Fouquier-Tinville, "virtuose de l'épuration
politique" qui a condamné à la guillotine Marie-Antoinette, Olympe de Gouges et Danton à la Révolution ![]() Antoine Fouquier-Tinville, joué par Patrick Dogan dans la pièce d'Isabelle Toris La dernière étreinte au théâtre de l'Île Saint Louis. • © Francis Théry Antoine Fouquier-Tinville est tristement passé à la postérité pour sa fonction d'accusateur public du Tribunal révolutionnaire sous la Terreur. Surnommé le pourvoyeur de la guillotine, il a fait condamner à l'échafaud plus de 2 000 personnes avant d'être lui-même guillotiné. Comment ce fils d'un agriculteur de l'Aisne est devenu l'un des hommes les plus craints puis les plus haïs de la Révolution française ? Antoine-Quentin Fouquier-Tinville. Un nom marqué de la même brutalité que celle du bruit métallique d'une lame de guillotine qui tombe. Un nom synonyme, dans la mémoire collective, de brute sanguinaire, d'exécutions frénétiques, de morts arbitraires et d'épuration politique. Un nom qui, parmi d'autres, symbolise la Terreur. Au XIXe siècle, sous une de ses estampes représentant l'accusateur public du Tribunal révolutionnaire, l'illustrateur Jacques Duplessis-Bertaux écrit : "Consigné par l’Histoire dans la liste épouvantable des vils scélérats qui ont secondé les crimes de Robespierre, le nom de Fouquier-Tinville rappellera tous les forfaits que l’Humanité, parvenue à son dernier terme de dégradation, puisse commettre, cet homme-tigre, l’un des chefs de cette horde de cannibales était, avant la révolution, un procureur diffamé par ses concussions et ses débauches, à l’époque des États Généraux, il se modifia au gré des factions triomphantes." Mais qui est donc ce "scélérat", cet "homme-tigre" à la tête de "cette horde de cannibales" ? Qui est celui que la postérité surnomme le pourvoyeur de la guillotine ? De juriste subalterne à procureur du RoiAntoine-Quentin Fouquier-Tinville est né le 10 juin 1746 à Hérouël, un petit village de l'Aisne qui s'appelle aujourd'hui Foreste. Il est le deuxième des cinq enfants d'un agriculteur et gros propriétaire terrien qui se fait appeler "Fouquier de Tinville, seigneur d'Herouël". Une particule dont va hériter Antoine-Quentin, tandis que ses frères recevront celle des autres terres familiales. "Son aîné sera connu comme le député Fouquier d’Hérouël. C’était classique à l’époque d’ajouter un De entre un patronyme et le nom des possessions de la famille, explique Jean-François Fayard, docteur en histoire, spécialiste de la Révolution française et auteur d'une biographie de Fouquier-Tinville. Mais c’est de la bourgeoisie rurale. Rien de nobiliaire là-dedans. Son vrai nom, c’est Fouquier-Tinville. Mais dès que la Révolution arrive et qu’il se rend compte que ça n’est pas très bien vu de porter une particule, il l’oublie très très vite et la fait sauter." Celui qui s'appelle encore Fouquier de Tinville fait des études de droit au collège de Noyon, tenu par des prêtres, comme tous les établissements scolaires de France à l'époque. De ses six années d'études, il conservera un sens aigu de la discipline et de l'obéissance. Diplômé, il "monte" à Paris en 1765. Il a tout juste 19 ans et en poche, un peu d'argent et une simple lettre de recommandation pour être embauché comme clerc apprenti dans l'étude de Maître Cornillier, procureur du Roi au tribunal du Châtelet. "C’était un emploi certes honorable mais presque de grouillot. C'est moins qu’huissier de justice. Il portait juste les requêtes. Selon ses premiers témoignages, il regrette très très vite d’avoir pris cette voie, éclaire Jean-François Fayard. Il écrit une lettre à sa mère dans laquelle il dit 'que ne suis-je resté laboureur'. C’est un emploi qui ne lui plaît pas. Mais il faut bien vivre." ![]() Antoine-Quentin Fouquier-Tinville • Il n'est pas très bien payé, au point de réclamer régulièrement de l'argent à sa mère. Mais travailleur et consciencieux, Fouquier-Tinville devient premier clerc dans l'étude d'un autre notaire où il restera jusqu'en 1774. C'est à cette date que la charge de son ancien patron, Maître Cornillier, est déclarée vacante. Antoine-Quentin n'a pas les 34 000 livres nécessaires pour acheter l'étude. Sa mère lui en prête 15 000. Il en emprunte 12 000 auprès d'un certain abbé Collier de la Marlière contre une rente viagère. Pour le reste, Me Cornillier se montre accommodant. Le 26 janvier 1774, Antoine-Quentin Fouquier de Tinville est nommé procureur au Chatêlet par lettres patentes du Roi. "Le Châtelet de Paris, c’est un tribunal qui traitait tout ce qui relevait du droit commercial. Ce n’était pas une grande juridiction mais elle avait un pouvoir pour ce qui était de l’installation des commerces dans Paris et même de litiges en droit du travail", indique Jean-François Fayard. ![]() Le tribunal du Châtelet en 1789 • © Domaine public À 28 ans, Antoine Fouquier de Tinville est enfin socialement installé. Son étude tourne bien. Il est à nouveau le petit-bourgeois qu'il était par sa naissance. En octobre 1775, il épouse sa cousine germaine, Geneviève-Dorothée, fille d'un orfèvre de Péronne. L'année suivante, naît le premier des cinq enfants du couple, Pierre, le seul garçon. Viendront ensuite Geneviève-Louise en janvier 1778, qui ne survivra pas, et Emilie-Françoise en décembre. Puis Marie-Adelaïde en 1779. "Fouquier-Tinville se met à vivre une vie extrêmement bourgeoise d’Ancien Régime. On est vraiment chez le bourgeois de Balzac. Il écrit même en 1779 une ode au roi. Ce qui est assez extraordinaire quand on sait ce qu’il devient par la suite", ironise Jean-François Fayard. Un poème envoyé au Journal des Beaux-Arts avec demande de publication. Il ne le sera jamais car jugé trop médiocre. De la ruine à son ascension pendant la RévolutionLa famille vit dans un bel appartement de la rue Saint-Villeneuve, dans le très bourgeois quartier de la rue Saint-Denis. Les enfants sont confiés à une nourrice de Bellenglise dans l'Aisne, la santé fragile de Mme Fouquier de Tinville ne lui permettant pas de s'en occuper. La vie prospère de Me Fouquier de Tinville vacille une première fois en avril 1782 : sa femme meurt en mettant au monde Aglaé, la dernière enfant du couple, qui elle-même ne survit que quelques mois. Mais l'homme n'est pas de ceux qui se laissent abattre par les vicissitudes de l'existence. En octobre de la même année, il se remarie avec Henriette Gérard d'Aucourt, issue de la petite noblesse de province. "Un mariage qui va lui servir d’ascenseur social", précise Jean-François Fayard. Les Fouquier de Tinville évoluent dès lors dans le monde des salons parisiens et mènent une vie de petits courtisans. Mais rapidement, les finances du couple se délitent jusqu'à la faillite. Pour quelle raison ? "Ça, c’est un grand mystère, avoue Jean-François Fayard. On ne sait pas ce qui s'est passé. A-t-il fait de mauvaises affaires ou a-t-il effectivement fréquenté tous les bordels de Paris comme on le dit ? Alors, fréquenter les bordels, oui pourquoi pas. Mais de là, à y laisser tout ce qu’il a pu gagner, je ne crois pas. Je pense plutôt qu’il a mené une vie de Satrape et fait quelques petites affaires de basses zones." En 1783, Fouquier de Tinville est obligé de vendre sa charge de procureur pour rembourser ses dettes. Il doit même se séparer de la jolie maison en bords de Marne dans laquelle vivait le couple. L'ancien procureur du Roi en vient à accepter un poste de subalterne auprès du Lieutenant général de police de Paris. Commence alors une vie de déclassement social flirtant avec la misère et l'indigence. 1789. Surviennent la Révolution française et ses
opportunités pour ceux qui ont des revanches sociales à
prendre ou des familles à nourrir. Fouquier-Tinville abandonne
sa particule et cherche à se placer à tout prix. Il
parvient à sortir la tête de la déchéance
en étant nommé commissaire de la section
révolutionnaire de Saint-Merri, quartier dans lequel il vit.
C'est la seule attache politique qu'on lui connaît. "Il
ne fréquente pas Robespierre. Il ne fréquente pas
Saint-Just. Mais c'est >un autre Picard, parent de Fouquier-Tinville, Camille Desmoulins, alors journaliste à Paris, qui va relancer sa carrière de juriste : le futur député à la Convention nationale, ami de Danton, Marat et Robespierre, appuie la candidature de Fouquier-Tinville comme directeur d'un des jurys d'accusation du Tribunal criminel. Cette juridiction d'exception a été créée dans l'urgence le 17 août 1792 pour juger les responsables du massacre du 10 août. En effet, une semaine plus tôt, une foule d'insurgés parisiens, organisée par le gouvernement révolutionnaire (la Commune de Paris), est montée à l'assaut du palais des Tuileries. C'est là que le roi et sa famille sont sous bonne garde depuis leur fuite et leur reprise à Varennes en juin 1791. L'affrontement avec la Garde suisse en faction sur les lieux tourne au massacre : 300 gardes sont tués et autant chez les révolutionnaires.
La nuit du 10 août 1792 par Jacques-Duplessis-Bertaux. • © Château de Versailles À l’issue de cette nuit tragique, Louis XVI est arrêté. La monarchie est dissoute. L'Assemblée législative est remplacée par la Convention nationale. Si le Tribunal criminel a commencé ses mises en accusation, les choses ne vont pas assez vite pour les sans-culottes : du 2 et 6 septembre 1792, ils investissent les prisons parisiennes et tuent ceux qui s'y trouvent, prêtres insermentés, gardes suisses, gardes du corps du roi, aristocrates suspectés de complot et même des prisonniers de droit commun. Ces massacres de septembre auraient fait plus de 1 500 morts. Le 21 septembre, la première République est proclamée. Et le calendrier révolutionnaire, avec des nouveaux noms de mois, instauré. L'épuration politique des ennemis de la RévolutionEn novembre 1792, le Tribunal criminel est supprimé pour que puisse être mené le procès de Louis XVI. Fouquier-Tinville est alors nommé substitut de l'accusateur public du tribunal de la Seine. Il n'est toujours pas engagé dans un mouvement politique précis, alors que les premières frictions entre Montagnards et Girondins apparaissent. Il n'a pas de camp, si ce n'est celui de la loi. Le 21 janvier 1793, Louis XVI est guillotiné. Une exécution qui ne calme pas la foule. Paris bouillonne. Pour éviter que de nouveaux Massacres de septembre n'ensanglantent la stabilité de la Convention nationale, est créé le 10 mars 1793, à la demande de Danton, le Tribunal criminel extraordinaire. Rapidement appelé dit Tribunal révolutionnaire, il est chargé de juger, sans appel possible, les crimes politiques. Il ne s'agit plus d'une instance d'exception. Il est compétent dans "toute entreprise contre-révolutionnaire, de tout attentat contre la liberté, l'égalité, l'unité, l'indivisibilité de la République, la sûreté intérieure et extérieure de l'État, et de tous les complots tendant à rétablir la royauté." La Convention nationale devient la seule entité à pouvoir traduire en justice les prévenus. C'est également elle qui élit les jurés, les juges, l'accusateur public et ses substituts de cette juridiction.
Illustration du Tribunal révolutionnaire en 1793 par Charles-Aimé Dauban. • © BNF bpt6k6214771p_480 Quand Louis-Joseph Faure, l'accusateur public élu par les députés, décline le poste, celui-ci est proposé au substitut qui a remporté le plus de voix. Fouquier-Tinville, qui n'a qu'une voix d'avance sur ses deux autres collègues, accepte la fonction. C'est désormais à lui qu'échoit le droit de faire arrêter, traduire en justice et juger les citoyens soupçonnés d'être des ennemis de la République. "Ayant donné toute satisfaction au Tribunal criminel, au moment où est créé le Tribunal révolutionnaire, Danton pense tout de suite à lui comme un juriste sérieux. C’est comme ça qu’il se retrouve là, selon Jean-François Fayard. Par compétences sûrement, par conviction peut-être, bien qu’il ne soit jamais vraiment engagé dans un mouvement politique précis. En fait, il se retrouve là pour le bifteck, pour vivre. Quand il écrit à sa mère avant ça, c’est souvent pour demander de l’argent. Il a vraiment besoin d’argent, c’est une évidence. Est-ce qu’effectivement l’accusateur public était déjà dans les gènes de Fouquier-Tinville ou est-ce que Fouquier-Tinville suit simplement le vent de l’Histoire pour pouvoir vivre et exister socialement ? Il va dans le sens où le vent porte sa subsistance et son honorabilité sociale. C’est ce que je pense, comme beaucoup d’historiens. C’est vraiment le petit-bourgeois opportuniste. Il est là sans vraiment se mouiller. Il accepte sans conviction l’opportunité qui lui est faite, la situation étant ce qu’elle est dans ces années révolutionnaires." Une situation qui, en ce printemps 1793, est d'une instabilité sans nom. Le climat à Paris est insurrectionnel. La France est une poudrière que la plus petite étincelle peut faire exploser. Le pays doit faire face aux batailles engagées de toutes parts par les monarchies espagnoles, anglaises, autrichiennes et allemandes réunies en coalition militaire et dont le but est de rétablir la monarchie. La peur d'une répression féroce et brutale en cas de victoire des coalisés gagne le peuple. À cette menace extérieure, s'ajoute l'opposition contre-révolutionnaire des Vendéens qui n'est rien d'autre qu'une guerre civile. Une situation qui engendre une crise économique d'ampleur. Sans compter les luttes politiques que se mènent Montagnards et Girondins. Le Tribunal révolutionnaire et l'emballement de la machine judiciaireSous la pression des sans-culottes, les députés girondins de la Convention nationale sont arrêtés entre le 30 mai et le 2 juin. Les Montagnards, menés par Robespierre, ont les pleins pouvoirs et instaurent la politique de la Terreur le 5 septembre. Les pouvoirs militaire, politique, diplomatique et économique sont confiés au Comité de salut public, créé pour la circonstance et confié à Robespierre qui va dès lors instaurer une dictature personnelle. Le 17 septembre est adoptée la loi dite des suspects : tous les ennemis de la République avoués ou susceptibles de l'être peuvent être arrêtés et traduits devant le Tribunal révolutionnaire.
Retranscription de la Loi des suspects du 17 septembre 1793. • © Louis Rondonneau La machine judiciaire va alors s'emballer, entraînée par Fouquier-Tinville. Le 16 octobre 1793, il obtient l'exécution de Marie-Antoinette. Puis celle de tous les députés girondins le 31 octobre. Celle d'Olympe de Gouges le 3 novembre. Du duc d'Orléans, dit Philippe-Egalité, le 6 novembre. De Madame du Barry, le 7 décembre. Le 5 avril 1794, c'est Danton qui est guillotiné. Et Camille Desmoulins, le parent de Fouquier-Tinville. "Il y avait une sorte de saoulerie, d’ivresse collective. L’effet de groupe a été terrible. Il ne faut pas oublier qu’il y avait dans la salle du Tribunal révolutionnaire des sans-culottes avec leur pique lors des procès. À tel point qu’à la fin, les avocats de la défense ne voulaient plus assister aux procès, raconte Jean-François Fayard. Fouquier-Tinville n’est pas particulièrement sanguinaire. Ce n’est pas un loup. Ce n’est pas un massacreur, une brute haineuse. On le voit d’ailleurs à ses débuts en tant qu’accusateur public : il fait preuve d’une certaine mansuétude et il va essayer très souvent de faire son travail de manière humaine. Et au bout d’un certain, il est rattrapé par l’esprit parisien. Et il est légitimiste. Il a une loi qui lui permet de faire des choses, il s’en sert. Il s’en sert sans essayer de creuser et d’aller voir le contexte parce qu’il estime qu’il n’est pas là pour ça et que ce n’est pas son travail. Il y a une loi, la loi des suspects, et lui dit 'la loi dit ça donc j’applique'. Mais cette loi punissait de mort ce qu’on appellerait aujourd’hui les délits d’opinion."
Acte de condamnation Mme Roland, femme politique proche des Girondins, signé par Fouquier-Tinville. • © Andreas Praefcke Le 10 juin 1794, sur recommandation du Comité de salut public, est adoptée, par la Convention nationale, la loi dite du 22 Prairial de l'An II, une loi d'exception qui met en place la Grande Terreur. Désormais, une simple dénonciation suffit à faire arrêter et juger quiconque. La loi supprime au prévenu le droit d'être défendu par un avocat. S'il est reconnu coupable d'être "un ennemi du peuple", il est automatiquement condamné à la peine de mort. Des Comités de surveillance, chargés d'établir des listes de suspects, sont instaurés dans toutes les communes. "Là, ça devient atroce parce qu'une rumeur et une dénonciation suffisaient pour qu'un suspect soit reconnu coupable et passe sous la guillotine. Il n’y a alors plus aucune vérification des actes d’accusations. C’est évident que Fouquier-Tinville force le trait dans les procès et en rajoute parfois mais il reste toujours dans le cadre de la loi. Mais comme le cadre de la loi de Prairial est très vaste, ça allait très vite, reconnaît Jean-François Fayard. Les barrières du bon sens ont cédé à ce moment-là. On a sombré dans la barbarie sous la pression d’un mouvement populaire qui s’emballait. À partir d’avril 1794 et de la loi de Prairial, ce n’est même plus un tribunal. Ça devient une machine qui ne répond plus à la notion même de la justice. Dans à peu près 25 % des cas de dénonciation, il s’agissait effectivement de personnes qui menaient des tentatives de déstabilisation du pouvoir. Dans le reste des cas, c’était pour récupérer les biens de l’accusé ou sa femme ou autre chose." D'accusateur à accusé : la chute de Fouquier-TinvilleLes carmélites de Compiègne tomberont sous le coup cette barbarie. Ces exécutions arbitraires, souvent sans même que les accusés ne comparaissent, commencent à mettre mal à l'aise les députés de la Convention nationale. Robespierre, que beaucoup considèrent désormais comme un tyran, rejette la responsabilité de ce bain de sang sur ses adverses politiques. Se sentant menacés, ils votent sa mise en accusation pour dictature le 26 juillet 1794. L'arrestation dans la nuit de Robespierre ne se fait pas sans heurt : si plusieurs de ses partisans sont blessés en essayant de fuir les gendarmes, l'instigateur de la Terreur est touché d'une balle dans la mâchoire dont la provenance n'est à ce jour toujours pas établie. Tentative de suicide ? De meurtre ? Balle perdue ? C'est en tout cas gravement atteint que Maximilien de Robespierre est guillotiné dès le lendemain, le 27 juillet 1794. Sans procès. C'est Fouquier-Tinville qui a procédé à la reconnaissance des accusés. Avec la mort de Robespierre et de ses soutiens, dont Saint-Just, la Terreur prend fin et laisse place à une république plus libérale et modérée, le Directoire. La Convention nationale devient la Convention thermidorienne. Le vent de l'Histoire, celui qu'a toujours suivi Fouquier-Tinville, a tourné et va l'emporter. Il faut conjurer la peur que la Terreur avait institué. Éliminer ceux qui l'avaient distillée. Et après ceux qui avaient voté les lois qui ont mené à la barbarie, vient le tour de celui qui les a appliquées, l'accusateur public du Tribunal révolutionnaire. "À la fin de la Terreur, tout le monde veut la peau de Fouquier-Tinville, assène Jean-François Fayard. Parce qu’il a été accusateur public, mais aussi parce qu’il a des dossiers sur les uns et les autres. On a peur qu’il parle. Et il était véritablement le symbole de celui que tout le monde craignait." Fouquier-Tinville a compris qu'une autre épuration politique est en marche. Ayant eu connaissance de son imminente arrestation, il préfère se rendre de lui-même le 8 août 1794. Son procès s'ouvre le 28 mars 1795. Avec lui, sur le banc des accusés, 23 autres personnes. Ce procès, ce n'est pas seulement celui de l'accusateur public, des juges et des jurés. C'est aussi celui de la Terreur et du Tribunal révolutionnaire. Celui de la machine judiciaire et policière Si l'acte d'accusation fait neuf pages, le chef d'accusation est simple : Antoine Fouquier-Tinville est accusé "d'assassinats judiciaires", notamment à partir de la loi du 22 Prairial 1794. Tout au long de sa défense, Fouquier-Tinville clame son innocence, rejetant la culpabilité sur Robespierre et le Comité de salut public. Il ira même jusqu'à témoigner qu'il rencontrait chaque soir Robespierre pour décider des exécutions du lendemain. Il ne comprend pas ce dont on l’accuse. Pour lui, les lois de la Terreur, dont celle de Prairial, ont été votées par une assemblée élue. La loi de Prairial énumère tous les cas dans lesquels quiconque était considéré comme suspect et donc passible de la peine de mort. Cette loi, votée légalement, il n'a fait que l'appliquer parce que ce n'était ni plus ni moins que son travail. "C’est le raisonnement classique du fameux 'responsable mais pas coupable'. Il réduit son rôle à celui du bras armé, du bras séculier d’une loi qui existait et qui avait été votée par une assemblée démocratique. Il avance le fait qu'il avait été nommé pour faire respecter les lois. Qu'il n'était pas à l'origine de ces textes. Il reconnaît parfois avoir outrepassé ces lois de temps en temps. Il est évident qu'il a appliqué la loi avec beaucoup de zèle. Mais selon lui, à période extraordinaire, justice également extraordinaire", explique Jean-François Fayard. 419 témoins, dont 196 à charge et 223 à décharge, vont se succéder à la barre pendant les 39 jours d'audience. Ce sera le plus long procès de la Révolution française. Le 5 mai, à l'issue des plaidoiries, alors que le juge lui demande s'il a un dernier mot à ajouter, Fouquier-Tinville dira : "j'étais la hache de la Révolution. Punit-on une hache ? " "Je me suis toujours conformé aux lois" : la défense d'un légitimiste convaincuLe lendemain, après deux heures de délibération, le verdict tombe : Antoine-Quentin de Fouquier-Tinville, accusateur public du Tribunal révolutionnaire, est condamné à la peine de mort. Ainsi que quinze de ses coaccusés.
Acte de condamnation à la peine de mort d'Antoine Fouquier-Tinville en date du 6 mai 1795. • © Gallica / BNF Jusqu'au bout, il clamera son innocence, écrivant dans ses dernières heures dans sa cellule de la Conciergerie : "Je n'ai rien à me reprocher : je me suis toujours conformé aux lois, je n'ai jamais été la créature de Robespierre ni de Saint-Just ; au contraire, j'ai été sur le point d'être arrêté quatre fois. Je meurs pour ma patrie et sans reproche. Je suis satisfait : plus tard, on reconnaîtra mon innocence." Le 6 mai 1795, il est le dernier des condamnés à être guillotiné en Place de grève devant une foule venue nombreuse assister à la mort du pourvoyeur de la guillotine. Son corps sera inhumé au cimetière des Errancis, dans la même position que ceux qu'il avait fait exécuter : la tête entre les jambes. Avant d'être déplacé dans les catacombes de Paris à la fermeture du lieu. Reste aujourd'hui d'Antoine Fouquier-Tinville l'image d'une brute épaisse, froide et sanguinaire. D'un homme arbitraire et impitoyable, responsable de plus de 2 000 exécutions en dix-sept mois. Mais les choses sont, comme toujours, plus complexes qu'elles n'y paraissent. "C’est évident qu’il a tenu son rôle d’accusateur public avec un certain entrain. Selon moi, cet entrain était motivé par l’ivresse des foules et le fait d’être quelqu’un d’important. La Révolution lui a apporté à nouveau une portée sociale, insiste Jean-Frabçois Fayard. Ça a été un déclassé social. Il a mordu la poussière sociale. Il l’a très très mal vécu. Parce qu’à partir du moment où il vend sa charge de procureur parce qu’il est couvert de dettes, c’est un pauvre diable. Et en tant qu’accusateur public, il redevient quelqu’un. Il retrouve un statut mais sans trace de revanche. Rien ne le sous-entend dans sa correspondance. Rien dans ses écrits, quels qu’ils soient, ni dans ses paroles ne montre non plus une quelconque appartenance à des sections politiques de sans-culottes par exemple. Il ne participe en rien au mouvement révolutionnaire. Il a été le serviteur zélé de la Terreur mais pas par conviction personnelle. C’est Monsieur Tout-le-monde. Et c’est ce qui le rend d’autant plus monstrueux. C’est Monsieur Tout-le-monde qui, dans une période extraordinaire, a fait son métier comme il dit à son procès." Et de conclure : "Je pense aussi qu’il l’a fait avec la peur au ventre, en se disant que s’il ne fait pas son métier, il sera considéré comme un traître. On était en pleine période d’épuration politique. Et Fouquier-Tinville était un virtuose. Et il fait d’autant bien son métier qu’il sait que, s’il montre la moindre faille, il peut à tout moment se retrouver lui-même à l’échafaud. Notoirement, c’est un homme apeuré. Les derniers temps, il vivait reclus dans une des tours du palais de justice de Paris. Il se rendait compte que sa situation, même si elle était protégée par le système, était quand même précaire. À l’époque, les gens vivent dans la peur. Si ça s’est appelé la Terreur, ça n’est pas pour rien." La mort d'Antoine-Quentin Fouquier-Tinville, fils d'un agriculteur de l'Aisne, dont le nom est marqué de la même brutalité que celle du bruit métallique d'une lame de guillotine qui tombe, aura permi à la France de clore une période sombre de son histoire. Avant que d'autres ne surviennent. Et avec elles, de nouveaux Fouquier-Tinville. |