par une habile récupération de l'Eglise : sans mettre en danger les récoltes, les dîmes et décimes et toutes les corvées et taxes, Liesse se substituait à une promenade hasardeuse qui ne rapportait rien !
Parmi d'autres vestiges, nous mentionnons aussi le village de Frières-Faillouel. Frières est la forme françisée de fratrie et rappelle que le lieu fut crée par des frères pèlerins revenus au pays après de nombreuses années et souhaitant vivre en communauté. Leur maison deviendra un village. Mais la Palestine et le ciel sont loin, alors que deux nouveaux dragons pointent le nez tout près. Ceux-là nous accompagneront maintenant en permanence : l'Angleterre et l'Allemagne. Parce qu'elle fut notre première ennemie et parce que la brouille fut une histoire de femme, la méfiance a toujours dominé dans les rapports entre les deux peuples. La "perfide Albion" sera toujours ce peuple incapable de parler notre langue, jaloux et joueur qui posera problème et placera Gisors aux portes de Paris . Après Aliénor d'Aquitaine qui changera de lit royal, Philippe Auguste et les milices du Vermandois tenaient par la victoire de Bouvines d'une part un droit de suite et, de l'autre, un otage en la personne du frère du roi. Sur le continent , les Plantagenets, c'est à dire Jean Sans Terre, puisque Richard Coeur de Lion est mort, avaient déjà essuyé une défaite en voulant conquérir le Poitou que Louis VIII le Lion encore prince héritier reprendra. Avec Bouvines, la coupe sera pleine et les barons anglais, las des querelles continentales demanderont la "grande Charte", copie dénaturée de celles des cités de chez nous. Les barons voulaient surtout ne pas avoir à traverser le "Chanel " pour des vétilles et revendiquaient, sur le continent, les fruits du pillage.
Mécontents, les barons appelleront Louis de France pour le faire Roi . En 1217, Louis a hâte de régner et il saute sur l'occasion comme sur le premier bateau. Londres, les barons et les petites anglaises, à l'instar d'aujourd'hui, ne méritaient qu'une courte visite. Il repassa en France pour l'hiver et aussitôt, une révolution de palais réinstalla Henri III, fils de Jean Sans Terre. Aux premières tulipes, Louis repart conquérir sa couronne mais tombe dans un guet-apens.
Le jeune Henri III réfléchit : réclamer une rançon, c'est provoquer la France et déclarer la guerre que les barons ne veulent pas. Ne pas la réclamer, ne serait pas anglais ! Finalement, averti de la faiblesse des finances françaises, il accordera à Louis une prime de départ de 10000 marcs d'or. Louis le Lion acceptera le cadeau et quittera les rives insalubres de la Tamise. Dans le calcul du Français, il y avait le projet tacite de renflouer la caisse pour reprendre les domaines des Plantagenet en France. Des acquisitions d'abord, Boulogne, Montreuil, Clermont en Beauvaisis puis des batailles vont réapparaître : Chinon, Fougères, Saintes. A cette dernière, en 1242, le roi d'Angleterre va perdre son trésor et Louis IX faire la bonne affaire. La fin de son règne sera, de ce fait, plus paisible. Il pourra inaugurer la collégiale de Saint-Quentin et y remercier son saint patron et finir son règne au pied de son chêne de Poissy. La trêve dura un peu plus longtemps que d'habitude et Saint Louis commencera l'édification de Carcassonne et multipliera les châteaux dans la province de Guyenne devenue vassale du roi de France.
L'Allemagne, n'avait de Reich que le nom. Othon avait été battu à Bouvines et le sentiment national, n'existant pas, n'en souffrit guère. L'évènement sonnera toutefois comme les cloches de l'angélus. Il était temps de s'éloigner des palais de marbre d'Italie où les querelles florentines et les cachotteries papales remplissaient l'ordre du jour. Heureusement, les grandes familles électrices de la diète s'opposeront encore longtemps, mais déjà la "bulle d'or", qui sera de 1356 jusqu'en 1806 le texte de base de l'Empire allemand, naît dans les imaginations. Une grande famille de notre région y participera directement : la famille des Luxembourg. L'inventaire du monde laissait au royaume de France une carte maîtresse à jouer ; les seigneurs français tenaient les lieux saints, les anglais se repliaient sur leurs positions, les germains se cherchaient, le trésor français venaient de faire bonne fortune. La prospérité, fille de la paix pouvait frapper de sa baguette nos villes et nos campagnes. Les cathédrales repoussaient d'années en années les limites du possible. Deux éléments sont encore à mettre sur la liste, parce qu'ils expriment mieux que tout l'évolution des esprits : les oeuvres écrites et les découvertes des sciences.
Le mouvement des communes et les étudiants canalisaient un sang neuf et un esprit nouveau. Loin du pouvoir, l'expression populaire trouva dans le théâtre des places et des parvis son lieu de communication.
A la Fère, dotée d'une abbaye et depuis 1207 d'uns charte, accordée par Enguerrand de Coucy contre une rente perpétuelle annuelle de 100 livres parisis ( bien utile pour l'agrandissement du château) Jean de la Fère sera l'un des premiers romanciers français. Il est l'auteur du " riche homme et du ladre".
Le thème même introduit tout Balzac, Dumas et une bonne moitié de la littérature américaine.
La première pièce de théâtre vraiment française est en picard et fut jouée à Arras en 1276. Sa lecture est un ravissement car tout le peuple de ce temps évolue, parle et bouge de la manière la plus authentique. Le moine, intéressé par l'argent et porteur de reliques, le tavernier, le riquier, c'est-à-dire le riche, le médecin bien sûr ignare, le fou, les fées venues de l'époque celtique et le clerc Adam qui veut poursuivre ses études à Paris, les personnages vivent par eux mêmes et, ce n'est pas une savante construction dramatique qui structure le jeu théâtral. Ce n'en est que plus savoureux et merveilleux de fraîcheur.
N'entend-on pas, Gillot vantant la femme de Mathieu l'Anstier de " s'aider des ongles et des doigts contre le bailli du Vermandois " ! Et combien sont comiques les lamentations des clercs qui risquent de perdre leurs rentes s'ils se remarient ( la " bigamie" des clercs était toute théologique puisqu'ils étaient veufs. Ce qui était choquant, c'était qu'ils reprenaient toujours épouses parmi les plus jeunes beautés du pays.)
A la fin du " Jeu de la Feuillée", les dernières tirades sont écrites en picard. On ne s'étonnera donc pas que cette pièce n'ait jamais été enseignée dans les écoles de nos arrondissements où il serait plus vite compris et apprécié qu'au collège de France. Ce faisant, l'Education Nationale, nous prive de notre seule thérapie authentique: notre rire.
Ecoutons le moine de Jean Bodel né vers 1165 et mort lépreux vers 1210 annonçant l'heure de la séparation et la fin de la représentation.
" Je ne fach point de mon preu chi (preu: profit)
puis ke les gens en vont ensi
n'il n'i a mais fors baisseletes (baisseletes : filles)
enfans et garconnallles. Or fai (garconnailles : groupe de garçons)
s'en irons; à Saint Nicolai
commenche a sonner des cloketes ".

Dans l'oeuvre de Jean Bodel, il faut aussi mentionner son poème de " congé ", où il fait ses adieux à ses amis et leur demande de lui obtenir une place dans une léproserie. Le scribe s'effacait devant l'homme de lettres. Le trouvère s'adressait à l'humanité de manière personnelle et pathétique.
Avec Jean de la Fère et Jean Bodel, un esprit nouveau soufflait qui révèle, plus que tout, l' humanité de nos prédécesseurs du 13 ème ; pourtant le savoir en général, les sciences et les techniques demeuraient bien réduits. Il était surtout confidentiel et mal vu à la cour. L'Eglise admettait que les corporations possédassent des techniques architecturales, chimiques, sidérurgiques mais freinaient la synthèse et l'analyse scientifique. La foi chrétienne n'avait pas encore atteint toutes les couches de la société, pouvait-on laisser s'infiltrer le doute?.
Il viendra, malgré les préventions, quand même !






L'inquisition, les Cathares, Valdo.
Saint Louis. L'Anjou et La Mafia



L'histoire est une ligne droite en virage permanent que l'on aperçoit dans un rétroviseur, le nez plongé dans le guidon. La relater tient de l'exploit du pilote dont l'attention surveille autant le poids lourd à dépasser que le bolide encore minuscule qui se rapproche et déjà domine la chaussée. En ce treizième siècle que l'on retient souvent comme celui de saint Louis alors que son règne dura 44 ans, la religion et le moyen-âge sont présentés comme triomphants. Si tel avait été le cas, notre région aimée du roi aurait sans doute témoigné une plus grande spiritualité religieuse au long des siècles, or le Vermandois sera encore largement considéré au XIX ème siècle et encore plus maintenant comme une terre de mission, largement déchristianisée.
Des évènements lointains et sous-estimés cependant l'expliquent . L'arianisme n'a, sans doute, qu' effleuré le Nord de la Seine mais avait été dominant en Bourgogne, Auvergne et dans le Sud-Ouest de la France, laissant derrière lui un sentiment mitigé sur les dogmes de trinité divine et du Christ, fils de Dieu et Dieu lui-même. Le voisinage avec l'Islam et avec les communautés juives tant au Moyen-Orient qu'en Espagne sans remettre en cause la supériorité de la Chrétienté instilla des motifs de scepticisme chez beaucoup de lettrés comme chez les gens honnêtes et aussi chez tous les nombreux révoltés par l'opulence de l'Eglise et par sa compromission avec le pouvoir.
L'origine du mouvement cathare est souvent placée dans une généalogie sulfureuse et hérétique très sophistiquée. Nous la placerons plus simplement au coeur même d'une société ouverte comme celle d'aujourd'hui où les sectes pullulent et en désarroi face à son avenir. La doctrine religieuse cathare s'inspire de certaines hérésies bien que ces points soient encore controversés mais c'est surtout l'institution qui détonne: église sans hiérarchie qui rejette les ajouts de Rome et veut retrouver la pureté originelle, dogme qui place le péché dans l'amour du monde et ose bénir la révolte, croyance dans le salut individuel.
Les temps n'étaient pas encore mûrs et la chrétienté, relayée par la force des chevaliers bardés de fer de nos régions, ne cherchera pas à comprendre au delà du crime de lèse-majesté.
La répression dans laquelle nombre de grands chevaliers se salirent est tristement célèbre du côté de Montségur, d'Albi, Lavaur et de nombreuses cités du domaine des rois wisigoths ariens. Le pire, pourtant, dépasse l'atroce et l'arbitraire. L'esprit humain admet la violence brutale comme un résidu de l'humanité mais ne tolérera jamais la torture des idées et des croyances. Or en 1184, un Pape italien, nommé après une décennie de décomposition de la papauté, recherche un moyen de réimposer sa présence et de conforter sa place devant l'empereur du Reich. Celui qui domine l'Allemagne s'appelle Frédéric Barberousse et est un germanique caractéristique : presqu' illettré, son modèle est bien sûr Charlemagne et ses droits sont à l'aune de ses forces. L'entente de ces deux hommes donnera le pire des poisons de la Chrétienté: l'inquisition.
Les musulmans usaient efficacement d'une loi miséricordieuse pour les fidèles et des lois de la barbarie pour les autres. Pourquoi ne pas s'en inspirer ? Le châtiment corporel fut donc admis pour les hérétiques ainsi que pour ceux coupables de trahison. Du châtiment à l'aveu forcé, il n'y a que ce fil ténu qui sépare la torture et la sanction.
Au départ, cette parodie de justice permettra des condamnations bénignes comme la flagellation ou la sanction-pélerinage. Très vite s'ajouteront de réelles abominations: la confiscation des biens, la destruction des maisons, la mort sur le bûcher. Cette dernière s'inspirait de la vieille lubie de la purification par le feu et punissait les coupables de relapses ; c'est-à-dire ceux qui reniaient une religion même fraîchement adoptée ou imposée. S'appuyant sur ces textes, quatre siècles plus tard, Jeanne d'Arc, qui n'était pas suspecte de désobéissance à Rome, pas plus que de sorcellerie, fût brulée vive à Rouen. La répression sur les Cathares et sur les Albigeois sera l'ignominie qui provoquera des hauts le coeur chez nombre de croyants. Bientôt des esprits s'élèveront à Genève (Pierre Valdo vers 1200 ), en Angleterre( John Wyclif), à Prague (Jean Hus) pour sortir de l'Eglise de Rome et de son erreur. Dans ce monde confronté à l'obéissance aux dogmes et à la justice, des voies divergentes creuseront des abîmes profonds entre les peuples. L'Allemagne, l'Italie, l'Espagne opteront pour la justice expéditive. L'Angleterre, pour des histoires de femme, choisira de faire taire le défenseur de l'autorité du pape, Thomas Beckett, et s'orientera vers une justice pragmatique. La France eut, dans ce domaine aussi, une destinée moyenne. Saint Louis connaissait Frédéric Barberousse et les monarques d'Angleterre. Il n'ignorait pas que son aïeul Philippe Auguste s'était attiré les foudres de la papauté. Riche et bien considéré par ses voisins, Saint Louis se pencha sur la pratique de la justice. Malgré l'onction , le roi ne pouvait " dire le droit" infailliblement; Louis consultera les avis les plus éclairés du temps parmi lesquels Pierre de Fontaines, bailli du Vermandois et natif de la région, faisait autorité. Ce jurisconsulte ne pouvait s'être vu confiée la charge de notre région sans la compétence ni la confiance intime du souverain. Il utilisera, lui-même, le mot fort d'amitié dans un écrit paru en 1253 intitulé "Conseil que Pierre de Fontaines donna à un ami ". Le roi ne s'estima pas outragé par l'outrecuidance d'un sujet qui osait lui donner un conseil d'ami ; le dialogue social et l'amitié se pratiquaient vraiment en ce siècle d'or......, aussi, en 1254, le roi chargera le Parlement de la mission auparavant régalienne de dire le droit. Le sire de Joinville, historien de la cour, dit de lui que le roi s'en servait pour " ouir les plaids de la porte, pour recevoir les requêtes et faire droits aux parties". A coté d'une fontaine de sagesse et au pied de son chêne, Louis IX créa ainsi la justice contradictoire où l'accusé avait droit à une défense . Il limita aussi les pouvoirs des baillis sur le domaine royal.
La canonisation de Saint Louis en 1297 consacrait un homme, bien imparfait à beaucoup d'égards, un pays, le Royaume de France, encore petit sur la carte, et surtout un système : la primauté du droit.
Le monde ancien véhiculait encore des légendes tenaces qui reposaient, on peut le penser, sur des faits divers réels. Ainsi, la chronique rapporte qu'en ces siècles d'apogée, le village du Fayet fut le théâtre d'un acte de sauvagerie sordide. Rollon II, le seigneur du Fayet, avait fait un mariage envié avec Gabrielle de Vergy, belle pomme de l'Est bourguignon. De moindre culture qu'elle et plus intéressé par la chasse et la vie au grand air, Rollon sera trahi par la belle qui sera séduite par Raoul de Coucy, forte personnalité qui se moquait des rois et des princes et sera même un peu artiste, poète et musicien. Les temps n'étaient pas tout à fait prêt pour le Roman de la Rose. Rollon, dit-on, tua le prétendant, lui arracha le coeur et le fit manger à l'infidèle. Cinquante années après l'évènement, cela ne sera plus possible. La justice royale et la justice de l'Eglise se seront dotées de moyens qui permettront d'espérer en des lendemains meilleurs. Cet espoir perpétuel de l'humanité sera, à nouveau, ici comme ailleurs, déjoué par des périls nouveaux. La volonté de bâtir une société juste au delà de la féodalité s'imposait chez nous comme une condition de progrès et d'avenir. Louis IX souhaitera vivement répandre cette semence de paix sur toutes les terres connues et sans chef.
C'est ainsi, que, sur les conseils du Pape, et des grands, il aidera son frère, le comte d'Anjou, à devenir Roi de Naples et des deux Siciles. En ce milieu du treizième siècle, ce domaine constituait la troisième perle des principautés françaises après le royaume, proprement dit, et les lieux saints. Pour la même raison qui fera de franc le synonyme d'honnête, la mayonnaise française ne prendra pas dans le mezzogiorno. La volonté de justice sera vite le motif de rejet de cette monarchie par le petit peuple.
Encore, aujourd'hui, ces terres brûlées sont le domaine de l'ormetà, de la vendetta, du contrat sur les têtes et des parrains qui décident. Les juges continuent à y vivre sous escorte et en sursis. La " mafia " est, en effet, née, à cette époque, en réaction aux idées de Saint Louis et des monarques français. Mafia, ne l'oublions jamais, est la contraction du slogan qui apparaîtra pendant la domination française sur ces terres du sud : " Muerta alla Francia", mort à la France ! Dans le même temps donc où un pas significatif sera fait dans le bon sens, un rejet violent s'organisera ailleurs. Sans prôner de théorie de défense de la mafia, cette leçon de l'histoire n'est pas mentionnée dans les manuels de philosophie; la seule justice, digne de ce nom, est celle comprise et légitimée par le peuple, théorisée par Diderot. La présentation, plus généralement faite dans le "penser correct ", est plus réductrice : les chevaliers français auraient "exploité " les habitants du pays ; les fameuses "Vêpres Siciliennes" commémorant les assassinats de 1283 où beaucoup de nos compatriotes moururent, ne seraient, dans ce contexte, que de la légitime défense contre des colonialistes. Si tel avait été le cas, la France ayant quitté depuis longtemps ces terres lointaines, la mafia n'existerait plus depuis longtemps !
Organiser une boucherie au choeur des églises et au moment des vêpres était un message cynique, absolu et de longue portée : aucun pouvoir ne saura contrecarrer sans danger la pieuvre et ses sbires, aucune justice ne soumettra la "loi du milieu" !
A ceux, nombreux, qui croient qu'il ne reste plus rien à faire sur terre, les déboires de la justice contre le banditisme organisé invite à un sérieux examen de conscience. Les excès de pouvoir des petits juges, en cette fin de second millénaire, avec les "affaires" en France et " Manu pulite" en Italie ne sont-ils pas les résultantes amplifiées de trop d'années, qui font des siècles,de complaisances, faiblesses et inerties ?
L'Italie comme la Navarre ou la Poméranie peuvent paraître loin du Vermandois et pourtant la famille de Guise sera pendant plusieurs siècles toujours du côté de l'Italie; plusieurs villes de la région seront en Navarre, quant à la Poméranie son heure arrivera.




Philippe le Bel.



A la canonisation de Saint Louis, Philippe le Bel était sur le trône depuis 12 ans avec le titre de Roi de France et de Navarre. Il régna encore dix sept ans. Ce roi était d'un nouveau type qui inaugurait ou préparait des temps inédits.Son monde pourtant était, encore, à son avènement, celui du Concile de Lyon.
En 1274, l'apothéose, atteinte à l'inauguration de la Collégiale de Saint-Quentin, avait pris une dimension quasiment universelle. Saint Louis, certes était mort à Tunis d'une expédition malheureuse souhaitée par son frère, Charles d'Anjou qui pensait soumettre un voisin gênant de son royaume de Sicile. Cependant l'auréole du roi français, "Fontaine de la Justice " rayonnait toujours sur l'ensemble du monde connu.
Ainsi vinrent à Lyon : le pape Grégoire X, les représentants des royaumes de France, Angleterre, d'Aragon, de Sicile, de l'Empire d'Orient et même les mongols de Perse venus proposer une alliance contre le sultan turc. La réunion de la société des nations n'avait pas grand chose à apporter à un monde qui vivait la paix au quotidien. L'Europe se devait de célébrer une période bénie. Lorsque deux siècles, plus tard, les seigneurs féodaux ressentiront le besoin de consigner les " riches heures " de leurs châteaux, l'évocation ne sera qu' une enluminure nostalgique d'un passé révolu. La chevalerie n'aura plus de pouvoir, et la peste et la famine décimeront les campagnes. Les "riches heures " demeurent toutefois de superbes tableaux d'un passé qui a vraiment existé..... au temps jadis.....dans le milieu du treizième siècle..
Le bonheur et la prospérité, dans notre livre de témoignage, ont la caractéristique constante de n'être jamais à l'heure. Commencées au quatorzième siècle, les "riches heures" montraient des campagnes prospères, des églises pleines, des chevaliers dévoués et fiers, et partout des bâtisses superbes, comme neuves. C'était bien une carte postale des douzième et treizième arrondissements, pieusement reconstituée pour les petits enfants qui ne connaissaient qu'horreurs et désenchantements. Le Vermandois, avec Péronne fortifiée, dont le château avait été rénové par Philippe Auguste, les abbayes de Homblières, Noyon, Péronne, Saint Quentin et sa collégiale, les murailles de Coucy, Moy, Laon, Noyon la chantante, était un nid douillet sur lequel se reposait la France pour ses rentes et pour sa défense.
Nos voisins des Flandres et de l'Artois ne pouvaient espérer cathédrales aussi hautes, ni terres à blé aussi fécondes mais ils échappaient aux ponctions royales directes. Comme la sécurité règnait, les échanges favorisèrent vite les zones qui détenaient un peu de disponibilités. L'Angleterre, les pays de la Hanse et les Flandres avaient dans la pêche du hareng et la fumaison du poisson une matière première, formidable génératrice de revenus. Harengs et morues n'étaient-ils pas les aliments symboles de la chrétienté ? De plus, riches en sel et en protéines, ils assuraient des réserves alimentaires pour les longs hivers et les longs carêmes. Cette économie va rapidement en susciter une autre. Les hommes sont marins à plein temps, laissant aux femmes et aux enfants les salaisons et fumages. Que vont devenir les champs et les bêtes qui, depuis toujours, remplissaient l'emploi du temps de chaque jour de la vie ?
L'Angleterre fit ainsi la célébrité d'une petite île du large des Pays-Bas, où une variété de mammifères vivait, dans le plus total isolement, sans nécessiter d'entretien. Le mouton à poil long ( de l'île de Texel ) devint rapidement l'animal domestique de tout ce périmètre. Il fournissait la viande et une laine de qualité pour les vêtements. Avec le poisson, la laine devint ainsi le pondéreux le plus transporté. Il s'échangeait contre du bois et des céréales dont ces pays étaient chiches, mais aussi des épices et, petit à petit, des produits manufacturés. Les Flandres et l'Artois, depuis les déconvenues de nos expéditions lointaines faisaient figure d'Eldorado et ce, d'autant plus, que la fiscalité y était douce et légère......
La prospérité des rives de la mer du Nord pesa de manière importante sur notre histoire, car du concile de Lyon à " la grande peste ",soixante années seulement séparent des sommets de félicité et des abysses de détresse.
L'éclat des provinces du Nord brillait d'autant plus fort et le coeur des Vermandois choisira secrètement, depuis cette date, de regarder vers les beffrois. Le percepteur venait du Sud et les affaires se faisaient avec le Nord. Les filles du Sud apportaient aux mariages des terres et des intrigues. Celles du Nord mettaient dans la corbeille des ducats, du travail et une robuste santé. Insensiblement, le sentiment d'appartenance au domaine royal sera objectivement ressenti comme un désavantage. L'arrivée de Philippe le Bel va accélérer ce processus. Lui-même est fils d'une princesse du Brabant et a épousé la reine de Navarre. Ces héritages et la faiblesse des autres monarques lui donnent une place enviée. Il a laissé, cependant, à la postérité l'image d'un roi, panier percé, fourbe, cruel, assoiffé d'argent et beau. L'or n'est-elle pas la matière dans laquelle les rois gravaient les traits de leur visage ?
Avec Philippe le Bel, la monnaie faisait son entrée dans la panoplie des instruments du pouvoir régalien. Personne n'en connaissait, à dire vrai, ni les mécanismes, ni les effets pervers.
Philippe commença, comme tous les Golden Boys, très jeune. Dès son arrivée au pouvoir, il ordonna la baisse de la quotité d'or dans la monnaie imposée par le roi de France et qui avait donc cours forcé. Etait-ce l'examen des comptes des communes que Saint Louis avait imposé dès 1256 mais qui remontèrent avec des retards importants à Paris qui obligeait cette manipulation ? Vraisemblablement pas, car les communes ne réclamaient pas grand-chose même si nombreuses étaient celles qui se trouvaient déjà en virtuelle faillite. Philippe, par la dévaluation, visait plutôt les régions récemment rattachées au royaume et surtout les évêques et les abbés, insupportablement riches et oisifs.
Le premier à manifester fut l'évêque de Pamiers en Ariège. Riche des confiscations des biens des Cathares, des prélèvements sur les pélerins de Compostelle et des droits de douanes à l'import sur les marchandises venant des terres maures et juives d'Andalousie (l'orange était le plus rare et le plus cher des fruits connus), Bernard de Saisset, évêque, se retourna directement vers le pape et accusa le roi de faux-monnayage. Philippe le fait arrêter. Le pape Boniface VIII, lui aussi très près de ses pécunes, somme par la bulle " Ausculta fili ", au fils d'Auguste, de libérer le descendant des apôtres. Philippe lit la missive, la transforme en une boulette et la jette au feu, puis la remplace par un texte qui ne mentionne pas l'évêque de Pamiers, pas plus que la manipulation de la monnaie mais uniquement la " collation des bénéfices". Là-dessus, il convoque les Etats Généraux du royaume à Paris le 10 Avril 1302. Le Tiers Etat est au courant des finances communales, les seigneurs possédent le droit de justice, quasiment indexé sur le coût de la vie et des rentes exprimées en nature. Que va dire le clergé ?
Partout les ordres mendiants, des franciscains aux dominicains, appellent à la vertu de pauvreté. Le clergé, de plus se défie des papes italiens. Philippe obtiendra gain de cause pour une cause immorale et perverse, ce qui lui tendra la perche pour des dévaluations en série. A ce jeu, il fera même chuter la papauté italienne et appauvrira la riche contrée voisine.
Pour de maigres motifs, Philippe, ayant " collationné des bénéfices" partit en guerre contre le prince des Flandres : Gui, riche et rebelle ( parce que riche). Il pénétra sur son domaine en 1300, le fit prisonnier ainsi que ses barons. Gui décéda en prison à Compiègne, sans que les affrontements ne cessassent . En 1304, les troupes françaises seront victorieuses à Mons en Puelle et le comte Robert, fils de Guy, se voit imposer le traité d'Athies de l'an 1305..
Ce traité mettra fin temporairement au conflit et sera aussitôt complété par une ordonnance obligeant le bailli de Paris à une autre manipulation monétaire. Athies, cité de Clotilde, Ragegonde et Saint Thierry contribuait à flouer beaucoup d'épargnants, mais rétablissait aussi ses finances communales comme énormément de communes de France. Avec les rentrées inattendues d'argent, Philippe le Bel, vint en 1307 à Saint-Quentin où il séjourna avec la reine et toute la cour et fit renforcer toutes les fortifications.La mécanique diabolique de la razzia était lancée et les Juifs et les Templiers tomberont bientôt sous les appétits voraces de ce monarque.
La politique de Philippe le Bel ne pouvait laisser indifférent et, à chaque spoliation, le parti gallican grossissait. Le pape, récusé par les Etats Généraux, veut reprendre ses troupes en main et convoque le synode des évêques français à Rome. Philippe réagit et reconvoque les Etats Généraux. Celui-ci choisira Guillaume Nogaret, ancien cathare, pour organiser un concile de toute la chrétienté et juger le pape. L'affaire était présentée comme la prétention d'une puissance étrangère sur des revenus nationaux. Machiavel n'était pas né mais avait déjà trouvé en Philippe son maître. Quant à Dante, il ironisait sur la divine comédie mais comprenait le risque d'une montée des nationalismes.
La mission de Nogaret fut facilitée par la rivalité des Colonna, famille ennemie du pape Boniface VIII et par la proximité du roi français des deux Siciles. Le Saint Père fut atteint d'une crise cardiaque, suite à une forte émotion comme on dit encore aujourd'hui dans ce pays où la mort arrive plus vite qu'ailleurs. (Nogaret l'aurait giflé, ce qui aurait provoqué la mort du pontife). Le nouveau Pape devenait sinon l'otage, du moins l'obligé de Philippe. Le séjour dans une ville aux pratiques malsaines était de moins en moins recommandable. Le pape vint s'installer à Avignon.
Philippe avait soumis à sa volonté :la papauté et les provinces riches des Pays Bas. Il lui restait à traiter le problème de l'Angleterre.
A cette affaire grave, il sacrifia sa fille Isabelle de France qu'il maria au futur roi d'outre manche: Edouard II. C'était l'assurance de la paix pour l'avenir et la justification du prix payé par les Juifs, les Lombards et les Templiers à l'autel de la raison d'Etat. Hélas, Philippe était un roi maudit et le destin donnera un camouflet à ses oeuvres patiemment réalisées. La justice divine se plaçait du côté de Dante comme aux plus belles heures de la tragédie grecque. Petit-fils d'un saint vénéré, sa fin de règne sera occupée par de sordides histoires de femmes pécheresses. Le péché de chair atteindra les trois brus du roi. Comme feu Saint Louis avait assigné au parlement le soin de la justice royale, l'affaire cessait d'être privée pour devenir publique. Le droit canon et le droit civil ne plaisantaient pas sur le sujet et les brus furent mises dans l'impossibilité d'assurer une descendance aux Capétiens. En 1315, Philippe le Bel meurt.
Trente années après, la France sera vaincue à Crécy et trois années après cette défaite, la peste noire tuera plus qu'aucune guerre, près du quart de la population du pays ! Les dévaluations et les jalousies pour les pays plus prospères ne représenteront que des pécadilles sur lesquelles toute l'humanité s'étonnera qu'elles aient pu être des pommes de discorde.
Avant cette plongée dans la tragédie, regardons une dernière fois nos belles campagnes, presqu'aussi peuplées qu'aujourd'hui, et nos villes fortes , abritées derrière de solides murailles, sûres d'elles-mêmes et immensément confiantes dans la justice royale.





Crécy. Luxembourg. La peste noire.



" Philippe, avant peu, tu seras assigné à comparaître devant le tribunal de dieu.
Maudit sois-tu et toute ta descendance !"

La malédiction des Templiers, condamnés au bûcher, sortait du coeur de chevaliers qui avaient fait voeu d'Eglise et n'avaient rien à se reprocher. N'étaient-ils pas pieux et dévoués, détenteur de legs laissés par les premiers et plus nobles chevaliers de la Chrétienté : Baudouin, Herbert, Frédéric, Saint Bernard même !
Ils seront les victimes expiatoires, sans doute innocentes. La volonté de puissance du roi français ne rencontra qu'une opposition fade de la part du pape et des évêques. L'argent serait-il devenu maîtresse du monde ?
La nef des fous, la comédie divine, Machiavel et toutes les estampes lucifériennes reviennent en force pour tirer vers le bas notre civilisation.
Des causes plus objectives sont malheureusement intervenues. Vers 1315, les récoltes sont mauvaises et la famine frappe durement les cités qui ont poussé trop vite en Italie, comme en France. L'urbanisation n'en est guère frappée et Dante qui jettera un oeil pessimiste sur notre société n'entreverra pas le pire. Celle-ci frappa, au beau milieu du siècle, en 1350, et le tiers de la population française disparaîtra, victime de la peste noire. L'image de la mort ratissant avec une faux s'incrustait dans tous les esprits et sur de très nombreuses estampes. Le temps des cathédrales, des chartes et des libertés était bien révolu. La peste, c'était l'effroi d'un petit peuple d'artisans qui avait nourri en effectif les milices communales. La France perdait largement plus que le tiers de sa puissance militaire. C'était une catastrophe pour un pays qui avait osé braver sous Philippe le Bel le monde entier !
Le " fatum "ne fait rarement les choses à moitié et ce sera pire encore pour notre ambition nationale; la France venait de subir, deux années auparavant, une autre défaite. En mariant Isabelle de France au monarque anglais, Philippe le Bel s'était endormi dans une fausse sérénité car ses fils, trompés par des femmes volages, n'arriveront pas à avoir de descendance.
Philippe V le Long convoquera les Etats généraux en 1317 pour écarter les femmes du trône. Lui, puis son frère, chercheront à destabiliser les princes flamands sans apercevoir le risque de recours au voisin anglais. Or Edouard , le fils d'Isabelle de France, grandit et s'avère fin diplomate. Il soutient les Flamands contre les Français sans participer lui même et va se présenter en 1338 à la diète de Coblence sur les bords du Rhin pour obtenir les possessions du roi de France en terre d'Empire. Cette subtilité juridique qui nous échappe un peu aujourd'hui nous concernait tout particulièrement car l'Empire commençait aux limites nord du Vermandois : Cambrai, Arras reconnaissaient Edouard pour roi.
Poussé par les Flamands et nombre de nos concitoyens, Edouard pénétra en France en 1339 avec une armée qui avait tiré les leçons de Bouvines .
En face, le nouveau roi s'appelle Philippe VI de Valois et il attend l'Anglais sur la Somme au Ponthieu. Edouard a de solides appuis dans les Flandres et contourne les positions françaises. Remontant l' Escaut, cette rivière bénie des envahisseurs du Nord, il attaque Saint-Quentin en 1339 et ravage le pays, la Fère et Laon.
En 1340, les Etats du Vermandois déclarèrent ne pouvoir payer l'aide que le roi demandait un peu partout pour la défense du royaume !
Nos gens se méfiaient du nouveau roi, du Valois: l'activité de Philippe de Valois ne s'était-elle pas bornée à intriguer et à agglomérer les mécontentements des princes de sang et de la haute noblesse ?
Pour défendre la France, il s'appuiera surtout sur ce qu'il crut être le rempart de la chrétienté : la chevalerie et l'ost. L'affrontement eut lieu à Crécy en 1346. La noblesse française va perdre, sur cette terre picarde, une grande partie de ses illusions et beaucoup d'hommes. Les archers anglais faucheront l'élite guerrière avec une arme indigne de la chevalerie : l'arbalète. Autre surprise, la perfide Albion provoquera les Français dans un combat de nuit.
Parmi les Français, le duc Jean du Luxembourg, roi de Bohême, très âgé et aveugle tint sa promesse de chevalier et participa à la boucherie. Les Anglais, lorsqu'ils parlent des chevaliers français ont, encore aujourd'hui, une moue ironique. Bien que monarchistes et contempteurs de la noblesse, jamais ils ne comprendront les actes de bravoure qui exaltent notre sens de l'honneur: ceux du duc de Luxembourg et le célèbre
" Messieurs les Anglais, tirez les premiers !"

( Il faut remarquer quand-même que le code de la chevalerie, remis à l'honneur par les ordres chevaleresques de l'époque interdisait de reculer, ce qui dans un combat, quel qu'il soit, limite fort l'action).
Le duc du Luxembourg rentre par ce comportement chevaleresque dans notre histoire. La majorité de ses fiefs se trouvaient en terre d'empire: la Capelle, les Ardennes, Liège, Maastricht. La superficie du Luxembourg, que nous voyons sur nos cartes, ferait sourire les anciens ducs. C'était une famille de première importance sur l'échiquier européen. Le pape Jean XXII avait même oeuvré, une quinzaine d'années avant Crécy, pour faire reconnaître le droit du roi de France ( Charles IV le Bel, dernier fils régnant de Philippe l'aussi beau) qui était marié à l'héritière des Luxembourg, comme empereur d'Allemagne.
Le malheur s'étant vraiment acharné sur les rois maudits, celle-ci mourut d'une chute de cheval et, une nouvelle fois, la construction de l'Europe dut attendre.La renommée des Luxembourg, dont les jardins et le palais abritent les amoureux du Quartier latin et le Sénat de la République, doit beaucoup à plusieurs cités du Vermandois et de ses régions voisines.
L'idée de Jean XXII n'obtint pas l'aval divin et notre région manquera son destin de lien entre les deux nations franques. Après la mort de l'héritière du Luxembourg, après Crécy, relater l'histoire consiste en une énumération de péripéties sinistres et implacables. Qu'expliquer ? l'arrivée de la peste noire, les rois sans descendance, l'Anglais qui prête hommage , un jour et se délie, les Etats Généraux qui votent " la Grande Ordonnance" limitant les pouvoirs du Roi ( proche dans l'esprit de la charte anglaise qui interdit les impôts destinés aux combats outre-Manche. L'usage était bien de faire campagne en "prélevant sur la bête", c'est-à-dire sur le pays conquis.).
Le monde était un peu déréglé.
La France était en miettes.




Le miroir distant de Barbara Tuchman
Ce 14ème siècle, où se glorifiera Enguerrand VII de Coucy, et qui est si important pour la compréhension des siècles suivants .

Barbara Tuchman est une historienne américaine qui a commencé par s'intéresser à la peste noire en Europe, car cette endémie a profondément touché la région la plus peuplée et au sein de laquelle la communauté juive fut pariculièrement affectée . Dans ses découvertes historiques novatrices car les universitaires et historiens stipendiés ne voyaient en ce siècle, rien d'instructif , elle fit la découverte de Coucy-le-château et donc de la lignée des Enguerrand . Certes la France était en miettes mais l'Europe guère en meilleur état . Le parallèle avec le 20ème siècle après la première guerre mondiale sautait au yeux comme la ruine du plus fort château fort du monde, fondé par Enguerrand III de Coucy . Son intérêt ,dés lors, de focalisa sur Enguerrand VII et tout le livre de plus de 600 pages est un chant d'amour pour ce seigneur, vaillant soldat et personnage central dans toute l'histoire diplomatique,miltaire et culturelle de l'Europe . Enguerrand VII n'existe guère dans l'histoire de France officielle et pourtant il est, de loin, le personnage le plus considérable du Vermandois . Retracer ici son destin , ses exploits, victoires mais aussi, défaites et négociations de paix serait plagier le travail récent de Barbara Tuchman qui, par ailleurs et par son amour pour Coucy, s'est aussi plongée dans la grande guerre secrète de la première guerre mondiale . Là aussi, son oeuvre de vérité la place à très haut niveau dans les contributions à la vérité historique. Comme ses ouvrages sont encore en vente aujourd'hui, l'auteur de ces lignes interrompt le cours de son texte pour inviter tous les lecteurs à parcourir "The distant Mirror" et les autres ouvrages de celle qui a parcouru notre pays , analysé son histoire , ses malheurs et glorifié son honneur avec des yeux clairs et affectueux .
Certes la situation de l'Europe au 14ème siècle était dramatique et pourtant les hommes dominèrent pratiquement tous les conflits de toutes natures, finiront l'édification des prestigieuses cathédrales comme ils feront avancer le droit, la diplomatie et la paix .
Cette césure dans notre développement vise aussi à souligner l'importance de revisiter sans cesse l'histoire et d'oser le faire en dépit des accusations de révisionnisme et autres complotisme, séparationnisme et antiacadémisme .



La France était en miettes donc.
La papauté compta longtemps deux papes et, même un temps, trois ( le concile de Constance dura 4 années de 1414 à 1418, dates prémonitoires pour ramener la papauté à un seul représentant). L'Orient, autre bateau ivre, tombera sous le cimeterre des Turcs en 1453. Mais, en ce début du quatorzième siècle, la dureté du temps n'est pas encore aperçue et à chaque coup dur, il sera imaginé une parade. Contre la famine de 1319 et de 1320, le roi Philippe le Long permit l'établissement de la foire de Saint-Quentin, le 9 octobre, à la saint Denis, avec franchise et exemption de tous droits.
La braderie annuelle, où chacun peut vider son grenier, est chez nous plus ancienne que l'Amérique et prouve bien que nos ancêtres respectaient déjà la police municipale et le paiement des patentes et surtout avaient des objets à vendre en cas de besoin.
Pour autant, le contrôle de la police municipale était encore contesté. Le bailli du Vermandois et le procureur du roi avaient revendiqué en 1316 le droit d'exercice de la justice aux magistrats municipaux dans les faubourgs. Charles le Bel, époux de la belle du Luxembourg, rendit ce droit aux magistrats de la cité, moyennant 600 livres tournois de peine pécuniaire en 1322. Philippe de Valois, plus que ses prédécesseurs, avait besoin de Saint-Quentin. Il restitua , par la charte de 1347, toutes les anciennes libertés, privilèges et franchises.
C'était aussi le prix de la reconnaissance de la validité de notre milice . En effet, vers 1340, peu après l'entrée d'Edouard III en France, le fils du roi, Jean II le Bon, n'avait-il pas pris pour garde de sa personne et de son navire destiné à traverser le détroit, les Arbalétriers et les Pavésiens de Saint-Quentin !
La fidélité de nos concitoyens ne manqua pas, non plus, après la défaite de Poitiers où le roi Jean et son fils furent faits prisonniers par le Prince Noir, allié de Charles le Mauvais, roi de Navarre.
En 1356, à l'initiative d'Etienne Marcel et de l'évêque de Laon, les Etats Généraux seront convoqués et le paiement de la rançon décidé. Toute la noblesse du Vermandois mais aussi les cités contribuèrent, malgré la vive opposition d'une forte minorité. Au petit peuple insolvable, il fut demandé de relever les remparts dans le but " de se maintenir plus étroitement encore dans le service de l'obéissance au roi". En une époque où il ne semblait plus y avoir place pour l'espérance, la région s'appuyait sur sa foi qui soulève les montagnes et permet d'affronter le destin. Plusieurs Saints et Saintes vinrent illuminer ces temps sombres.
Parmi ceux-ci, Colette de Corbie nous est particulièrement proche. Contemplative, recluse, mais rayonnante dans sa communauté, elle redonnera vigueur aux communautés clarisses et posera les fondements de plusieurs couvents. L'histoire ne rapporte pas, à ma connaissance, quel fut son message mais les théologiens affirment qu'elle fut une des inspiratrices de Jeanne d'Arc ; la bergère illettrée qui entendait des voix. Saint Michel et Sainte Geneviève, à qui Clovis avait donné la Fère, avaient parlé à Jeanne. Elle eut fort à craindre de l'accusation de sorcière. Heureusement que Colette, Catherine de Sienne et Thomas Ekhart à Stasbourg avaient auparavant témoigné de la force de la voix de l' Esprit Saint. Jeanne ne sera finalement pas condamnée pour avoir entendu des voix.
La spiritualité, comme l'arôme du vin, restitue souvent mieux que les rapports de presse l'évolution profonde des sociétés. Derrière Jeanne et Colette, il faut, en effet, aussi mentionner Christine de Pisan. Sa place dans le monde des lettres de la seconde moitié du quatorzième siècle lui vaut d'être écrivain officiel ( Livre des faits et bonnes moeurs du sage Charles V), moraliste ( Livre des trois vertus) et une authentique femme courageuse( Epître sur le Roman de la Rose et le Dit de la Rose).
Dans cet ouvrage, Christine défend la femme contre " l'aventure courtoise ", où l'amoureuse devait écorner le contrat de mariage . L'air du temps ne permettait sans doute plus les écarts des décennies précédentes mais l' Epître valait surtout parce que c'était une femme qui parlait d'elle-même, sous sa seule inspiration. Son talent faisait merveille aussi dans les rondeaux. Ces petites poésies servaient le top cinquante d'alors et étaient fréquemment mis en musique. Guillaume de Machault compta parmi les compositeurs qui vivaient de cette musique fine et populaire.
Ce natif d'un village proche des sources de l'Aisne et de Reims devint, après un séjour chez le roi de Bohême, chanoine en cette ville de Champagne. La bohême, qui est toujours un mode de vie à consonance musicale, n'était pas limitée à Prague puisque son seigneur n'était autre que le duc du Luxembourg, fantastique personnage aveugle, combattant en armure et mourant sous la pluie des flèches, par fidélité au devoir de chevalerie. Il fut donc aussi le protecteur du créateur de la musique polyphonique. Ce génie de la musique mérite une des premières places dans la mémoire de l'humanité. Il vécut de 1300 à 1377.
Si jamais les livres futurs permettaient de diffuser de la musique d'accompagnement, c'est Guillaume qui dirait ici, mieux que ces lignes, la joie et le plaisir de vivre sur ce sol où nos contemporains n' entonnent que des lamentations et complaintes ternes.
Les temps troublés apportent également des idées fortes : les Etats Généraux de 1357 instaurèrent la monarchie parlementaire . Il n'en sera reparlé qu'avant la chute de la monarchie. L'institution donna l'image malencontreuse d'être une administration fiscale supplémentaire. La France en avait assez ! Personne ne s'inquiéta de ne pas en entendre parler !
Pratiquement, la même année, de l'autre côté du Rhin, la "Bulle d'Or" fixait la constitution de l'Empire, en prenant bien soin d'examiner ce que la France et l'Angleterre avaient à proposer. Les règles d'une monarchie élective s'appuyant sur une fédération donnaient un air de nation à un territoire vaste et composite: la reconnaissance s' effectuait avant la solidarité. La mécanique était complexe mais sage.
Chez nous, la solidarité existait depuis des lustres mais marchait à sens unique : la province avait payé et payerait. Paris continuerait à profiter, sans aucune reconnaissance du ventre.





Le Vermandois au temps de Charles le Sage,
des deux papes.
Vers la guerre de Cent Ans.


Sans que ce fut l'expression d'une volonté plus belliqueuse qu'ailleurs, la guerre de cent ans enserrera dans ses griffes notre province de son début jusqu'à sa fin et y développera misères et désolations en une proportion largement supérieure à la moyenne. Pendant ce siècle de conflit très localisé, le contemporain du 20ème siècle ne peut oublier que le monde prit, en contrepoint avec cette querelle de clochers, une toute autre dimension : vers la fin du treizième siècle, Marco Polo s'était aventuré jusqu'au coeur de la Chine et venait de rapporter quelques souvenirs qu'il évoquera dans la cellule humide d'une prison italienne . Au terme de la guerre de Cent Ans, l'Amérique sera découverte et les caravelles vogueront vers les extrémités de la terre. La France qui avait été toujours en première ligne quant aux grandes inventions et découvertes manquera à l'appel du large. Faute d' échappatoires, les conflits internes et larvés doubleront de violence.
Coincé entre les terres d'empire, la Flandre, l'Angleterre et la France, le Vermandois retrouva sa vocation d'origine de sacrifié, soit sous forme de champ de batailles, soit sous la forme plus moderne de monnaie d'échange. La terre devait encore tout supporter mais ce n'était pas sans cause que le Vermandois figurait, à nouveau, dans la sélection lugubre.
Herbert II avait été notre plus célèbre comte et avait placé ses enfants aux quatre coins de l'hexagone en miniature du pays d'alors. Leutrade, sa dernière fille, devint ainsi l'épouse de Thibaud de Champagne, premier comte de cet important domaine.
Lorsque Saint Louis, descendant de la famille du Vermandois, par la tante de Leutrade, Béatrice, règla le problème des Cathares et des Albigeois et s'intéressa à l'Aragon, le titre de Roi de Navarre retourna dans la lignée de Champagne. Philippe le Bel récupéra le titre et l'adjoignit au titre de roi de France en épousant Jeanne Ière. Elle fut la dernière reine-mère capétienne et, avec l'extinction des capétiens directs , c'est Louis, Comte d'Evreux et frère de Philippe le Bel qui prit cette couronne presqu'exotique.
Mais dans l'histoire des rois maudits, la fille du premier fils de Philippe le Bel, épousa le fils du comte d'Evreux, Philippe III. Le couple, contrairement à ses oncles, eut un fils : Charles le Mauvais, comte d'Evreux, de Champagne, Brie, Chartres et roi de Navarre. Outre ses possessions, seule sa grand-tante Isabelle de France était plus proche que lui du trône. Mais Isabelle avait été mariée à Edouard d'Angleterre et les pairs de France optèrent pour l'application de la loi salique qui écartait Charles le Mauvais et Edouard II puis III puis son fils le prince Noir, vainqueur de Crécy.
Un tournoi à deux ne peut durer longtemps. A trois, le Valois, le Prince Noir et le Mauvais, l'issue nécessite beaucoup plus de temps. Les trois personnages n'étaient que de vulgaires voyous mais affublés de titres de roi, parents, et possesseurs de fiefs riches. Dans l'arrière-plan, le peuple savait tout des duels fratricides commis sur son dos. Poussé par la famine et la crainte, il se souleva en Somme, Oise, Laon, Péronne, Montdidier. Ce furent les "Jacqueries", décrites comme sauvages. La localisation de ces soulèvements permet de penser que le Vermandois fut douloureusement concerné. Nombre de châteaux et chaumières partirent en fumée.
Sur la carte, les lieux de ces drames se superposent souvent avec des terres du Navarrais ou avec des terres proches de son domaine.
A cela, une explication s'impose. Lors de Etats Généraux de 1356 où Etienne Marcel et la noblesse accepta de payer la rançon de Poitiers au Prince Noir, la Picardie était représentée par Robert le Coq, évêque de Laon, et Robert de Corbie. Ceux-ci s'opposèrent au paiement de la rançon et soutinrent Charles le Navarrais, Mauvais de surcroît.En Novembre 1357, celui-ci fut reçu en triomphateur à Amiens . .alors qu'il sortait de prison pour un meurtre !
Pendant deux années, les jacqueries auront des aspects d'escarmouches entre le parti des Navarrais et celui légitimistes des Valois. Charles le Mauvais dut même "évacuer" Robert le Coq, en difficulté à Laon, pour le nommer à l'évêché de Calahorra (en Navarre) . Mais il serait simpliste de penser que seuls ces deux partis avaient des défenseurs dans la classe moyenne de nos cités et villages. La Flandre était trop proche et l'Angleterre trop prospère pour ne pas pouvoir fomenter des troubles.Le risque d'éclatement de la classe moyenne, prise entre la folie des familles règnantes et les jacqueries, amena les protagonistes à une accalmie. Une paix fut conclue avec le roi de Navarre à Pontoise en 1359 . Edouard d'Angleterre, ayant palpé la rançon de Poitiers, déclara abandonner ses prétentions sur le royaume de France. Ce n'était pas tout, il mettait main basse sur la belle province de Guyenne, en faisant reconnaître l'incursion illégale du Prince Noir. Vous pourriez penser que la liste était assez longue ! Il y avait encore une cerise sur le cake ! Jean II le Bon était rentré en France mais l'imprudent monarque avait dû laisser ses fils en otage. Il fallut repayer pour réunifier la famille royale.
Cette guerre était ruineuse et la France se saigna les veines. Sous Jean le Bon, on ne compta pas moins de 85 dévaluations de la monnaie, soit une perte de 70 % de sa valeur. Les jacqueries, puis la révolte à Paris où Etienne Marcel sera assassiné s'expliquent aussi dans ce contexte de crise profonde.
Comme l'histoire est aussi une théorie ondulatoire, il fallait une pause. Le traité de Brétigny, par lequel Edouard fit le geste de réduire ses prétentions, peut aussi être interprété comme le constat que le pays revendiqué n'était plus à même de nourrir la bête et ne valait plus la chandelle. Epuisée, la France trouva en Charles V le Sage, un monarque attendu. Son règne de seize années ne connaîtra pas de grande tragédie. Plusieurs signes sympathiques éclairciront même l'athmosphère : Du Guesclin devient notre héros national en gagnant les coeurs fiers de Bretonnes et d'Espagnoles ; le fils du roi, Philippe de France, comte de Bourgogne épousa Marguerite des Flandres.
Une résurrection de la Lotharingie et une version primitive de l'axe Nord-Sud prenaient place durablement et mettaient le Vermandois dans la position d'un coin fiché dans le flanc d' un tronc de chêne puissant. Les bienfaits de la paix coûtent souvent plus chers que les périodes troubles où les dettes quérables sont irrécupérables. Le pays se saigna à nouveau pour redresser ses finances et son crédit.Le roi était, en son royaume, l'ultime bénéficiaire de chaque fait et geste de son bon peuple et Charles V le Sage chercha, sentant venir ses derniers jours, le moyen de s'assurer le bon souvenir de ses contributeurs. Il accorda à Saint- Quentin de nouvelles franchises mais estima qu'il fallait une mesure plus générale.
La fiscalité, empilation désordonnée de droits, taxes, corvées, dîmes, décimes, excises, péages, retombait immanquablement sur les mêmes. Le monarque décida donc en 1380, la suppression du "fouage", l'impôt inique par excellence puisqu'il frappait forfaitairement tous les paysans sans considération de ressources, de cheptel, ni de surface, ainsi que les petits artisans. C'était l'impôt per capita sur tous ceux qui n'avaient pour moyen de survivre que le travail de la terre ou celui de leurs mains. La suppression d'un impôt dans notre pays constitue un évènement rarissime et une décision plus pragmatique que théorique. Ici, les plus pauvres ont toujours pu payer ; réduire la charge, autant enlever le collier aux chiens, pourquoi tuer la poule aux oeufs d' or?
Sitôt Charles V le Sage, mort, son fils surnommé, par dérision pour son penchant pour d'autres activités, le "Bien Aimé" ressortira la hache de guerre et arrêtera la gabégie de son père: le fouage fut rétabli . Essayez de vous installer dans l'agriculture ou dans certains petits métiers et vous comprendrez le poids rémanent du "fouage" sur ces activités où l'endettement commence avant les semailles et où les taxes et impôts grèvent tout le fruit des récoltes ?
Les révoltes reprirent rapidement en Picardie . Les mayeurs de Saint-Quentin et de Laon eurent quelques complaisances avec le petit peuple et laissèrent sans doute s'effectuer quelques "manifs" de mauvaise humeur . Ils furent promptement démis et les villes furent condamnées à des amendes. Cette sanction témoignait du mépris grandissant que les monarques valois vont entretenir avec leurs sujets de cette région nord. Ceux-ci deviennent suspects ! Le pays voisin est sous domination bourguignonne et la fiscalité est là-bas un panier de fleurs sympathiques . Comment éviter la tentation du large, si ce n'est en renforçant la chaîne. Vers les années 1380, les troubles gagnèrent toute l'Europe. Les Flandres et la ville de Gand joueront un rôle de plaque tournante de la révolte. C'est de là aussi que vint ce mouvement mystérieux des " Gens Intelligents ", dont la présence a été signalée à Saint-Quentin. En cette période sinistre, la secte n'empruntait pas les voies de la joie sur terre, loin de là. Son message confirmait l'âpreté des temps et donnait du grain à moudre à ceux qui étaient convaincus que seuls, les purs, solidaires, pourraient passer au travers .
L'anarchie du temps et des idées se mesure assez bien par le grand schisme de 1378, où la papauté disjoncta et eut deux papes.
L'affaire fut réglée plus tard mais les croyants comprirent qu' au delà d'informations tendancieuses et imprécises la maison n'étaient plus celle du Dieu véritable. Les gens intelligents l'avaient compris comme un grand nombre d' européens.
La méfiance construit la division et chasse la monnaie. Dans ce processus, la communauté juive, qui vivait paisiblement chez nous, s'avéra très exposée. La fin du règne de Charles V le sage et l'arrivée du "bien aimé" amenèrent le peuple de Paris et des villes de France à tirer sur l'ambulance : les juifs, qui pratiquaient le colportage, la médecine et le crédit, n'avaient rien à voir avec les misères d'un pays malheureux mais en paix, furent mis à l'index et nombreux furent expulsés de leurs maisons. Le parlement, réuni sur ce sujet, fera réinstaller les Juifs avec l'appui des soldats et, par contre, laissera un peu filer le recouvrement du fouage des petits artisans de la capitale. Cette dérogation , une fois de plus, elle, n'arriva pas jusqu'à nos rives.
Le phénomène d'éclatement tua également le Vermandois. A partir de ces années, ce qui constitue une entité géographique indiscutable et un chapitre de l'histoire du Pays, sera volontairement oublié. L' hôtel de ville de Saint-Quentin, qui fut construit de 1330 à 1509 sous l'impulsion de Noël Collard,en porte témoignage. Sur la façade, s'affichent six écussons :
l'emblème des comtes de Moy( fretté), dont le magnifique château construit vers la même époque n'est plus que souvenir,
celui de la famille des de la Fons (Fonsomme) représentant trois hures,
celui de la ville représentant Saint-Quentin encadré de Fleurs de Lys,
celui du Vermandois (échiqueté surmonté de lys),
celui des familles d'Y (chevronné),

celui des familles d'Origny ( dauphins adossés).

La ville ne fédérait alors plus qu'un terroir réduit. Les autres communes regardaient ailleurs et dépendaient de seigneurs rivaux sinon hostiles dont beaucoup ne juraient plus fidélité aux seules fleurs de lys !
Le Vermandois restera pourtant car le titre de comte demeurera et sera porté jusqu'au célèbre fils de Louis XIV, qui le porta sans que jamais personne ne vit son visage. C'était un titre appartenant à la famille royale et un de ses plus chers mais le siècle de la dislocation du monde transféra cette réalité concrète dans le domaine des esprits, des souvenirs et des songes prémonitoires.





La guerre de Cent Ans.
Jeanne.



Le monde était devenu fou et l'épidémie eut son couronnement en 1392, lorsque le roi de France Charles VI fut, lui aussi, atteint. La psychiatrie séjournait encore dans les limbes et ce roi faible d'esprit, violent parfois, souvent lucide heureusement, était le roi consacré. Il restera en vie, souverain, jusqu'en 1422. Notre pays touchait le fond.
Bernard Shaw a écrit que " ce n'est que sur le papier que l'humanité a été, jusqu'à présent, un modèle de courage, de sagesse, de vertu et de liaisons durables ".
Cette réalité indubitable, le français chevaleresque l'admet moins bien que l'anglais amoral et pragmatique. Et pourtant à la fin de la guerre de Cent ans, c'est un anglais qui contredira les écrits honteux et reconnaîtra la sainteté d'une jeune fille , modèle de courage et de vertu, par son seul témoignage. Cette affirmation verbale mettra quatre siècles pour être reconnue par l'Eglise. La vérité n'a pas toujours besoin des livres et l'humanité existe au delà des bibliothèques.
Ce petit bout de femme, Jeanne d'Arc, n'étonna pas qu'un anglais mais celui qui déclara: "nous avons brûlé une sainte !" parlait vrai malgré toute la folie de ceux qui se disent sages et savants.
L'histoire magnifique de Jeanne qui est indissociable de celle de la nation française connut sur notre sol une page déterminante. Nombreux sont ceux qui ont préféré l'occulter par crainte de malédictions apocalyptiques, comme si Dieu devait punir les faiseurs de saints !
Charles VI, dit le Bien Aimé, passa à Saint-Quentin avec sa charmante épouse, Isabeau de Bavière. Quoi de plus normal, la ville aimait et était aimée de son roi. La collégiale subissait régulièrement des agrandissements et ce passage fut commémoré par la pose d'un vitrail sur le côté nord et aujourd'hui disparu représentant le couple royal agenouillé à côté du martyr.Les destructions n'ont pas fait regretter sa disparition et pourtant quelle leçon pour nos écoliers et pour nous-mêmes ! Quentin honorant un roi fou et sa femme qui bradera le pays ! Peu de temps après la visite, le processus meurtrier s'accéléra. Le roi d'Angleterre Edouard III est dépossédé de son trône par Henri IV, comte de Lancastre(ou Lanchester). Le frère du roi de France, le duc d'Orléans, est assassiné sur ordre du duc de Bourgogne, Jean Sans Peur . L'héritier du duc d'Orléans organise sa vengeance en rassemblant autour de lui les "armagnacs", ducs de Berrry, Bourbon, Bretagne et connétable d'Albret. La folie du roi laisse la porte ouverte à une coalition bourguignonne, proche de la reine. L'Anglais, qui n'aime rien tant que la division sur le continent et estimant le pays suffisamment gras après 35 années d'une relative paix, va, en 1415, descendre pour revendiquer à nouveau le trône de France. Le choc eut lieu à Azincourt. Si la nation française est, dit-on, née à Bouvines, la nation anglaise est issue de cette victoire. Shaekespeare va, en effet, la mettre en toile de fond de son oeuvre. Tous les Anglais seront initiés à admirer en vers et avec des mots forts leurs seigneurs et le meilleur d'entre eux, leur roi : du féodal de souche française sans vergogne et pilleur sans scrupule, le dramaturge fera un être humain, torturé et pathétique. >Des 1700 prisonniers égorgés, il ne fut point parlé. Les huit barons qui périrent dans la bataille glorifièrent la vaillance de l'agresseur. Les ducs d'Orléans et de Bourbon, qui furent faits prisonniers, témoignèrent de la magnanimité du prétendant au trône. Nombreux furent les seigneurs et simples soldats de la région qui trépassèrent à cette bataille funeste. Citons particulièrement Robert de Bar, comte de Marle, grand bouteillier de France, président de la chambre des comptes de Paris, seigneur de Ham ainsi que le Gaucher de Rouvroy, vicomte de Ham, sire de Coudun et chambellan de charles VI. La mort du premier, Robert de Bar, précipita le mariage de sa fille , Jeanne de Béthune, avec Jean du Luxembourg en 1418. Ce grand était aussi seigneur de Beaulieu et Beaurevoir, dont nous reparlerons bientôt.
La désinformation fut, il faut le dire, d'une remarquable efficacité car la monarchie anglaise gagna dans l'opinion une notabilité que les rois de France qui n'oseront pas mettre en vers la défaite de leurs ennemis, n'atteindront jamais.Azincourt fut un désastre logique, la France n'ayant pas d'âme ni de guide.
Les militaires situent aussi à Azincourt l'arrivée de la guerre moderne : Crécy marquait le glas de la chevalerie du fait de l'arrivée de l'arbalète, Azincourt inaugura les premiers coups de feu, preuve que Marco Polo n'était pas allé en Chine pour rien, (la bombarde était apparue peu avant) et enterra définitivement le mode de combat venu de la chevalerie.
A Azincourt, rien de la haine entre Armagnacs et Bourguignons, les grands crus rivaux, n'avait trouvé de motif d'apaisement . Quand Jean sans Peur fut assassiné en 1419 sur le pont de Montereau en présence du Dauphin, le fléau de la balance bascula. Le dauphin n'aurait-il pas commandité le meurtre ?
Les Bourguignons, entraînant Isabeau de Bavière et même le Parlement et le roi, pas vraiment lucide , ce jour-là, passent alliance avec l'Anglais. C'est le traité de Troyes dont les manuels racontent qu'il donnait la France à l'Angleterre. En effet, Henri V se voit donner la couronne alors que Charles VI a des descendants directs. Ce traité n'était pas qu'un papier avec des rubans. L'Anglais épouserait Catherine de France et la plus grande partie du Vermandois passerait en son pouvoir . Il y avait une logique économique dans cette attribution car la région était, au fil du temps, devenue une région drapière et lainière dont le commerce allait surtout vers le Nord, mais de là à devenir anglaise ! Henri V resta cependant notre sire jusqu'en 1434.
Jeanne, entre temps, chevaucha en prisonnière nos monts et valons.
Pour expliquer Jeanne d'Arc, il est fait souvent cas d'une intervention divine.Que pouvait, en effet, comprendre une gardienne de moutons aux conflits sanglants entre des familles de haute noblesse ? Qu'est-ce qui poussa Jeanne à aller démasquer Charles VII qui n'était pas convaincu d'être l'héritier légitime du royaume, doutant qu'il était de la paternité de son père ?



Seul le message des difficultés du temps et le besoin de paix va la conduire infailliblement. Après le sacre du Roi Charles VII à Reims, ville éternellement fidèle, il fallait reprendre Paris et cette Picardie carolingienne qui avait scellé son engagement de soutien de la foi. La région était à l'image du pays. L'Anglais était souverain. Parmi les seigneurs , Péronne et Ham étaient dans le fief des Luxembourg. A l'Est, les Guise avaient une forte influence. Tous vivaient au gré des circonstances et d'alliances fluctuantes. Dans ce monde, deux personnages vont se rencontrer : Jeanne et Guillaume de Flavy. Ce dernier est de cette noblesse du Vermandois qui enregistra sa lignée après le capitulaire de Quierzy et les croisades.
Comme les Saint-Simon, les Moy, ceux d'Y et de Fonsomme, il sait que ses rentes seront rognées à perpétuité par des fermiers chafouins et une administration vampire. Son avancement social passe par le service armé en étant le brave des braves qui sera remarqué par le roi, ou par un beau mariage, ou encore par une " aubaine " . Il est issu d'une lignée vaillante qui a suivi Herbert en Palestine, dont l' aïeul guerroya avec Charles V contre Jean le Mauvais, roi de Navarre au siège de Tournai en 1358. Son père a été Chevalier Teutonique et a combattu et évangélisé, par le fer, la pieuse Pologne.Malgré l'ambition, Guillaume ne peut guère espérer mieux que cette charge de capitaine de Compiègne. L' Angleterre,la Navarre et la Bourgogne, tous les ennemis de la France ne sont pas loin. Pour garder Compiègne, la troupe n'est pas insignifiante mais il s'agit surtout de guetteurs, lanciers, arbalétriers habitués à monter à l'assaut de nos châteaux forts et quelques chevaliers.Jeanne arrive avec une troupe de près de deux mille hommes, commandée par des zélotes de la première heure: Xaintrailles, Ambrois de Loré, Jean Foucaut, Hugli de Kennedy ( écossais) et l' italien Baretta. Soissons vient d'être reprise. L'ennemi, sentant le danger, passe le pont de Choisy le Bac le 16 Mai et se place face à Compiègne le 20 Mai. L'armée anglaise se poste à Venette, les Picards des régions de Péronne, Bapaume, Thiérache s'installent à Clairoix et les Bourguignons à Coudun.
Guillaume tient la garnison, en grand péril, et Jeanne arrive, en partant à cinq heures du matin, le 23, de Soissons avec 32 hommes d'armes, 43 arbalétriers, 20 archers, son chapelain, Poton de Xaintrailles et Baretta.
Guillaume et Jeanne décident dans la journée un coup de main pour enlever un avant-poste isolé à la tête de la chaussée de Margny et tenu par Baudot de Noyelles ( ville près de Lens, faisant partie du fief des Luxembourg).L'opération commence à cinq heures du soir. L'incursion n'est pas attendue, mais, par hasard, Jean du Luxembourg (seigneur de Ham, Guise, Beaurevoir, entre autres) et le Seigneur de Créqui cheminent sur les falaises de Margny pour observer les défenses de Compiègne.Dès six heures, ils font lever la garnison de Clairoix. Peu après, les Anglais de Venette font de même et coupent le repli. Les assaillants se trouvent bloqués. Jeanne est désarçonnée par un archer picard du nom de Wardonne. La nouvelle fut vite colportée à l'arrière.
Guillaume ordonna à ses troupes de ne pas sortir et fit, dit-on, fermer les portes. Dans les jours qui suivirent, il consolida la place mais n'engagea aucune manoeuvre pour récupérer la pucelle, son frère et ses compagnons.
Guillaume figure dans l'histoire pour ce non-évènement. Comme Charles le Mauvais, Judas, il est le partenaire indispensable de la tragédie. Soldat, brave, courageux, réaliste, il a pesé l'affaire et en a référé à La Trémoille qui commande l'armée.
Jeanne a fait sacrer le roi, Compiègne est assiégée, son village natal subit depuis trop d'années les contre-coups de pillages et d'exterminations absurdes. En face, Jean du Luxembourg devrait être son ami. Il est picard contre les Picards. Dans les régions du Nord, la fille a autant de droits que le fils. Les voix, qu'est-ce pour un terrien où le catholicisme est encore en germe ? non, Guillaume n'ira pas sauver la fille à cheval ; d'ailleurs que représente -t-elle ? La Trémoille devrait recevoir les ordres du roi pour intervenir. Il préfère attendre l'ordre qui ne viendra pas. Le Vermandois laissa Jeanne à son sort et fit fermer les portes. Encombrante, trop près de la ligne de front, elle sera amenée à Ham, puis à Beaurevoir ( dont le nom rappelle l'origine romaine qui jalonne la chaussée Brunehaut où se trouve encore une tour du château fort portant le nom de sa prisonnière). Echappant un instant à l'attention de ses gardes, elle s'enfuira à pied et sera rattrapée à Nauroy en un lieu-dit " folemprise ", étymologiquement, ce sont ceux qui la reprenaient qui commettaient acte de folie !
Jean du Luxembourg attendait que le roi paie rançon et trouva vite la jeune fille très, très embarrassante. Elle fut donc vendue pour 10000 livres tournois aux Anglais. Prise à Compiègne, qui était dépendante de l'archevêché de Beauvais , c'est à Cauchon que revint le devoir d'instruire le procès. Beauvais, relevant de la juridiction de Rouen, le sort s'acharnait sur Jeanne. C'est au coeur du Pays normand que l'affaire sera traitée et l'anglais voulait la mort de Jeanne !
Le Vermandois fut la limite du parcours de la femme soldat, mais également la ligne de départ de la sainte. Le procès de Jeanne est une des plus belles pages de l'humanité. Toute la raison est du même côté. Elle n'est que faiblesse . Pire, affaiblie, elle accepte la communion en s'engageant à ne plus porter d'habit d'homme. L'eucharistie reçue, elle se ravise et comme les soldats anglais ont laissé là ses habits masculins, elle les passe pour respecter son voeu précédent de les porter tant que la libération de la France ne serait pas achevée.
Jeanne savait qu'elle devait mourir et qu'il fallait qu'elle meure. Les juges avaient écarté les accusations de sorcellerie et d'hérésie mais son acte la condamnait pour relaps à la sanction antique de l'inquisition cathare: le bûcher.
Les grands, les clercs, tous avaient raison. Guillaume aussi. Et par-dessus tout le monde, le soldat anglais, ce 30 mai 1431, qui dira " nous avons brûlé une sainte ".
Nombreuses sont les vieilles de nos villages qui savent encore sur quelle route Jeanne passa avec son escorte. Le point de savoir, où elle allait et pourquoi, est effacé des mémoires mais le passage de la sainte est toujours vivant. Il y eut, sans doute, des paysannes et des ribaudes qui osèrent sortir de leurs chaumines pour regarder le cortège et s'étonner, à haute voix, des injustices, des trahisons et des violences faites à une femme, qui courageusement défendait un monarque qui régnait encore sur le patelin, huit années auparavant.








La paix de Jeanne.
La Bourgogne.
Blanche. Le connétable .
Castillon.
La fin du Moyen-âge.



La mort de Jeanne n'était qu'un fait divers et pourtant quelque chose avait changé. Le concile de Constance avait contribué à un peu de clarté dans l'église. Partout l'individu commence à exister. Guillaume de Flavy comme tous les habitants du Vermandois avait suivi les échos que la rumeur colportait sur cet étrange procès. Aucun "papier" n'existait encore pour diffuser les débats mais l'opinion publique révélait, déjà, et même par son silence, une indiscutable existence. Le pays, des deux côtés de la fracture politique, écoutait et manifestait dans cette attention une unité de fait. Les batailles cessèrent une année durant et une trêve de quatre années prolongea cette période de grâce divine. Ce temps fut utile au roi de France qui se fera présenter une délégation venue de Saint-Quentin lui signifier sa fidélité en sa personne royale. L'autre roi de France, Henri VI, roi d'Angleterre, après la mort de Jeanne ressentit l'appel du Saint Esprit. Sans l'onction, jamais le peuple ne le légitimerait. Aussi, le 16 Décembre 1431, il se présente à Notre Dame de Paris. La plupart des prélats du royaume étaient absents? N'était-ce pas en pleine période de chasse ? L'archevêque de Sens dont dépendait Paris s'était excusé. Finalement , c'est le cardinal d'Angleterre qui conféra l'onction, entouré des évêques de Paris, Beauvais, Noyon et du Chancelier Louis de Luxembourg, évêque de Thérouanne, comte de saint Pol, Bapaume, Péronne . Le peuple assista et ne retint de la cérémonie que l' expression "tiens, un ange passe !" que nous utilisons encore pour faire parler le mutisme contre une approbation tacite . On ne dit rien ! L'ange passe, on n'en pense pas moins !
Dix huit années après, la guerre de cent ans était terminée. En 1435, Charles VI et le Bourguignon Philippe le Bon s'entendent et signent le traité d'Arras. Le Vermandois, sauf Ham et les villes de l'Oise, devint bourguignon. C'était un contrat d'échange très moderne que nous connaissons en finance sous le terme de bail à réméré.
Philippe achetait l'usufruit du Vermandois moyennant 400 000 écus d'or, avec foi et hommage au roi de France qui se réservait le droit de rachat. Par cet arrangement complexe, Charles VII restait souverain et seigneur sans les charges et les bénéfices et pouvait racheter le fonds de commerce.Pour les adeptes de la numérologie et des chiffres, le fonds de commerce de la région valait donc cette somme en 1435. A titre de comparaison, le bail représentait 40 fois le prix de vente de Jeanne d'Arc ; l'activité de rançonnage était bien plus rentable que les autres, n'etait-ce pas conforme aux usages de la chrétienté ?
L' exécution de Jeanne frappa l'humanité car il s' était agi d'une faute doublée d'un archaïsme. Une preuve en fut donnée par un fait divers qui se déroula une décennie après à Nesles.
Guillaume de Flavy, qui à défaut d'avoir sauvé la pucelle, avait gardé Compiègne, se trouva favorisé par l'affaiblissement des Anglais et la paix avec les Bourguignons. Cette situation méritait d'être rentabilisée. Guillaume organisa donc plusieurs expéditions parfaitement punitives sur Noyon qui avait été du côté du sire de Créqui. Avec ce petit pécule, il tenta une opération tout aussi cavalière en demandant la main de Blanche d'Overbreuc. Celle-ci portait le titre de vicomtesse d'Acy et avait 16 ans alors qu'il passait la quarantaine. Vicomtesse ! Il y avait un brin d'arnaque, là-dedans, que Guillaume avait flairé.
En effet, le précédent seigneur était mort sans héritier et la dévolution au père de Blanche était plus que suspecte, puisque de notoriété publique, il était arrivé désargenté de sa région d'origine proche du Boulonnais où l'anglais régnait maintenant.
Guillaume, en stratège machiavélique, épousait la fille, permettait au père de payer les frais, droits et impôts qui lui faisaient reconnaître la pleine propriété et récupérait le tout, par bon et valide mariage. La cérémonie eut lieu très solennellement à Compiègne en Avril 1436.La pauvre Blanche, dont l'esprit était nourri des premiers sentiments de galanterie, de courtoisie et qui ne pouvait ignorer l'exemple de Jeanne, était livrée à un soudard, pingre( Blanche devait demander à l'intendant Simon d'Aubigny l'argent des quêtes et aumône) et coureur de jupes. Dans son infortune, elle trouva compassion auprès du barbier de Guillaume, Jean Boquillon et auprès d'un bâtard élevé à Flavy mais surtout l'amour auprès d' un jeune capitaine, Pierre de Louvain, commandant Noyon.
En février 1449, au château de Nesles où Blanche vivait cloîtrée, en entretenant une correspondance amoureuse avec Pierre, Guillaume vint la rejoindre dans ce château hérité de sa mère . Il sera étouffé sous un oreiller et saigné par Blanche et ses deux comparses.
L'affaire fit un bruit énorme et l'objet de nombreuses chroniques. Les Compiégnois poussaient un soupir de soulagement mais une femme qui était mère d'un enfant pouvait-elle commettre un crime au nom de l'amour ou du dégoût qui lui inspirait son époux ?
La justice d'alors se démarquait de l'arbitraire que saint Louis avait proscrit mais demeurait très primitive surtout en matière de moeurs et pourtant Blanche obtint rapidement une lettre de rémission, c'est-à-dire de sortie de prison. Son ami Pierre aurait payé ..... Les frères de Guillaume dont certains étaient du côté bourguignon et d'autre du côté français demandèrent l'appel du jugement au Parlement de Paris qui servait de recours suprême pour la noblesse. Celui-ci confirma et le Roi publia le 14/11/1540 la lettre de rémission finale qui permettait à Blanche d'épouser Pierre.
Il est resté une chanson de cette affaire car Pierre aussi fit un séjour en prison à cause ce cette affaire qui troubla beaucoup la petite noblesse.
- Je veux mon ami Pierre, tra la la la la la
Je veux mon ami Pierre, celui qu'est en prison, celui qu'est en prison !

Jeanne était passée, innocente et sacrifiée. Blanche sera coupable et libérée. L'une comme l'autre, comme Christine de Pisan et Colette de Corbie, elles avaient fait sauter un verrou du destin de l'humanité. Cette étape historique confondante fut peu relatée et commentée sur le papier, l'humanité sortait grandie, discrètement. Il faut rappeler aussi à cette date carrefour, que c'est Isabelle la Catholique, reine d'Espagne qui imposera un certain Christophe Colomb, qui provoquait des risées dans toutes les cours misogynes d'Europe, pour une expédition impossible ! Dans l'histoire de France, nos concitoyens qui tinrent le mauvais rôle font légion : Herbert, le Comte du Fayet, Guillaume de Flavy, Jean du Luxembourg, ajoutons Isabeau de Bavière dont le portrait résista aux bris de verre jusqu'en à la grande guerre de 1914/18 à la collégiale de Saint-Quentin. Cette galerie rassemble nombre de personnages que Jules Ferry, Michelet et d'autres ont mis à l' index par simplisme. Nous sommes ainsi dissuadés très tôt d'exercer notre esprit critique et transmettons inconsciemment ce qui est étymologiquement une malédiction. La nation n'aurait rien été sans nos ancêtres, personnages entiers et souvent courageux ! Au delà du bien et du mal, ils ont d'abord été des membres importants de la famille et leurs jugements ont été dictés par la terre, les liens de sang, la foi, les rapports de voisinage et indiscutablement un message pour leurs descendances .
L'évocation des considérations complexes qui ont présidé à des décisions condamnées n'a évidemment pas place dans les manuels ni dans l'opinion dominante. Ainsi, trop souvent, les condamnations précédent les jugements !
L'école de la République voudrait bâtir, sur ces déformations, une société réconciliée. La construction, qui en résulte, édifiée sur du sable, plonge l'humanité dans un malaise ressenti confusément et tragiquement.
Vérité en deçà des Pyrénées, Mensonge au delà, dit- on, pour mettre en garde des concitoyens souvent chauvins et ignorants.Peu soupçonnent que cette chaîne de montagnes puisse se dresser à cent kilomètres du centre du pays et le fracturer.
Parce que c'est un problème politique actuel, il nous faut parler ici de notre concitoyen Gabriel Hanotaux, natif de Beaurevoir qui, au début du vingtième siècle, a écrit l'" Histoire de La Nation Française ". Diplomate de profession, mais surtout homme politique très engagé, Hanotaux savait mieux que personne que la paix se construit sur des différences , sur l'amour des hommes et sur le pluralisme, et pourtant son oeuvre porte la marque indélébile d'une époque qui endoctrine encore nos universités . L'histoire devait justifier la politique, pas seulement en théorie mais aussi pour asseoir une majorité au parlement de la troisième République. Dans ce contexte, ce natif de Beaurevoir, député de l'Aisne, ministre, n'imaginait pas qu' il ait pu agir comme un agent inconscient de la " KulturKampf " qui détruira sa maison et son village. Il ne s'était pas trompé pourtant et son analyse était juste; la faute reviendrait plutôt à ces lecteurs, exégètes et aux professeurs !
Vers le milieu de notre chronique sur l'histoire du Vermandois et alors qu'entre en scène un autre personnage passionnant car il fut le bâtisseur du fort de Ham, notre cri de révolte est bien un appel au révisionnisme historique permanent.
La démocratie ne saurait survivre sans une perpétuelle remise en cause, l'honneur des peuples, affirmons le clairement, pas plus !
Cette philippique tombe, par mégarde, à la fin du moyen-âge alors que chaque page et chaque fait justifierait semblable plaidoyer !
Par ce détour philosophique, il n'est cherché, ici, qu'à exorciser une angoisse intime et à montrer combien nos croyances sont sujettes à caution : le moyen-âge, médiéval et obscur n'a jamais existé, pas plus que la France et la Nation et le conceptualisme d'Abélard demeure une grande question d'actualité ; seules, néanmoins, les décisions de nos ancêtres expriment concrètement une vérité respectable et significatrice et interpellent directement nos consciences.
Mais bref, coupons court à ces jérémiades !
Jean du Luxembourg , qui tenait Guise et de nombreux fiefs, reçut, par sa femme, Ham qui verrouillait les sources de la Somme et tenait la clef entre le Nord et l' Ile de France. Alors que son beau-père avait été du côté du parti armagnac, lui est du parti des Bourguignons et d'Isabeau. Du 18 Janvier 1428 jusqu'à 1440, ses possessions feront tache d'huile : Vendeuil, Annoy, Bruyère et Annoy dans le Laonnois, Flavy-le-Martel, Beaurevoir. Ces investissements sagement réalisés ne devaient rien au hasard. Jean du Luxembourg n'avait-il pas vendu Jeanne d'Arc pour une rançon de 10 000 Livres Tournois. Lorsque le traité d'Arras viendra clôturer certaines querelles, le roi de France et le Bourguignon prendront en compte les nombreuses acquisitions de Jean du Luxembourg dans l'appréciation du crédit-bail du Vermandois, car nul n'ignorait que Jean n'avait pas de descendant direct. Mais le marché avait été traité et le roi de France n'avait pas encore les moyens, la seigneurie revint donc à Louis du Luxembourg, Comte de Saint Pol, Connétable de France, neveu de Jean et héritier par son épouse du fief de Ham. Il fut un des bâtisseurs du fort de Ham et ,comme souvent en ces temps, se remaria, après le décès de son épouse, à une femme digne de son rang : pas moins que la soeur de la reine de France, Marie de Savoie.
La fonction de Connétable de France situait aussi ce seigneur important. Il n' était pas moins que le chef de l'armée, en une époque où l'art militaire subissait une véritable révolution.
La cavalerie était quasiment morte à Crécy, la chevalerie venait d'être étrillée à Azincourt et l'ost avait disparu en 1439 par l'édit du " deux Novembre " qui créait l'armée française. Interdiction était faite aux seigneurs de lever des troupes privées. Les capitaines des compagnies recevront dorénavant leur commandement du Roi seul, et le Roi sera dorénavant le seul signataire de la solde. Pour le financement de la troupe , une gentille taxe du nom de" Taille Permanente " faisait son apparition dans l'éventail des moyens de tonte du petit peuple. Finis les pillages pour les guerriers, reconnus pourtant comme un droit par les combattants francs, haro sur l'ennemi qui ose vivre de cette manière !
Le Connétable devenait un personnage anachronique mais, comme souvent dans nos armées, les officiers supérieurs et le supérieur des supérieurs gardaient tous les privilèges du rang, tout le charisme du chef et la gloire du grade. Il faudra attendre Richelieu pour supprimer le poste et le titre du pacha suprême.
Jean du Luxembourg, Comte de Saint Pol, seigneur de Ham, La Fère, Beaurevoir, Vendeuil, Guise, voire Coucy etc.....non seulement portait le titre et assumait la fonction mais il était riche et puissant en plus... Le fort de Ham et les ruines des châteaux alentour attestent d'une puissance prodigieuse dont le dispositif est une énigme.
Vers où, ce réseau de forts était-il dirigé ? Bapaume Péronne, Ham, Guise verrouillent-ils la route Nord -Sud ou celle qui va d'Est en Ouest ?
Jean avait sans doute les moyens d'une ambition personnelle et des projets pour notre région. Sa connaissance de l'art militaire et sa bravoure avait été démontrée lors de la bataille de Castillon, " Castillon la bataille " qui en 1453 chassait l'anglais de Guyenne et de Gascogne. Puis en 1465, à la bataille de Monthléry, ses actes ( et son mariage) lui vaudront le titre de connétable à la suite d'exploits guerriers.
Superbe et porteuse de bâtiments parmi les plus impressionnants du monde occidental , notre région ne fit pas attention au moyen âge qui allait mourir. Par un texte promulgué en 1438, le roi supprimait d'un trait de plume l'obligation des "annates" au pape et confirmait les dispositions "canoniques" du concile de Paris du début de la même année, c'est-à-dire la supériorité du concile sur le pape et l'indépendance du Roi pour les questions temporelles. Les finances de l'Eglise faisaient à nouveau l'objet d'une O.P.A sauvage pour la fortune unique du Roi. Il incarnait seul la nation et disposait de moyens pour la façonner. Gabriel Hanotaux jugera, en son temps, l'oeuvre achevée : la Nation française érigée pour toujours ! Malraux, au début de nos temps, affirmera la fragilité de cette supposition, "Civilisations, nous aussi savons que nous sommes mortelles ! "
Le Vermandois de la fin du moyen âge pensait aussi que tout était bien et que sa force participait de celle d'une nation modèle, n'ayant rien à craindre de personne. au monde !





Chez Charles Le Téméraire avec les bourguignons.
Louis XI à Péronne.
La fin tragique de Jean du Luxembourg.



Le traité d'Arras avait réglé l'appartenance des villes de la Somme. Tous les riverains y chantaient désormais " et, je suis fier et je suis fi-er d'être bourguignon " avec l'accent picard et du bout des lèvres. On parlait encore de la sympathie manifestée par la tante de Jean du Luxembourg et marraine du roi de France à la petite prisonnière du nom de Jeanne. Les rois de France , après tout, étaient tous natifs de familles du terroir et avaient conservé une réelle affection de la part du peuple en dépit d'une notoriété publique qui créditait le roi d'une situation de fortune bien inférieure à celle du Bourguignon. On le disait ouvertement désargenté .
Le Comte de Saint Pol et Philippe le Bon n'avaient pas vraiment cassé leur tirelire en achetant à réméré le Vermandois et les villes de la Somme et avaient encore assez d'écus pour éclabousser de fêtes et de magnificences tous leurs états. Philippe le Bon avait indiscutablement un sens des affaires qui faisait défaut à la monarchie française.
Comme la prospérité venait du commerce de la laine des régions flamandes, il instaurera l'ordre de la Toison d'Or. Dans cette distinction, Philippe pouvait incorporer tout à la fois les nobles vaillants( Louis du Luxembourg fut un des premiers chevaliers de l'ordre) mais aussi des tisserands et drapiers, capitaines d'industries, chevaliers nouveaux de temps nouveaux. La Bourgogne de Philippe se démarquait des pratiques du royaume et ouvrait la voie au commerce et à l'industrie. L'ouverture était judicieuse car les temps modernes venaient de commencer.
Notre région, devenue bourguignonne, continua à admirer l' entraînement des chevaliers bien que les forteresses démontrassent déjà l'inutilité des armes blanches et s'intéressa à d'autres activités. Le tissage, les colifichets, la broderie, la teinture, la passementerie, vont connaître rapidement un essor prodigieux. Ces techniques exigent aussi quelques connaissances de chimie et de physique dont les développements ultérieurs assureront une vocation industrielle à nos concitoyens.
Parmi les progrès du temps, il faut citer aussi les inventions des frères Bureau. Originaires de Reims, ces deux artisans transformeront le lourd canon et la bombarde en des armes légères et maniables. Expérimentées à Castillon la Bataille, puis à Monthléry, les gueules de feu nouvelles donneront à la France un avantage considérable pendant des siècles.
De la capture de Jeanne en 1430 à la victoire de Castillon en 1453 et jusqu' au second traité d'Arras en 1482, notre région vécut une période de paix et de libertés économiques. Une grande partie des ornements de l' hôtel de ville de Saint-Quentin portent, dans leurs voussures et fleurs de pierre, témoignage que le sculpteur était et mieux nourri et mieux payé vers l'achèvement du bâtiment.
Nous emprunterons l'autre indice de la bonté de ces décennies au théâtre et à la pièce maîtresse de l'époque médiévale : La Farce de Maistre Pierre Pathelin. Comme son auteur est resté méconnu, les professeurs restent un peu cois sur l'intérêt de sa lecture et pourtant la pièce porte merveilleusement l'empreinte du peuple des petites villes vers 1460.
On y trouve Guillemette, la douce et sage villageoise, le malin Pathelin, clerc et avocat de son état, c'est-à-dire deux fois du côté de la morale et le drapier. C'est ce personnage qui est nouveau dans la comédie.
Dans nos régions, il est vrai, les valeurs monétaires sont devenues courantes: l'écu, le parisis, le franc, le denier, les mesures diverses reviennent sous mille formes dans les disputes avec l'apparition nouvelle d'un sujet irrémédiablement drôle et oublié depuis longtemps: le crédit.
Le drapier: " Par le saint Soleil qui rayonne, je retournerai, qui qu'en grogne, chez cet avocat d'eau douce. Eh bien ! Comme il sait retirer les rentes que vos parents ou parentes auraient vendues ! Par Saint Pierre, il a mon drap, le filou ! je lui ai donné ici même. "
Il y a dans le langage de la pièce beaucoup de tournures qui ont inspiré le Capitaine Haddock et une synthèse particulièrement intéressante de la vision de l'époque.
En effet, Pathelin, pour tromper son monde, va, à la scène cinq, s'exprimer dans les langues de l'époque. La représentation théâtrale n'aurait, en toute vraisemblance, pas été comprise au delà des zones où le français cohabitait avec le limousin, le flamand, le normand, le breton, le lorrain, le latin et bien sûr le picard.
Le drapier:
       " Dea! Il s'en vint en tapinois
       atout mon drap soubz son esselle.
Pathelin ( en picard):
       Venez ens, doulce damiselle et que veult cette crapaudaille ?
       Alez en arrière, merdaille!......
       Ca tost, le veuil devenir prestre.
       Or çà, que le diable y puist estre
       en cette vielle prestrerie
       er fault il que prestre rie
       quand il deust chanter sa messe !
Guillemette:
       Hélas ! hélas!
       L'heure apresse
       qu'il fault son dernier sacrement
       mais comment il parle proprement
       Picart ? Dont vient tel cocarderie ?
Guillemette:
        Sa mère fust de Picardie
       pour ce le parle maintenant . "

Ce monument du théâtre fut composé trente années après la fin de la guerre. Il révèle un réel dynamisme commercial et aussi les problèmes moraux de la prospérité. Pathelin, qui devrait être le bon, est un filou. Le drapier niais et ridiculisé porte à la catharsis les problèmes de la majorité des spectateurs. Guillemette représente pleinement la femme, joyeuse, indépendante et fine et est devenue l'héroïne éponyme de la jeune femme de France . Derrière les tours du connétable, le Vermandois profita indiscutablement de l'éclaircie mais déjà les nuages noirs gonflaient dans le voisinage.
Le Gentil Roi Charles VII avait consolidé la cagnotte et s'était bien juré de ne plus connaître les affres d'une situation financière délicate. Très tôt, son fils Louis ,comme c'est le cas fréquemment dans les familles où le père économe réfrène les caprices des enfants, s'opposa à l'autorité parentale. A 17 ans, il soutient " la Praguerie ", mouvement de la noblesse qui trouvait prétexte dans le mouvement protestant avant la lettre de Jean Hus à Prague pour garder le droit de lever des troupes seigneuriales ( Droit aboli par la Grande Ordonnance de 1439). Puis il se ligua à l'Empereur d'Allemagne, exacerbé par la critique systématique des habitants d'une ville qui fera parler d'elle: Bâle. Arrivé à l'âge adulte, par son mariage avec Charlotte de Savoie , il devint le dauphin, régent de la province du Dauphiné et de ces belles montagnes.
Le futur Louis XI dévoila sa vraie nature. L'attirail royal comportait mille clauses fiscales et taxes nouvelles. Il lui fallait des moyens pour une politique à long terme;
Les exactions, spoliations, confiscations se fondaient sur une volonté souveraine et les victimes à l'instar de Mandrin qui restera célèbre
" Nous étions vingt ou trentebrigands dans une bande....
La première volerie que je fis dans ma vie......"
ne trouveront de compensation que dans l'illégalité.
Le roi même, son père, entendit les suppliques de ses sujets et envoya une troupe pour arrêter le dauphin. Celui ci trouva refuge chez le duc de Bourgogne en Flandres.
Le 22 Juillet 1461, le roi meurt et Louis XI et Philippe le Bon font une courte chevauchée à Reims pour que l'onction royale oigne le front du frondeur.
Roi de France, Louis XI poursuivit les méthodes éprouvées par le Dauphin et devint le premier roi de France digne de ce nom. Le résultat vaudra à ce monarque une appréciation mitigée, trop faible avec son médecin, trop généreux avec ses serviteurs, fourbe c'est à dire très peu courageux, et très cruel. Les superlatifs ne manquent pas pour cet homme dont plusieurs caractéristiques affirment une vision des choses peu commune :
.

Il détestait Paris
A la fin de son règne, la taille atteignit quatre millions de livres, somme jugée fabuleuse et excessive toujours deux siècles après.
Il institua le Parlement de Bourgogne et celui de Bordeaux.
Il mit en place le réseau des postes pour les déplacements .
Il commença de dresser l'inventaire des coutumes de tout le royaume .
Il n'accepta jamais qu'un ambassadeur musulman rentre en France.

Il y avait du bourguignon et beaucoup de français dans ce visionnaire.
Son rôle, dans la destinée du Vermandois, est absolument capital et confirme, a contrario, qu'il ne pouvait y avoir de grand roi indifférent à notre province.
Dès 1464, moins de trois années après le sacre, Louis XI utilisa la clause de retour du traité d'Arras et rachetait le Vermandois, Amiens et Abbeville . Ponction bien sûr sur le dos du peuple et par la manipulation des mesures et des valeurs, diminution immédiate des rentes des privilégiés. Comme dans le Dauphiné, les grands se rebellèrent et organisèrent la ligue dite du " Bien Public", terme qui, depuis l'origine, est donc teinté de volonté de défense des droits acquis et de maintien des privilèges.
L'épisode de Monthléry intervint dans ce contexte et donna à Louis du Luxembourg l'occasion de se glorifier: mariage avec la soeur de la reine, rente de 24000 livres, titre de connétable et même insigne de l'ordre de Saint Michel institué par Louis XI pour contrebalancer par la spiritualité évangélique l'ordre matérialiste de la Toison d'or.
Tant de cadeaux méritaient une contrepartie. En effet, Louis du Luxembourg était un seigneur à double serment. D'un côté, il prêtait allégeance au roi et, pour un montant au moins équivalent, au prince bourguignon. Or ce puissant avait aussi quelques raisons de craindre un Vermandois redevenu principauté ou comté comme au temps où Herbert avait séquestré l'empereur. A Conflans, un pacte fut conclu : moyennant 200 000 écus à payer après la mort du frère du roi , Charles, Comte du Charolais, Berry, Guyenne, Charles le Téméraire reprenait ses domaines. La note s'était donc alourdie pour Louis XI même si un petit crédit lui était alloué.
Un traité, comme la pluie n'arrête pas le pèlerin, ne pouvait pas détourner le roi de son " bon-vouloir ".
Pour ce faire, il fallait fragiliser le Bourguignon et ramener Picardie et Artois au bercail. La Franche-Comté, l'Alsace suivraient naturellement. Louis XI finança donc la révolte des Liégeois. Ceux-ci comme toutes les bourgeoisies montantes, instruites par Gutemberg et les financiers italiens, manifestaient de la mauvaise humeur.
Or le roi de France semblait aimer ces rebelles et soutenait ouvertement le mouvement. A l'occasion d'une entrevue que le roi faisait à sa belle-soeur, Marie de Savoie chez le connétable Louis du Luxembourg au château de Péronne, le duc de Bourgogne, grand souverain des lieux était là. Ce n'était plus Philippe le Bon mais un certain Charles le Téméraire, allié au frère du roi, le très turbulent comte du Berry et de Guyenne. Même, s'il s'agissait d'une visite de famille, la rudesse du château ne pouvait qu'être le cadre d'une explication tendue ; ce que la diplomatie qualifie habituellement, par euphémisme, d'entrevue ou d'entretien chaleureux. Charles le Téméraire était le fils de Marie du Portugal et devait crier le plus fort ! Louis du Luxembourg était pris entre deux feux et surtout soucieux de ses domaines et de sa place sur l'échiquier européen. Par un concours de circonstances, il était même, par sa femme, devenu l'oncle du roi d'Angleterre Edouard . Dans ce pugilat verbal dont l'épaisseur des murs ne laissa passer que des échos assourdis, le roi de France, perdit des points sinon la partie. Le peuple reçut l'information que le roi était tenu prisonnier et même menacé de mort. La désinformation et la guerre des communiqués existaient déjà. Par ce traité dit de Péronne, le roi de France donnait à son frère la Champagne et la Brie au lieu et place de la Normandie qu'il gardait et s'engageait à aller combattre, au côté de Charles Le Téméraire, les Liégeois qu'il avait ouvertement soutenus. L'affront semblait fait au roi de France mais le malin gagnait sur plusieurs tableaux :
      * la Normandie lui était acquise,
     * la Champagne et la Brie allaient à son frère qu' il savait pouvoir réduire d'une manière ou d'une autre ( l'usage des "bonnes fillettes" était déjà connu à qui osait s'en servir).
     * Les Liégeois battus auraient encore plus de raisons d'en vouloir à Charles le Téméraire

Sur le chemin du retour, Louis XI s'arrêta ostensiblement à Saint-Quentin et se montra largement au peuple. Rentré à Tours, il convoqua les Etats-Généraux et ordonna au duc de Bourgogne de comparaître. Le motif du contentieux était tout trouvé. Son frère n'étant plus comte de Normandie, la promesse des 200 000 écus était échue. Il ne fut tenu aucun compte des traités passés récemment et d'une éventuelle novation qui aurait rendu caduque ce vieil agrément. Le Téméraire refusa de se rendre devant ce tribunal subalterne. Le connétable de France, qui avait fait graver sa devise " Mon Mieult" sur la grosse du tour du château de Ham, fut donc commis à reprendre Saint-Quentin, ville royale. C'était du cent contre un, Louis du Luxembourg possédait tous les forts alentour et les Saint Quentinois qui avaient été influencés par le mouvement des "Gens Intelligents" des villes du Nord et de la révolte liégeoise souhaitaient le retour de l'ancienne charte accordée par Philippe Auguste. Nombreux étaient cependant les nouveaux riches qui appréciaient l'économie nouvelle. Il était prudent de prendre une forte troupe. Il fut compté 200 lances et un grand nombre d'arquebusiers. Toute la stratégie personnelle de Louis du Luxembourg avait été de reconstruire le Vermandois dans ses frontières naturelles et voilà qu'il pénétrait au coeur du dispositif.
Il chassa immédiatement le gouverneur de la ville, le sire de Craon, militaire directement à la solde du roi. La logique le conduisait à se rapprocher du duc de Bourgogne, tout proche et défenseur des armées féodales et aussi de l'Anglais, fortement frustré et au fond prétendant légitime. Il demandait à ses voisins des soldats que ceux-ci recrutèrent sans problème. La soupe du connétable provenait d'une terre riche et le lard figurait à l'ordinaire.
Certainement que dans cette logique d'armement et d'ambition, Louis du Luxembourg sauta inconsciemment le rubicon qui sépare la défense passive de la sécurité active ou peut être que son message fut mal interprété. Les troupes anglaises paraissaient invitées à Saint-Quentin par l'oncle de leur souverain. Quel ne sera leur étonnement d'être reçues à coup de canon !
Notre seigneur venait, sans doute, de se rendre compte que ses alliances, qui lui avaient servi pendant cinq années à bâtir une terre promise, risquaient de l'entraîner trop loin. C'était, à tout prendre un acte de fidélité au roi qui remoralisait les citoyens de France qui trouveront une autre aide providentielle à Beauvais, grâce à Jeanne Hachette.
Louis avait placé son pays et son ambition au delà d'un carriérisme politique. En repoussant les soldats anglais, il s'aliénait Edouard IV et désavouait sa connivence tacite avec le duc de Bourgogne.Charles le Téméraire et Louis XI avaient donné maints spectacles de querelles sérieuses avec effets de bluff, chantage et arnaque. Une opération pourtant les liait de manière peu connue: Charles VIII, fils du roi de france, n'avait -il pas été fiancé à huit ans avec Marie, fille du Téméraire!
Devant l'attitude de Louis du Luxembourg, le Bourguignon lâcha Edouard IV qui lâcha son oncle et signa avec Louis XI le traité de Pecquigny(29.8.1475) sur la Somme. Une trêve de sept années était stipulée et un gros chèque scellait le tout: 75000 écus et une rente annuelle de 50000 écus. L'Anglais partait en confiant ses places fortes au roi de France. Louis du Luxembourg écrivit à son neveu " Qu'il était ung lashe deshonnoré et povre roi d'avoir faict ledict traité avecque Loys, soubz ombre de promesses qu'il luy avait faictes, dont il ne lui tiendrait rien et s'en trouverait deçeu".Ce courrier compromettant fut porté à la connaissance du roi de France par Jacques de Saint Pol, frère de Louis.L'affaire fut aussi rapportée à Charles le Bourguignon. Louis du Luxembourg avait failli à des principes de chevalerie. Il n'avait provoqué aucun combat, jamais fait couler de sang inutilement et était resté loyal , pourtant il comprit vite la cabale et se reconnut dans une situation critique: " Il ne savait plus que faire, sinon de mourir en sa peau comme le renard " relata un historien.
La mort de sa femme avait fait tomber le seul rempart à la vengeance royale. Charles le Téméraire le fit arrêter et conduire à Paris. Le Parlement le condamna à mort. Il fut exécuté place de grève le 2 décembre 1475, non pas proprement mais improprement par un bourreau novice et fiévreux qui fera rouler la tête à vingt pas.
Il y a des bavures même chez ceux dont les clients ne se plaignent jamais....

La cruauté de Louis XI atteignit son apogée contre Louis du Luxembourg. Le personnage peut pourtant être regardé comme sympathique . Il voulait construire et il a beaucoup fait pour cela. Il voulait un Vermandois riche et heureux, ce qu'il réalisera presque. Comme Herbert, comme Guillaume, il n'osera pas aller au bout de ses actes, retenu sans doute par une main invisible qui a toujours dicté aux habitants du pays les voies du sacrifice. Les manuels d'histoire détruisent complètement sa mémoire alors que même Louis XI eût certainement reconnu que son seul crime avait été d'écrire une lettre à son neveu pour le mettre en garde contre des traités, payables en écus frappés à l'effigie royale. Il n'eût pas toutefois discuté la sentence, c'était la sanction prescrite par l'ordre de Saint Michel. Ce code d'honneur est aujourd'hui occulté voire incompréhensible et les maîtres d'histoire se limitent à ressasser que le Comte de Saint Pol était un de ces grands seigneurs débauchés et désobéissants qui saignaient le petit peuple.
Il méritait plus d'humanité, ce que le petit bourreau fit involontairement en rendant témoignage que rien n'est simple avant l'heure du jugement dernier.



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